Marioupol ou Guernica sur Azov. A l’entrée du siège des Nations unies se déploie une immense tapisserie, copie d’un des tableaux les plus célèbres du monde, le Guernica de Picasso. Le bombardement par la légion Condor de la petite ville avait horrifié le monde, en 1936. C’était, pour les nazis, le test d’une nouvelle tactique de terreur sur les populations civiles.
En 2022, Marioupol est pire que Guernica. La ville est rasée à 90%. Plus de 20.000 civils tués. L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), dont la Russie est membre fondatrice, constate « les attaques d’hôpitaux, de maisons et d’immeubles résidentiels, de propriétés culturelles, d’écoles, d’infrastructures d’eau et d’électricité ». L’Unicef dénonce : « les enfants sont attaqués dans des endroits où ils devraient être en sécurité : dans des écoles, dans des hôpitaux, dans des maisons, dans des abris ». Le Procureur de la Cour Pénale Internationale décrit Boutcha une « scène de crimes ». L’Unesco recense plus d’une centaine de sites du patrimoine ukrainien détruits, en violation de la Convention de la Haye de 1954. Des conventions, quelles conventions ?
« Si quelqu’un envoie des avions et des soldats pour tuer des civils, ce n’est pas de la guerre, c’est du terrorisme. »
Aigri par son échec, Poutine a nommé un nouveau général, Dvornikov, déjà éprouvé à l’inhumanité en Tchétchénie et en Syrie : L’écrasement d’Alep, c’est lui. Marioupol n’est donc pas une exception, ne sera pas une exception. Comme Guernica ne le fut pas. Kharkov est bombardé depuis un mois, 70% de Severodonetsk est détruit. Les Présidents de Pologne et des Etats baltes en visite à Kiev ont résumé : « Ce n’est pas une guerre, c’est du terrorisme. Si quelqu’un envoie des avions et des soldats pour bombarder des zones résidentielles et tuer des civils, ce n’est pas de la guerre. C’est de la cruauté, du banditisme, du terrorisme ». « Ceux qui ont autorisé ces meurtres, ces tueries, le bombardement de civils devraient tous être traduits en justice. » La justice est-elle possible dans la guerre, après la guerre ?
Staline avait signé les conventions de Genève
Après la deuxième guerre mondiale, un Staline avait signé et promu les Conventions de Genève, adoptées par tous les pays du globe. Aujourd’hui, les crimes se voient par satellite, les villes libérées livrent cadavres et témoins de viols, tortures, exécutions sommaires, pillages : tout ce qu’interdisent les conventions du droit de la guerre. Tout se voit. Inutile d’aller aux Nations-Unies pour prendre le massacre en pleine face.
Le droit de la guerre existe, depuis des millénaires. C’est ce qui distinguait le barbare du civilisé ; ce qui distingue le criminel du soldat. Les soldats russes qui ont fusillé quelques villageois pour les voler le savent : ils ont maquillé leur crime en brûlant leur maison. Même les assassins ont une conscience, même les tueurs ont une mère. Il y a un droit dans la guerre. D’où vient ce sentiment supérieur de le mépriser ostensiblement ?
Le droit de la guerre existe, l’atout « moral » est déterminant dans l’issue des guerres.
Tout d’abord d’une culture. Poutine est un élève de la force. Il se voit en successeur d’Ivan le Terrible. Sa légitimité serait là : la sainte histoire russe bâtie sur des millions de cadavres. Renvoyer à cette culture du sacrifice serait encore lui faire trop d’honneur : Poutine a la mentalité d’ « un petit caïd », comme il le dit lui-même. Il copina avec le Milieu quand il était à Saint Petersbourg, institua un cartel mafieux pour diriger la Russie, s’appuya sur des criminels en Tchétchénie, installa des chefs de gangs dans le « Donbass libéré », tous parés de titres, d’or et d’uniformes.
La culture de la poigne est celle du crime. Les crimes de guerre sont donc légitimes : ceux qui ne le comprennent pas sont des imbéciles ou des hypocrites. Beaucoup, en Occident, partagent cette conviction et le confortent. Ils se présentent comme réalistes, oubliant que le droit de la guerre existe et que l’atout « moral » est déterminant dans l’issue des guerres. Ce sont de mauvais stratèges, ceux qui croient qu’une « cause juste » est sans valeur. Les Américains ont été battus au Viêt-Nam par les manifestations à Washington, la France et le Royaume-Uni ont perdu leur empire dans la lassitude de leur capitale.
Poutine se moque ou feint de se moquer des condamnations. Il connait les limites de de l’indignation.
La culture du crime se renforce avec le sentiment de l’impunité. Syrie, Géorgie, Crimée, l’Ukraine est une suite. Exclu du Conseil des droits de l’homme (seul Kadhafi avait réussi un tel exploit), exclu du Conseil de l’Europe (une première, là aussi), Poutine se moque ou feint de se moquer des condamnations. Mais il n’a pas tort : il connait les limites de de l’indignation.
