Mercosur : l’étrange consensus français

Mercosur : l’étrange consensus français

Les consensus sont rares en France, comme en témoignent les débats sur les retraites, la santé, l’emploi ou les finances publiques. En revanche, toute la classe politique se rassemble — de l’extrême droite à l’extrême gauche, en passant par le centre — pour s’opposer à l’accord commercial avec le Mercosur, qui regroupe plusieurs pays d’Amérique latine, dont le Brésil. L’opposition à cet accord, notamment au nom de la défense des intérêts de l’agriculture française, reflète la tradition française du protectionnisme et le rejet persistant de la théorie des avantages comparatifs.

Par populisme, par démagogie, l’accord Mercosur est qualifié de « libre-échangiste », ce qu’il n’est en aucun cas. Il ne prévoit ni l’ouverture totale des marchés, ni la réciprocité intégrale. Il fixe simplement un cadre réglementaire pour les échanges entre les pays signataires, assorti de nombreuses conditions contraignantes. Pourquoi une telle opposition ? Par facilité, par conservatisme, par soumission à certains intérêts catégoriels, ou par manque de vision à long terme ? Défendre les accords demande plus de réflexion que de hurler avec les loups sur leurs prétendus dangers. Accuser les produits étrangers d’être responsables du chômage ou de la stagnation des salaires apparaît assez naturel. Les préjugés et les fausses informations en la matière sont légion.

L’Union européenne serait ainsi une passoire.

Dire cela c’est ignorer son protectionnisme et la rigueur de ses procédures, pourtant fréquemment dénoncés hors de ses frontières. Les échanges commerciaux sont le levier le plus efficace pour sortir les pays en développement de la pauvreté, bien plus efficaces que les aides publiques de toute nature. Par ailleurs, plus les échanges croisés ont lieu entre pays à niveaux de développement proches, plus ils sont mutuellement enrichissants.

Les résultats des accords signés récemment par l’Union européenne sont sans appel : l’Europe en sort gagnante, y compris la France. L’accord CETA avec le Canada se révèle positif, avec une hausse de 50 % des échanges commerciaux et de l’excédent commercial en faveur de l’Union européenne. Les échanges de services ont progressé de 60 %, également au profit de l’Europe. L’excédent agroalimentaire de la France vis-à-vis du Canada a été multiplié par trois, passant de 200 à 600 millions d’euros. Contrairement aux craintes exprimées, les exportations de viande vers le Canada se sont accrues.

Tous les produits agricoles importés doivent respecter les normes sanitaires et phytosanitaires européennes.

Pourtant, de nombreux partis politiques demeurent opposés à la ratification du traité Mercosur par la France. Au demeurant, relevant de la compétence exclusive de l’Union européenne, cette ratification n’est pas nécessaire. Les adversaires des traités commerciaux invoquent des normes moins strictes hors de l’Union, réduisant le coût des importations. Or, tous les produits agricoles importés doivent respecter les normes sanitaires et phytosanitaires européennes, notamment, en matière d’antibiotiques et d’hormones. Les services européens multiplient les contrôles, jugés tatillons par les importateurs. Ils imposent également des normes environnementales de plus en plus strictes.

Les pays commerçant avec l’Union, en particulier les signataires d’accords, doivent aussi se conformer aux conventions internationales en matière de droits humains et de droit du travail. La politique commerciale de l’Union européenne s’accompagne d’une politique de défense commerciale active : plus de 186 mesures sont actuellement en vigueur, dont 120 visant le dumping. Depuis 2023, ces mesures ont augmenté de 40 %.

Les « clauses miroirs », qui imposent aux pays signataires de respecter les mêmes règles que l’Union pour toute leur production destinée à l’exportation, sont d’une rare rigueur. Même si les exportations représentent une part marginale de leur production, l’ensemble de celles-ci doit se conformer aux normes européennes pour que l’exportation soit autorisée.

Exiger des pays du Mercosur qu’ils s’alignent sur les méthodes de production européennes n’aurait de sens que s’ils faisaient partie du marché unique. Et considérer que les producteurs étrangers bénéficient d’un avantage indu en accédant au marché européen, c’est oublier par exemple que les agriculteurs européens bénéficient de 40 milliards d’euros de subventions, dont 7 pour les seuls Français.

L’Union européenne aurait intérêt à favoriser l’émergence d’une bourse mondiale du carbone.

Enfin, l’Union européenne entend instaurer une taxe carbone aux frontières, assimilable à un droit de douane, taxe fortement contestée par les pays émergents. Ce dispositif risque de générer une bureaucratie pesante, pénalisant à la fois l’Europe et ses partenaires commerciaux. Première puissance commerciale mondiale, l’Union européenne aurait tout intérêt à réunir une grande conférence multilatérale sous l’égide de l’OMC afin de favoriser l’émergence d’une bourse mondiale du carbone. Les États-Unis pourraient refuser d’y participer, mais risqueraient alors de s’exclure, à terme, des grands circuits d’échange.

En Europe, la France, en s’entêtant dans une opposition stérile risque d’être marginalisée sur le terrain du commerce international. L’histoire montre que les murs économiques n’arrêtent ni les crises, ni les transformations. En 1958, le général de Gaulle avait fait le pari qui s’est avéré gagnant d’accepter la libéralisation des échanges dans le cadre du marché commun. Choisir le repli sur soi, près de 70 ans plus tard serait sans nul doute une erreur économique.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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