Marché pétrolier : Pourquoi l’Iran n’a pas utilisé l’arme du pétrole ? 

Marché pétrolier : Pourquoi l’Iran n’a pas utilisé l’arme du pétrole ? 

Depuis deux ans, le Moyen-Orient vit sous tension permanente ce qui pourrait inquiéter les acteurs du marché pétrolier. Les attaques des Houthis contre des navires commerciaux, les offensives militaires d’Israël à Gaza et au Liban, ou encore les échanges de roquettes entre Téhéran et Tel-Aviv ont contribué à installer un climat d’instabilité. La guerre entre l’Iran et Israël, ainsi que l’intervention des États-Unis contre les sites nucléaires iraniens, ont accru les risques d’embrasement dans cette région qui demeure un acteur majeur de la production de pétrole et de gaz. Or, les marchés pétroliers restent relativement calmes.

La hausse des cours n’est en rien comparable à celle constatée lors de la guerre du Kippour en 1973 ou de la révolution iranienne à la charnière des années 1970/1980. Les prix avaient alors été multipliés respectivement par quatre et par trois. Le prix du baril, avec le déclenchement des frappes israéliennes, a augmenté de 15 %, passant de 65 à 75 dollars pour le Brent. Celui-ci a atteint près de 80 dollars avec les attaques américaines. Mais, avec l’annonce d’un cessez-le-feu par Donald Trump, le baril est revenu à 69 dollars le 24 juin.

Les investisseurs ne croient pas réellement à un scénario catastrophe pour le marché du pétrole.

Les investisseurs ne croient pas réellement à un scénario catastrophe pour le pétrole. Le blocage du détroit d’Ormuz constitue la principale menace qui pèse sur le commerce mondial d’or noir. Or, en l’état, nul n’a véritablement intérêt à ce blocage, y compris l’Iran. L’administration américaine surveille étroitement la situation et dispose de trois porte-avions pouvant intervenir à tout moment. Par ailleurs, les autres producteurs de pétrole, conscients de cette vulnérabilité depuis des années, ont pris des mesures pour, le cas échéant, faire transiter le pétrole par d’autres voies.

L’Arabie saoudite a ainsi transformé un ancien gazoduc parcourant le pays d’est en ouest en oléoduc, permettant d’exporter son pétrole via la mer Rouge. Sa capacité est de 5 millions de barils par jour, mais il est actuellement utilisé à seulement 10 %. Les Émirats arabes unis ont également mis en œuvre une solution pour se prémunir d’un éventuel blocage du détroit : ils ont investi 1,5 milliard de dollars dans des infrastructures permettant de faire transiter leur pétrole par le port de Fujaïrah, situé au-delà du détroit. L’oléoduc qui y mène peut transporter 1,5 million de barils par jour, soit la moitié de la production nationale. Le port dispose également de capacités de stockage estimées à 7,5 millions de barils. L’Iran, de son côté, a installé un terminal en dehors du détroit, à Djask, dans l’est du pays. Il permet, en théorie, d’exporter 350 000 barils par jour, soit environ 20 % de ses exportations.

Une autre voie pour l’exportation du pétrole du Moyen-Orient existe via l’oléoduc reliant l’Irak à la Turquie, d’une capacité de 650 000 barils par jour, mais celui-ci est actuellement fermé en raison des différends entre les deux pays. Malgré cela, de 15 à 20 % du pétrole, sans recourir à cet oléoduc, pourrait être acheminé par d’autres voies en cas de blocage du détroit. Pour le gaz naturel liquéfié (GNL) qatari, aucune solution alternative n’existe actuellement. Le problème concerne donc davantage le gaz que le pétrole.

L’Arabie saoudite, l’Irak, le Qatar, mais aussi l’Iran seraient les principales victimes d’une telle mesure.