Alors se multiplient les sanctions. Si elles n’étaient pas efficaces, les pays qui les subissent ne dépenseraient pas des fortunes en lobbying pour en être délivrés. Mais aucun régime n’est jamais tombé à cause des sanctions, nul n’a changé sa politique.
Dans le cas de l’Iran, le retour à l’accord du PAGC (JCPoA) est un aveu d’impuissance : l’Iran étant proche de détenir l’arme nucléaire, mieux vaudrait le réintégrer dans la communauté internationale. C’est ce qu’expliquent les chancelleries occidentales à celles du Golfe, qui voient dans ce retour à Obama un danger mortifère. Ils préféreraient des frappes ; on les comprend.
Boycottée, la Russie cessera-t-elle de vendre du gaz, du pétrole et des matières premières ? Elle fera des rabais, mais comme les prix vont augmenter, que lui importe ? Le Rouble a retrouvé son niveau d’avant-guerre. Les taux d’intérêt sont à 20%, mais l’inflation s’est déjà portée à 16% rien qu’en mars. Selon la Banque mondiale, la Russie devrait connaitre une récession de -11% cette année. L’économie russe sera touchée, pas au point de sombrer comme le « Moskwa » en Mer noire. Et l’économie européenne aussi serait frappée : couper le gaz amputerait le PIB allemand de -3%. Tout le monde perd à la guerre, c’est pourquoi personne n’y croyait. Quoiqu’il en coûte, après le charbon et le pétrole, l’Europe boycottera le gaz russe.
Condamnations et sanctions ne suffisent ni à stopper la guerre, ni à la gagner.
L’absence de sanctions serait pire qu’un aveu de faiblesse : une acceptation. Marioupol rasé ? Oublions. Ceux qui pensent que la guerre finie, tout redeviendra comme avant se trompent. Personne n’a oublié Guernica. Et puis, il n’est pas sûr que la guerre finisse de sitôt. Toute la géopolitique mondiale sera impactée par cette guerre. Les neutres auront du mal à le rester.
Mais condamnations et sanctions ne suffisent ni à stopper la guerre, ni à la gagner. Les Russes se sont retirés de Kiev parce que leurs forces étaient en danger. Déjà plus de 15.000 soldats russes tués. Hélas, seules les armes arrêtent les armes.
Tout conflit, tout rapport de force, oblige à employer les mêmes armes que l’adversaire. Répondre à des chars par des sanctions financières n’est pas la réponse adéquate. A une attaque cyber, il faut répondre par deux attaques cyber. A une attaque terroriste par plusieurs « oblitérations » dans les pays qui soutiennent ces attaques. A des chars, des chars.
Accepter Marioupol parce qu’un tyran possède une arme folle ?
La seule alternative aux sanctions serait une intervention de type militaire. Faire droit à une demande de protection d’un pays envahi par son voisin ne revient pas à envahir le voisin. Inverser la charge de la preuve : l’entrée de forces européennes en Ukraine à la demande du gouvernement ukrainien signifierait que les Russes prendraient alors le risque d’affrontements avec l’Occident.
Biden a annoncé 800 millions de dollars d’aide militaire avec artillerie et blindés. L’Union européenne a déjà débloqué 1,5 milliards. L’Allemagne annonce 1 milliard d’aide militaire supplémentaire. « La liberté doit être mieux armée que la tyrannie » proclame Zelensky. L’engrenage est là. A chaque échec, Poutine rappelle son « assurance nucléaire ». Jeu fou ? Prétention de caïd ? Accepter Marioupol parce qu’un tyran possède une arme folle ? Après Poutine, l’Iran ? Combien de Guernica en promesse ?
Montrer que l’on cède aujourd’hui à la menace nucléaire serait annoncer que face à l’utilisation d’armes nucléaires demain on ne ferait rien. La seule façon de montrer que le crime ne paie pas est de renforcer notre soutien, voire d’engager des forces dans la protection des populations ukrainiennes le plus tôt possible. Il n’y a pas d’autre solution que de punir le crime. Et de prier toutes les mères de Russie pour qu’elles évitent à leurs fils de devenir des assassins.
Des gendarmes français en Ukraine. Et si l’un d’entre eux était tué ?
Une quinzaine de gendarmes français de l’Institut de recherche criminelle sont arrivés à Boutcha pour enquêter sur les crimes de guerre commis dans cette ville. Ce sont les premiers militaires occidentaux en Ukraine. Et si l’un d’entre eux était tué ? On ne peut que se demander à quel moment il faudra intervenir plus directement.
Et si, avec ces gendarmes, des soldats français venaient « sécuriser » les populations des villages libérés, comme ils le firent en Irak pour protéger les Kurdes des Turcs ?
Laurent Dominati
a.Ambassadeur de France
a.Député de Paris
Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press
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