Le mal n’est pas seulement une catégorie morale, il est un phénomène physique, visible, mesurable sur une carte, celle du monde, avec ses frontières.
À Moscou le cercueil de Navalny, est entouré par une foule qui ose braver le Tsar. À Téhéran, une parodie d’élection, hommage à la démocratie bafouée, cherche à éteindre la Révolution des femmes. À Gaza, la foule s’empare des camions de secours, se piétine, les balles de soldats israéliens tuent. Netanyahou, au lieu d’évoquer[1] Amalek devrait se rappeler le triomphe du mal dans Job : « De la ville on entendait gémir les mourants, les blessés dans un souffle crier à l’aide, et Dieu resta sourd à la prière »[2]. Cela évoque les massacres des Palestiniens par le roi de Jordanie, celui d’Alep par Assad, des Yéménites par les Houthis, de Marioupol par Poutine. Extension stupéfiante du mal au pays qui honore les « Justes ». Sur la carte du monde, l’épidémie gagne.
Sur la carte du monde, l’épidémie gagne
Comment combattre le mal ? « Aimer son ennemi » dirait le Pape ? Gandhi avait face à lui des Britanniques, pas les Nazis ou les Khmers. Extraordinaire courage des amis de Navalny et des femmes iraniennes.
À l’inverse de « tendre l’autre joue », répondre à un massacre par un massacre plus grand encore, donne le goût du sang et non la victoire. Gaza détruit est une gloire pour le Hamas. Il rayonne sur le monde, de Lula au Festival de Berlin, en passant par les universités anglo-saxonnes. Jamais Israël n’a été aussi faible. L’antisémitisme s’est réveillé, avec une fausse jeunesse toute fraîche. Ceux qui crient « Free Palestine du Jourdain à la Mer », croyant dénoncer un génocide, en appellent un nouveau. Assurément, face au Hamas, la violence ne suffit pas.
Face à Poutine, le courage non plus. Ni celui de Navalny et quelques autres, ni celui d’Ukrainiens qui réclament des armes, toutes les armes. Aider à demi n’est pas aider.
Aider à demi n’est pas aider
La maladresse de Macron est une faute, pas une erreur. Ce n’est pas à Poutine de fixer les limites de l’aide apportée à l’Ukraine. Faire preuve d’une détermination totale, notamment face à un adversaire qui agite la bombe nucléaire tous les trois mois, était le but du sommet de Paris. Envoyer des formateurs, des spécialistes du déminage, du ciblage, du renseignement, est une évidence. Scholz, tout en recadrant le Président français, avoue, à la grande fureur des Britanniques, que des « troupes » y sont déjà : Il explique qu’il ne peut envoyer des missiles « comme les Britanniques et les Français » aux Ukrainiens, parce que ceux-ci ont besoin de conseillers pour fixer les cibles…« Même le sot, s’il se tait, peut passer pour un sage ». On parle trop en temps de guerre, ruse du malin.
Le New York Times a évoqué douze bases de la CIA en Ukraine, où elle travaille avec les renseignements ukrainiens. On l’imaginait : les commandos ukrainiens sont bien renseignés, et les frappes lointaines de drones précises.
La sortie de Macron se voulait un électrochoc, elle créa un choc en retour. Les alliés montrent leur désunion, leurs hésitations, leurs peurs. Les vieilles amitiés poutiniennes ressurgissent, à l’extrême gauche, à l’extrême droite. Poutine est content.
Biden est en campagne. Il avait d’ailleurs déclaré que jamais un soldat américain n’irait défendre l’Ukraine, ce qui fut interprété par Poutine comme un laissez-passer. Double erreur, de Poutine et de Biden. Un « non » ferme aurait évité des centaines de milliers de morts. On parle trop. Ne pas laisser d’espace au mal.
Les vieilles amitiés poutiniennes ressurgissent
La tradition isolationniste américaine est forte. Les Américains ont refusé d’intervenir contre Assad, se sont retirés de Syrie, ont laissé l’Afghanistan aux Talibans et l’Irak à l’Iran.
Biden ne peut laisser entendre que les États-Unis s’engageront plus encore contre la Russie. L’aide au Congrès est bloquée. La sortie de Macron gêne. Les alliés européens se sont alignés d’autant plus vite sur Washington qu’ils en dépendent pour leurs armes et leur défense.
