Métavers, multivers et multiguerre.

Métavers, multivers et multiguerre.

Hier Facebook investissait des milliards de dollars, changeait son nom en Meta, tellement le métavers, l’univers virtuel, était l’avenir de l’activité humaine et du commerce. Aujourd’hui le métavers semble dépassé, noyé dans un potentiel aussi infini qu’incertain. Pourtant Meta continue d’investir. Moins que dans l’Intelligence Artificielle, dans laquelle des centaines de milliards de dollars se bousculent. Certains voient dans l’IA une bulle, comme le métavers, une illusion technologique qui fera long feu. La chinoise Deepseek a provoqué une chute boursière des entreprises américaines de l’IA de 600 milliards de $. En fait une bonne nouvelle : l’IA est à portée de toutes les puces, ou presque.

À Paris le prochain sommet sur l’IA mettra en valeur mille thèses et autant d’incertitudes : L’IA est-elle une révolution du même type que celle de l’imprimerie ? Changera-t-elle les techniques d’apprentissage ou la façon de penser ? Pourquoi les innovations influent si peu sur la productivité ? L’IA annonce-t-elle une oligarchie mondiale, ceux qui contrôleront la monnaie, les grandes entreprises, les médias, la recherche, les données ou un accès gratuit à un trésor inépuisable? Faut-il la contrôler avant même qu’elle ne se développe ? Passons-nous d’une confrontation des Etats à celle de puissances qui ne sont pas étatiques ? Les Etats laisseront-ils la place à de nouvelles entités, centres de pouvoir fondés sur des ressources financières considérables, liés à des moyens de persuasion associant diffusion de masse et personnalisation des messages? Personne n’a de réponse, chacun se passionnera pour telle ou telle conviction.

Dans l’ère du coup d’éclat permanent, les coups de gueule sont des coups d’Etat.

La conception que l’on se fait du futur modifie nos actions présentes. En quelque sorte, les métavers opèrent déjà. Nous vivons dans des mondes virtuels, des mondes d’anticipation. La catastrophe climatique, la submersion migratoire, la bombe ou l’anémie démographique, les fins anticipées du pétrole, du cuivre, du sable, de l’or, du dollar, changent notre appréhension du réel. Toute action d’aujourd’hui est fondée sur notre imaginaire, nos codes inculqués certes, mais surtout notre image du futur.  

Tous les jours, tout le temps. Trump annonce, les bourses mondiales, les gouvernements s’exaltent ou s’affolent. Dans l’ère du coup d’éclat permanent, les coups de gueule sont des coups d’Etat. L’annonce de la fin de l’USAID ou du déplacement de la population de Gaza produit des effets de sidération qui sont des chocs réels. Avant les effets de long terme – détestation de l’Amérique, destruction du droit international – des commandos  ferment des agences sans mandat, sans loi. Mini-coups d’État qui bouleversent l’ordre interne et la confiance internationale. Phénomènes bien connus de l’anticipation autoréalisatrice, ou, plus simplement, du chantage habituel des Etats et des voyous.

Toute action est fondée sur notre imaginaire, nos codes inculqués certes, mais surtout notre image du futur.   

Face aux menaces protectionnistes, Canada et Mexique font semblant de courber l’échine, l’Europe s’interroge, la Chine fait semblant de répliquer, infusé depuis des siècles par la doctrine taoïste du non-agir. Une façon d’éviter toute réaction excessive aux anticipations de panique. Nous vivons déjà dans des univers parallèles, des multivers. Ces multivers se multiplient, ce qui rend le monde plus chaotique, en apparence,  en tout cas plus compliqué. Chaque univers parallèle ne supprime pas les précédents, ni les voisins. L’imprimerie n’a pas supprimé les abbayes. Elle a tué le monopole du livre, a permis la réforme protestante par la diffusion de la Bible, puis la division de l’univers chrétien, la fin de la dîme, la constitution du capital dans les pays d’Europe du Nord… En un siècle, la façon de penser le monde avait changé. Un siècle d’hier, c’est à peine dix ans d’aujourd’hui.  

Mieux vaut penser la révolution que la stagnation. Sans doute l’engouement pour le métavers était-il excessif, peut-être celui pour l’IA l’est-il,  mais il est aussi possible, voire mécanique, que les innovations se rejoignent dans une sorte de multiplicateur, provoquant des révolutions en chaîne comme des réactions nucléaires, un changement de phase. Comme toute anticipation détermine notre action, imaginer des ruptures de phase revient à se baigner dans le sens du courant, autre principe taoïste. Question de vie et de mort pour les sociétés comme pour les personnes.