Goldman Sachs estime que si le détroit était bloqué pendant un mois, le prix du baril pourrait dépasser 110 dollars. De son côté, JP Morgan évoque un scénario à 120 voire 130 dollars. La banque prévoit que les prix du TTF, principal indice gazier européen, passeraient à 74 euros le mégawattheure, contre 40 actuellement. La fermeture du détroit serait une catastrophe tant pour les consommateurs que pour les producteurs de pétrole et de gaz. L’Arabie saoudite, l’Irak, le Qatar, mais aussi l’Iran seraient les principales victimes d’une telle mesure. L’Arabie saoudite expédie 6 millions de barils par jour via Ormuz. Au moins 35 % de ses recettes publiques dépendent des exportations de pétrole qui passent essentiellement par ce détroit.

82 % du pétrole transitant par Ormuz est destiné aux marchés asiatiques.

Pour les consommateurs, les pays d’Asie, et en premier lieu la Chine, seraient les plus touchés. 82 % du pétrole transitant par Ormuz est destiné aux marchés asiatiques. Au-delà des supputations sur les prix et les conséquences d’un éventuel blocage, celui-ci est difficile à mettre en œuvre. Le minage du détroit, pratiqué lors de la guerre Iran Irak entre 1988 et 1990, reste envisageable mais suppose une exécution rapide, compte tenu de la présence sur zone de nombreux navires de guerre étrangers. La cinquième flotte américaine dispose des capacités d’intervenir en temps réel, avec l’appui de bâtiments britanniques, français et saoudiens.

Le droit international autorise les marines de guerre à assurer la liberté de navigation dans le détroit et à escorter les navires civils. Le recours à des navires pour barrer l’accès au détroit serait délicat, car ils sont vulnérables aux drones. Le danger pourrait provenir des drones kamikazes et missiles iraniens ou houthis. Ils peuvent néanmoins être interceptés, comme l’illustre la défense israélienne, avec une efficacité de 90 à 99 %. Les rampes de lancement seraient rapidement neutralisées.

Une violation de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer.

Le blocage du détroit constituerait une violation de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, à laquelle Téhéran est signataire, qui garantit le libre « passage inoffensif » (ne transportant ni armes ni soldats) des navires. Les deux voies navigables, larges de 3 km chacune, entrant et sortant du détroit, ne se trouvent pas dans les eaux territoriales iraniennes, mais dans celles du sultanat d’Oman. Un blocage complet serait donc considéré comme un acte de guerre envers Oman, mais aussi envers tous les pays utilisateurs du détroit : Arabie saoudite, Irak, Émirats arabes unis, Qatar, Koweït. Déjà isolé, l’Iran risquerait de devoir affronter une large coalition internationale, jusqu’à une remise en cause possible du régime.

Durant la guerre des Douze Jours, le détroit est resté navigable, même si des incidents ont été recensés. Le brouillage des transpondeurs, d’abord limité aux abords d’un port iranien, a désorganisé la navigation dans tout le Golfe. Le 16 juin, il a provoqué la collision de deux pétroliers au large des Émirats. Les Israéliens ont ciblé des infrastructures iraniennes proches du détroit, servant essentiellement à la consommation intérieure, sans affecter directement les exportations. Tsahal n’a pas réellement bombardé les champs pétroliers afin de ne pas pousser l’Iran dans ses retranchements.

Si les investisseurs ne croient pas au scénario du pire, ils intègrent néanmoins une prime de risque. Un changement de régime à Téhéran ne modifierait sans doute pas fondamentalement la donne : les précédentes révolutions dans le Proche et le Moyen-Orient se sont, en effet, accompagnées de graves troubles. Malgré les tensions extrêmes au Moyen-Orient, le marché pétrolier fait preuve d’une remarquable résilience. Cette stabilité relative s’explique par la combinaison de plusieurs facteurs : l’absence d’intérêt stratégique pour un blocage durable du détroit d’Ormuz, la préparation logistique des pays producteurs à des scénarios de crise, et la capacité de réaction militaire occidentale.

Si le risque d’escalade ne peut être écarté, les infrastructures alternatives mises en place ces dernières années, notamment en Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis et en Iran, permettent de contenir partiellement les conséquences d’un éventuel blocage. L’abondance du pétrole sur le marché dans un contexte de ralentissement de l’économie mondiale explique également la relative modération de la hausse du cours du pétrole pendant la crise. Avec le cessez-le-feu et la fin a priori de la guerre de 12 jours, le marché pétrolier semble retrouver progressivement son calme.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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