La France n’est pas dans cette position. Elle a l’arme nucléaire. Elle a une industrie militaire. Des avions meilleurs que ceux des Russes, voire des Américains. Elle peut parler sans l’aval des Américains. Ce n’est pas pour cela qu’elle le doit.
De plus, elle subit des attaques ciblées de la part des Russes : attaques cyber, campagnes de désinformation, menaces directes. La Russie menace de s’emparer de la Transnistrie, sécession de la Moldavie, où la France a envoyé des troupes. La Biélorussie est un autre front menaçant, où Poutine a transféré des armes nucléaires. Les F-16 promis arrivent bientôt, mais comment les protéger, comment les entretenir sans formateurs, sans systèmes de défense, avec, sinon des troupes, en tout cas des spécialistes militaires ? Signaler leur présence est une façon de dire aux Russes qu’il ne faut pas y toucher.
On dira qu’à chaque pas la guerre s’accroît. La guerre porte au-delà du front.
L’ennemi à nos portes, l’ennemi en nous
Ces dernières semaines on apprend que le KGB, d’où vient Poutine, entretenait des agents haut placés dans les journaux et le monde politique : Hernu, ministre de la Défense, Estier, patron du groupe socialiste, Paul Marie de la Gorce, directeur de Radio France internationale, Grumbach directeur de l’Express, journalistes du Canard enchaîné, du Monde diplomatique, de l’Humanité, d’Europe 1, du Figaro, de TF1 … L’antiaméricanisme a toujours fourni des soutiens, rémunérés ou pas, à la Russie ou à d’autres, l’Iran des Ayatollahs, le Cambodge des Khmers rouges, l’Irak de Saddam. Voilà qu’on redécouvre au passé l’image du présent : la Russie multiplie ces pratiques de désinformation et d’influence, avec des armes nouvelles.
Qu’attendent les résistants à l’oppression des Ayatollahs ? Du soutien, de la reconnaissance. Que l’on parle pour eux parce qu’on les fait taire. De même pour l’opposition russe. Manque une organisation pour les centaines de milliers de Russes en exil. Les Palestiniens sont-ils tels que Netanyahou les juge, complices du Hamas, ? N’y a-t-il personne en Palestine, aucune voix, aucune chance de donner la parole, de donner crédit à des non-terroristes ?
Non seulement le mal se pare des habits du bien, de la défense de la civilisation face à la décadence, comme le dit Poutine, de la vraie religion, de la lutte contre l’impérialisme, mais la victime peut être aussi le bourreau, comme le montre aussi Israël : Il y a autant de victimes innocentes que de bourreaux possibles. Quel est le signe que l’on reste dans le camp du juste ?
Bataille mondiale pour éviter le débordement du mal dans une guerre mondiale.
Trois signes : un, la lutte contre le mal fait mal. Il y a un prix, un risque. Deux, la lutte contre le mal ne peut faire l’unanimité, elle se discute. Les réticences et hésitations, en Europe, aux États-Unis, se comprennent. En Russie, en Iran, en Corée du Nord, il n’y en a pas. Trois, la lutte dépasse la seule défense de soi, que ce soit le seul intérêt ou le seul confort moral. Elle se fait par des réseaux, des liens qui dépassent clivages et frontières, qui dépassent opinions, convictions, partis – comme la Résistance (et non comme un mouvement terroriste, type Hamas). Elle installe ce qui se voit au premier coup d’œil : la fraternité, pas seulement celle des armes, celle d’une espérance, la construction de l’après, la paix.
Celle-ci viendra, en Russie, en Iran, en Palestine, en changeant aussi les structures de pouvoir interne. Développer des réseaux d’influence, attaquer le mal à sa racine, l’obligation de se maintenir au pouvoir par la force. Le Mal est sans frontière, il est aussi interne. Heureusement, la lutte contre le mal aussi est sans frontière. Bataille mondiale pour éviter le débordement du mal dans une guerre mondiale.
Laurent Dominati
a. Ambassadeur de France
a. Député de Paris
Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press
[1] « Quand donc l’éternel ton Dieu, t’aura délivré de tous les ennemis qui t’entourent, et qu’il t’aura assuré la sécurité dans le pays qu’il te donne en héritage pour que tu en prennes possession, tu effaceras la mémoire d’Amalek, de dessous le ciel. Ne l’oublie pas » Deutéronome 25: 19
[2] Job, 24.4-12.
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