Mehdi, la mutawa et le short...

Mehdi est français d’origine syrienne, et c’est un de mes meilleurs amis ici. Avec son épouse Caroline et ses deux enfants, on passe nos weekends les uns chez les autres et nous nous apprécions énormément.

Mehdi est quasiment né en Arabie et y a passé son enfance, puis son adolescence en France puis retour en Arabie pour travailler dans l’entreprise familiale de logistique. Il ne parle pas, ou très mal l’arabe et n’a qu’un défaut: il supporte le PSG.

Ces dernières années, ils vivaient à Bahreïn et lui traversait le pont pour bosser quotidiennement dans la branche de Damam de son entreprise.

Oui, mais là, il devient patron de sa société et tout le monde doit déménager à Jeddah. Je ne vous cache pas que ça ne nous arrange pas et que cela nous rend un peu tristes. Pour compenser, on a récupéré toutes leurs bouteilles d’alcool…

Quand j’ai des conseils à demander sur l’Arabie Saoudite que je n’ose pas demander aux étudiants, c’est à Mehdi que je demande, parce qu’il maitrise les deux cultures, c’est un des rares qui les maitrise à ce point d’ailleurs. En fait, il y a des tonnes de choses qui nous choquent nous, mais qui paraissent normales aux saoudiens et avoir quelqu’un qui comprenne cela est très important pour appréhender la culture d’un pays.

Donc, ces derniers temps, ils se sont préparés pour déménager et forcément, on multiplie les moments ensemble.

Il se trouve que je n’arrive jamais à évoquer le sujet de la police de la répression du vice et de la promotion de la vertu aux étudiants. Vous savez, c’est la fameuse police religieuse qui effrayait tout le monde en Arabie et qui s’appelait la Mutawa.

« une réglementation qui date de Juin 2019 supprime l’obligation du voile et de l’abaya »

Cela faisait déjà plusieurs années que cette police avait vu ses pouvoirs et ses effectifs considérablement réduits, notamment par le Roi Abdallah, puis le Roi Salmane, le tout parachevé par le quasi roi MBS. Mais je n’osais pas trop demander.

Donc non seulement ils ne peuvent plus faire grand chose, notamment vis à vis des femmes, mais même leur nom a changé. Ils s’appellent désormais, unité du bien être ou un truc dans le genre et sont plus ou moins inutiles.

Par ailleurs, j’ai demandé si Caroline, la femme de Mehdi, allait mettre une abaya, et bien figurez vous qu’une réglementation qui date de Juin 2019 supprime l’obligation du voile et de l’abaya (tissu recouvrant les vêtements) pour les femmes.

Ce n’est qu’une loi et on n’est pas encore arrivé dans les faits me direz-vous? Mehdi était avec son père au resto à Jeddah la semaine dernière et me dit qu’il y avait 90 % de femmes saoudiennes dans l’établissement et qu’une sur deux à peine était voilée, ces deux vieux routards de l’Arabie en étaient eux mêmes surpris. Je ne peux que confirmer, mais mes impressions ne concernent que la province Est, et ne sont que parcellaires.

De même, cette nouvelle loi met fin à une profonde injustice puisqu’elle interdit les vêtements indécents dont… le short pour les hommes! Oui, pour la première fois, les hommes se voient imposer des restrictions vestimentaires et ce crime contre le mauvais gout est désormais puni (l’idée du mauvais gout est de moi).

En fait, je ne comprenais pas l’esprit de cette loi et Mehdi me l’a donc expliqué. Il s’agit de mettre fin à l’injustice qui vise à croiser un peu partout des femmes bâchées à coté de leurs maris en short et t-shirt. Donc dorénavant, les femmes peuvent ne pas être bâchées MAIS les hommes n’ont pas le droit d’être en short.

Vu de notre œil d’occidentaux, on se dit que c’est tordu, mais il parait que l’esprit a très bien été compris localement (ça, pour le coup, je demanderai).

Une police religieuse qui disparait (et qui n’avait plus de pouvoirs de toute façon) et un code vestimentaire qui allège la femmes et alourdit les hommes, ça bouge doucement… mais ça bouge…

 

Arnaud Lacheret, docteur en science politique, chercheur associé au laboratoire Pacte/Sciences Po Grenoble, a notamment mené une carrière de collaborateur d’élus locaux et nationaux pendant 12 ans en alternance (et parfois en parallèle) avec une carrière d’enseignant-chercheur.

Il est actuellement directeur de la French Arabian Business School, département de l’Arabian Gulf University située au Bahreïn au cœur du Golfe Arabo-Persique.
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