La presse découvre les « métavers », le grand public aussi par voie de conséquence, mais les intervenants semblent parfois découvrir eux-mêmes ce que les internautes fréquentent depuis une bonne vingtaine d’années. Pour ma part, en tant qu’universitaire, j’annonçais en 2015, en 4e de couverture d’un de mes livres sur les métavers : » L’invention des mondes virtuels en 1996 est comparable à la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb en 1492. Il y a là de nouveaux espaces à explorer et à coloniser (sans massacres cette fois), une économie s’y développe, des liens humains s’y créent par avatars interposés, de nouvelles sociétés s’y organisent. » [1]
Le point de départ de cet engouement médiatique récent est l’annonce de Facebook de créer 10.000 postes de spécialistes hautement qualifiés en Europe pour son projet de métavers global. Facebook avait entamé cette démarche dès 2014 en rachetant Occulus, l’un des géants du marché des casques virtuels ; puis, l’an dernier la société Sanzaru Games, développeur de jeux vidéo.
Alors, de quoi s’agit-il ? De quoi parle-t-on ? Est-ce vraiment novateur ?
Mondes virtuels persistants
Les métavers sont des mondes virtuels numériques persistants apparus dans les années 1990, autrement dit des espaces virtuels qui continuent d’exister et d’évoluer lorsque le joueur s’est déconnecté, sous l’action des éditeurs du jeu et des autres joueurs.
Mais tout d’abord, qu’entend-on par virtuel ? C’est en premier lieu une notion philosophique, qui désigne ce qui est potentiellement possible plus tard ; ce qui n’est pas certain, mais pourrait advenir dans l’avenir. Cela désigne par ailleurs un outil numérique : on parle en effet de réunion virtuelle lorsqu’on est en visioconférence, mais cette réunion n’est pas plus virtuelle que si l’on se téléphonait ou si l’on était en présentiel, c’est simplement l’usage d’un outil moderne, numérique, qui justifie, cette acception. Enfin, le virtuel correspond bien mieux aux métavers, qui n’existent qu’en version numérique, mais où l’on peut vivre de belles expériences, en faisant agir notre avatar – que Serge Tisseron qualifie de « Marionnette de pixels » – , soit sur un écran d’ordinateur, soit grâce à un casque de vision immersive. Cet avatar, on le crée en entrant dans le métavers, c’en est la première étape.
Quant au terme de métavers, c’est la contraction de méta-univers désignant un univers au-delà, néologisme créé par Neal Stephenson dans Le Samouraï virtuel (1992, traduit en français en 1996). Ce roman présentait un monde virtuel dans lequel se plongeait un livreur un peu morose, en enfilant des lunettes qui lui donnaient la vision de ce métavers. Mais le premier roman de science-fiction qui a imaginé ces mondes virtuels, c’est Simulacron 3 de Daniel F. Galouye, publié dès 1968, où un personnage disparaît subitement, sans laisser de trace, ce qui finissait par se révéler être la simple suppression d’un avatar, le monde de cette fiction n’étant qu’un univers virtuel. On ne parlait pas encore d’avatars ni de métavers dans ce premier ouvrage, mais d‘unités identitaires et d’un grand simulateur. Ce roman a été mis a l’écran par Fassbinder en 1973, dans un long métrage en deux parties.
Une source d’inspiration artistique
L’idée d’un monde virtuel où l’on peut s’échapper pour se distraire s’est ensuite développée et a donné lieu autant à des œuvres cinématographiques grand public, que, parallèlement, au développement des métavers à proprement parler.
Après le Monde sur le Fil de Fassbinder, il y a eu près d’une quarantaine de films sur les métavers, dont la première version de Tron de Steven Lisberger, où Kevin Flynn, un génial concepteur de jeux vidéos se téléporte dans son jeu pour y récupérer la preuve qu’il en est l’auteur et pour faire valoir ses droits sur son invention. Ce premier Tron de 1982 est intéressant, parce qu’il a toute la maladresse des déguisements d’une fête de patronage (ce sont les moyens techniques de l’époque), alors que la reprise en 2010, par Joseph Kosinski, sous le titre Tron : l’Héritage, bénéficie des avancées technologiques. Le thème et l’acteur, qui a vieilli, sont les mêmes, mais les effets spéciaux permettent à la fois de créer un univers virtuel de grande qualité esthétique et de numériser l’acteur, Jeff Bridges, pour l’y voir jouer à deux âges différents.