L’Ukraine s’apprête à construire un million de drones par an, comme la Russie.

Dans le domaine de la guerre, métavers et multivers ne sont pas des hypothèses. En Ukraine, il y a des tranchées comme en 14. Il y a aussi des drones. Au début de la guerre, quelques-uns détruisaient quelques chars. Aujourd’hui l’Ukraine s’apprête à en construire un million par an, comme la Russie. Pour en augmenter la portée, s’imaginent des drones porteurs de drones. Drones lancés de drones sous-marins, qui espionneront les côtes couperont les câbles, couleront des bateaux, détruiront les ports. Une fête. En attendant, construire aussi des contre-feux aux fêtes.

Aujourd’hui le porte-avions est roi, comme le cuirassé avant la deuxième guerre mondiale. Faut-il un deuxième porte-avions  ou un réseau de sous-marins porteurs de milliers, de centaines de milliers  de drones pour ne pas être en retard d’une guerre ? Déjà l’Espace n’est à la portée que de quelques puissances. Or ce n’est pas un Etat qui maîtrise le mieux l’espace utile, mais les 6000 satellites, bientôt 42.000, de Starlink. Qui voudrait faire la guerre sans GPS, sans transmission?

Pourtant la guerre se fait. En République centrafricaine, au Soudan, en Ukraine, en Israël, au Yémen, en Syrie, en Turquie,  en Birmanie, au sein des structures étatiques, au Mexique, Colombie. En Afrique, en Asie, en Europe aussi, elle s’insinue au sein de nations qui vivent sur l’illusion de la nation  uniforme: ainsi l’Inde mène une guerre interne contre ses propres citoyens musulmans. L’illusion nationale suppose une identité qui ne correspond pas aux réalités. Le Premier ministre François Bayrou interroge : qu’est-ce qu’être français ? Qu’est-ce qu’être suisse, libanais, syrien, indien, américain ? Combien de langues, de religions, de monnaies ?

Un sommet international à Paris voudra l’expliquer aux nouveaux maîtres religieux de la Syrie tandis que des drones turcs attaquent les Kurdes, « frères d’armes » de nos forces françaises. Les petits enfants d’Al Qaïda ont chassé la marine russe. Les univers parallèles se heurtent.

Partout, chaque jour, des sabotages discrets ou tonitruants de la sécurité collective. L’underground des réseaux criminels et des services secrets rejoint les Olympes politiques, le démantèlement trumpiste du droit international.

Partout, chaque jour, des sabotages discrets ou tonitruants de la sécurité collective.  

Sommet sur l’IA, sommet sur la Syrie,  sommet sur la défense européenne, sommet sur l’Ukraine, que d’altitudes enchaînées ! Tentatives encordées de coopérations internationales. Si personne ne sait ce que sera l’avenir de la guerre, de l’intelligence artificielle, des frontières, des Etats, de la monnaie, chacun sait qu’isolé, dans un seul des multivers, il disparaîtra des autres, disparaîtra tout court. L’interdépendance volontaire évite la dépendance tributaire. Si le conflit, l’art de détruire, anime  l’histoire de l’humanité depuis des millénaires, depuis soixante dix ans le nombre de conflits diminue, la part de la population mondiale qui vit en paix s’accroît sans cesse. Phénomène exponentiel ou fréquentiel ? Est-ce que la probabilité de la déflagration s’accroît à mesure d’un temps de paix anormalement long ? L’horloge de la fin du monde de l’Université de Chicago a été avancée d’une seconde le 28 janvier. À force de succès, l’humanité accélérerait vers l’apocalypse. Si oui, mieux le faire en chantant.

Comment être partout à la fois ? C’est déchirant. C’est intéressant. C’est vital.

Pendant des milliers d’années l’humanité est restée enfermée dans une sorte de trappe à pauvreté. Plus la production augmentait, plus la population suivait, autant la richesse par habitant stagnait. Ces deux derniers siècles, l’explosion du bien-être est un miracle perpétuel, rationnel, logique, (horriblement capitaliste) malgré catastrophes, guerres et malédictions. Par des interconnexions multiples, le progrès, au lieu de décroître s’accélère. Il en est des multivers comme de l’univers : non seulement, ils sont en expansion, mais en accélération permanente.

On peut, on doit risquer sa vie dans la tranchée. Au-dessus, un drone. Sur quoi parier : plus de pelles ou plus de drones ? Parfois un univers mange l’autre. Où en sommes-nous ? Pour l’instant, heureusement, encore partout. Comment être partout à la fois ? C’est déchirant. C’est intéressant. C’est vital.

Laurent Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press et de l’app bancaire France Pay

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