L’espace Schengen est censé être une zone de libre circulation. Ces dernières années cependant, certains États membres de l’Union européenne (UE) multiplient les opérations de contrôle à leurs frontières nationales, au risque de fragmenter l’espace sans frontières.
Signés en 1985, les accords de Schengen sont entrés en application en 1995. L’espace qu’ils définissent est considéré comme l’une des plus grandes réussites de l’UE, car il permet à ses citoyens de voyager entre les États membres sans être soumis à un seul contrôle.
L’espace Schengen compte 29 pays membres depuis mars 2024, avec les adhésions partielles de la Bulgarie et de la Roumanie, limitées à leurs frontières maritimes et aériennes.
Comme l’a rappelé un porte-parole de la Commission européenne, les contrôles aux frontières au sein de cette zone « doivent rester exceptionnels, strictement limités dans le temps et constituer une mesure de dernier recours, si une menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure a été établie ».
Cependant, l’enthousiasme des États membres de l’UE pour les contrôles frontaliers, qui est contraire au projet Schengen, est de plus en plus marqué. En Allemagne, les contrôles auparavant effectués uniquement en Bavière se sont étendus au reste du pays. Et Berlin, autrefois fervent défenseur de la libre circulation, ne cesse de les renforcer.
« Les contrôles aux frontières resteront aussi longtemps que nécessaire », a déclaré Nancy Faeser, ministre allemande de l’Intérieur (Parti social-démocrate, SPD), lors d’une visite à la frontière polonaise au début du mois d’août.
Fort du succès des contrôles mis en place lors du Championnat d’Europe de football 2024, le chef de file des conservateurs allemands (CDU-CSU, Parti populaire européen/PPE), Friedrich Merz, estime que « les contrôles frontaliers doivent être maintenus », une décision désormais soutenue par le SPD (Socialistes et Démocrates européens/S&D) et le centre droit.
Les experts observent également partout ailleurs une nette tendance à l’augmentation des contrôles aux frontières. « En Allemagne, les responsables politiques ne remettent plus en question l’idée que ces derniers sont positifs », explique Daniel Thym, spécialiste du droit européen à l’Université de Constance.
Cet engouement s’inscrit dans une tendance qui a débuté en 2011, lorsque le président français Nicolas Sarkozy avait fait campagne pour une réforme de Schengen, menaçant même de retirer la France de l’espace de libre circulation. « Les accords de Schengen ne peuvent plus répondre à la gravité de la situation », avait-il déclaré en 2012 suite à une querelle avec son homologue italien.
Les attaques contre Charlie Hebdo et le massacre du Bataclan en 2015 à Paris ont conduit la France à poursuivre avec un zèle renouvelé les contrôles aux frontières, invoquant des raisons de sécurité nationale.
« La France a effectué des contrôles frontaliers durant des années », continue Daniel Thym, avant que d’autres pays ne prennent des mesures similaires.
L’Autriche a par exemple ignoré un arrêt de 2022 de la Cour de Justice de l’UE (CJUE) concernant l’illégalité de ses contrôles frontaliers. La Slovénie a mis en place des contrôles à ses frontières avec la Croatie et la Hongrie, tandis que l’Italie effectue des contrôles à toutes ses frontières. La Suède a quant à elle restreint la liberté de circulation des personnes en provenance de Copenhague, la capitale du Danemark, pour faire face à une recrudescence de la criminalité.
« Nous avons plus que jamais besoin de contrôles intensifs aux frontières pour des raisons de sécurité et de politique migratoire », a expliqué le ministre de l’Intérieur de Bavière, Joachim Herrmann, à l’agence de presse allemande dpa.
En conséquence, l’espace Schengen est désormais fragmenté par des contrôles qui s’étendent de la mer Baltique à la mer Adriatique.
Schengen 2024 : un espace plus ou moins sans frontières
« La Commission et le coordinateur de l’espace Schengen travaillent en étroite collaboration et se réunissent régulièrement avec les États membres qui effectuent actuellement des contrôles à leurs frontières », a affirmé un porte-parole de la Commission européenne.
Bruxelles s’efforce ainsi de convaincre les États membres d’envisager des « alternatives », comme des contrôles de police ciblés, pour répondre aux préoccupations en matière de sécurité, « sans recourir à la réintroduction de contrôles aux frontières intérieures », a ajouté le porte-parole.
Daniel Thym reste pourtant sceptique quant à l’efficacité de l’approche de Bruxelles, étant donné la complexité des défis à relever. « Les États membres de l’UE manquent de réponses à certains enjeux sécuritaires, comme ceux entraînés par les migrations et ils utilisent donc les contrôles aux frontières pour faire du théâtre », explique-t-il.
« C’est la raison pour laquelle l’idée de la Commission d’avoir des alternatives aux contrôles frontaliers ne sera probablement pas très efficace », conclut-il.
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