Parmi les principaux films, il faudrait citer eXistenZ de David Kronenberg (1999), où l’accès se fait à l’aide de « pods », une sorte d’organe bizarre auquel on se connecte grâce à une interface que l’on se fait violemment implanter au niveau des reins. Le but est de survivre dans le métavers, mais lorsque la partie est finie, un doute subsiste sur la réalité de la réalité retrouvée…
L’idée d’un implant intrusif permettant l’accès dans le métavers sera souvent repris. Le film le plus célèbre est, bien évidemment Matrix, dont la trilogie (1999 – 2003) sera prochainement complétée par un quatrième épisode. L’interface y est implanté dans la nuque. Ces films sont suffisamment connus pour ne pas s’y attarder.
Cerveau-machine, implants, numérisation
Les implants cerveau-machine existent depuis le début du siècle et sont utilisés pour permettre à un non-voyant d’être autonome ou à un tétraplégique d’agir sur un bras mécanique. Les différentes zones du cerveau sont cartographiées et les neurones apprennent à se servir des implants qui leur sont connectés. Des exemples en sont d’ailleurs présentés dans le générique de Clones (2009) de Jonathan Mostov.
Dans Passé virtuel, de Josef Rusnak (également 1999), Hannon Fuller a créé un métavers sur les années 30 dont il est nostalgique, et il s’y téléporte grâce à un rayon laser indolore, qui permet d’échanger son esprit avec celui de son avatar qui vit, dans le métavers, une vie bien moins rangée que dans sa réalité à lui… mais au fil du film, on découvre que la réalité n’est elle-même qu’un métavers. C’est une mise en abîme.
Cette numérisation des personnages qui se téléportent dans le métavers, vue dans Tron puis Passé virtuel sera reprise dans une série animée pour enfants, Code Lyoko (2003 et …) où Franz Hopper numérise sa fille dans un métavers qu’il a créé pour la protéger, avant d’être lui-même assassiné. Cette androïde virtuelle est aidée par ses jeunes amis qui se numérisent dans le métavers pour l’aider à combattre un dangereux logiciel militaire, en attendant de pouvoir l’extraire de ce métavers.
Enfin, Transcendance (2004) de Wally Pfister développe l’idée de vie biologique créée par le numérique, cette merveille qui avait déjà été imaginée dans Tron : l’Héritage, dans lequel des « algorythmes isomorphiques » avaient vu le jour dans le métavers. Malheureusement, celles-ci avaient été massacrées par Clu, un logiciel conçu par Flynn pour que le métavers conserve sa perfection. Dans Transcendance, Will, atteint d’une maladie incurable, télécharge son esprit dans un ordinateur dans l’espoir que son esprit subsiste, ce qui réussit fort bien. Et, dans l’univers numérique qui ne connaît pas de limite, Will devient une puissance qui terrifie les humains. Ceux-ci lui inoculent un virus au moment même où il avait réussit à se recréer un nouveau corps de chair à son image.
Il faudrait revenir sur un film culte, qui a malheureusement connu un succès commercial limité, peut-être à cause de son affiche peu séduisante : Nirvana (1996) de Gabriele Salvatore. Sa sortie correspond à l’apparition des premiers métavers en ligne et c’est un le premier où un personnage, qui a compris qu’il n’est qu’un avatar, demande au concepteur du jeu, Jimi, de le supprimer, ce qui sera fait. L’interface homme-machine y est un simple casque, mais son usage excessif peut être mortel ou réduire en légumes les joueurs qui avaient surestimé leurs capacités.
Immersif
L’immersion dans le métavers peut se faire tout simplement devant un ordinateur, sans casque ni rayon laser, ce qui a été longtemps le cas, pour les internautes, avant l’apparition des casques immersifs puis de la reconnaissance de mouvements (dès 2005 avec la X-box 360) et maintenant des salles d’ « Immersive Games ». Les perspectives dans ce domaine sont encore énormes.
Les films sont témoins de l’évolution des métavers et de leur représentation, et il n’est pas besoin d’être un geek ou un internaute chevronné pour comprendre ses univers virtuels : il suffit de visionner quelques films emblématiques, comme Tron-L’Héritage, Nirvana ou Passé virtuel, et l’on aura compris ce que peut être le plaisir d’une immersion dans un métavers.
Que fait-on dans les métavers ? À peu près tout ce que l’on peut faire dans le monde réel : on peut s’y promener, s’envoler au-dessus de plages féeriques, mais aussi faire du commerce ou se battre… il faut choisir son métavers en fonction des loisirs que l’on souhaite et le choix est grand : il y a actuellement à peu près 400 métavers ; il y en a eu plus de 1.000 il y a une dizaine d’années. On peut même y faire du sport et ce n’est pas un abus de langage, car le mot sport vient de l’ancien français desport, que l’on retrouve encore en espagnol sous la forme desporte, et qui signifiait ce qui détournait (déportait) des activités habituelles. C’est ainsi que la Fédération Française d’Échecs, fondée en 1921, a été reconnue « fédération sportive » en l’an 2000.
Facebook Elon Musk, etc.
Pour les perspectives d’avenir, les annonces de Facebook sont à prendre au sérieux. Lorsqu’ Elon Musk a lancé Space-X, et a imaginé de faire redescendre des boosters de fusée proprement et de manière synchronisée, certains ont pu sourire, mais il l’a fait. Le projet de Facebook est sérieux et les 10.000 cerveaux qui vont y travailler réussiront à créer de nouveaux usages et de nouvelles interfaces à ce futur métavers. Sera-t-il un jour unique sur toute la planète ? C’est peu vraisemblable, ou du moins ce n’est pas pour demain. Il suffit de voir les 20 moteurs de recherche qui existent aujourd’hui sur Terre, 3 chinois, 1 russe, 2 français, et de se souvenir des blocages que les Chinois ont opposé à Google et inversement, pour comprendre que les moteurs de recherche sont des enjeux stratégiques importants : ils véhiculent une culture, une idéologie, une manière de penser. Les métavers aussi.
Il y a également une stratégie économique à cette démarche de Facebook : le marché des jeux vidéo représente aujourd’hui 300 milliards $ de chiffre d’affaires annuel, mais, pour l’instant, les métavers n’en représentent que 4% seulement, ce qui laisse de belle perspectives de croissance.
Pour l’avenir de ces nouvelles technologies, mon espoir est l’impensable aujourd’hui. En ffet, il a fallu quatre siècles pour que les inventions de Léonard de Vinci se réalisent (l’hélicoptère, notamment) ; il n’a fallu qu’un siècle pour que les rêves de Jules Verne se concrétisent (le Nautilus et une fusée sur la lune), mais depuis la fin du XXe siècle, on dispose désormais de technologies dont on n’imagine pas encore les usages que l’on pourra en tirer. La réalité a désormais devancé la science-fiction, les espoirs les plus insensés sont permis.
Retrouvez plus d’information sur le site
www.francois-gabriel-roussel.fr
François-Gabriel Roussel est Maître de conférences honoraire en Sciences de l’information et de la Communication et chercheur au CIM de l’université Paris-3 Sorbonne-Nouvelle. Il est l’auteur de quatre livres sur le virtuel et les métavers, parmi lesquels :
un livre pour grand public, Les Mondes virtuels – Panorama et Perspectives, coll. Questions contemporaines, L’Harmattan, Paris, 2015,
et un roman, Le Monde plus que parfait de Speedy le Hacker, L’Harmattan, Paris, 2015.
[1] Les Métavers – Panorama et Perspectives, L’Harmattan, Paris, 2005.
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