L’OCDE comme le FMI mettent en garde les États face aux dangers du protectionnisme. Depuis plusieurs années et surtout depuis la crise sanitaire, les obstacles aux échanges mondiaux se multiplient au nom du souverainisme économique ou de la protection de l’environnement. Compte tenu de sa forte dépendance au commerce extérieur, l’Europe ne risque-t-elle pas d’être la principale victime de cette montée du protectionnisme ?
Pourquoi l’Europe a-t-elle besoin d’exporter ?
Pourquoi l’Europe a-t-elle besoin d’exporter ? Au-delà du financement des importations, les exportations sont indispensables pour l’Union européenne en raison du vieillissement démographique auquel elle est confrontée. La stagnation voire le déclin de la population s’accompagne d’une atonie de la demande intérieure et donc de la croissance. Or, pour financer les dépenses publiques, les États européens se doivent de maintenir une croissance positive. Faute de pouvoir compter sur la demande interne, ils sont dans l’obligation d’augmenter leurs exportations. La contribution du commerce extérieur est amenée à jouer un rôle de plus en plus important dans la croissance économique.
Depuis plus de vingt ans, l’Allemagne a opté pour ce modèle de développement. La montée du protectionnisme et l’arrivée de nouveaux concurrents remettent en cause cette stratégie. Les échanges extérieurs génèrent un nombre important d’emplois en Europe. Selon une étude d’Eurostat, les exportations de l’Union à destination du reste du monde représentent 36 millions d’emplois, soit 66 % de plus qu’en 2000. Les emplois liés à l’export sont en moyenne rémunérés 12 % de plus que les emplois dans le reste de l’économie.
L’Europe, plus exposée que les autres grandes zones économiques aux évolutions du commerce international
L’Europe est le deuxième exportateur mondial derrière la Chine et le deuxième importateur mondial derrière les États-Unis. Si près de 60 % des échanges européens sont réalisés au sein même de l’Union, les vingt-sept États membres échangent aussi avec le reste du monde. Ils sont dépendants pour l’énergie des Pays du Golfe et des États-Unis, ces derniers ayant remplacé, en 2022, pour le gaz, la Russie. Ils sont dépendants pour de nombreuses matières premières. A contrario, ils sont exportateurs de produits agroalimentaires, de biens industriels et de services. Ils ont pour partenaires extérieurs privilégiés les États-Unis, le Royaume-Uni et la Chine.
La Chine figure en tête pour l’origine des importations en 2022, tandis que les États-Unis étaient le premier destinataire des exportations de biens de l’Union suivis par le Royaume-Uni, la Chine, la Suisse, la Turquie, le Japon et la Norvège.
Plusieurs facteurs pèsent sur les échanges commerciaux : ralentissement économique de la Chine, tensions géopolitiques croissantes, évolution de la demande.
La Chine est affectée par la faiblesse de sa demande intérieure en raison des craintes que génère sa crise immobilière. Le vieillissement et la décroissance amorcée de sa population en 2022 contribuent également à freiner la croissance de la consommation. La demande intérieure qui augmentait de plus de 8 % dans les années 2010 progresse désormais de moins de 5 %. La croissance des importations en valeur a été nulle en 2023 après des augmentations de plus de 10 % au début des années 2010. Les importations d’origine européenne ont régressé en 2023 ce qui a touché en premier lieu l’Allemagne. La faiblesse des importations de la Chine risque d’être durable avec des ménages qui privilégient l’épargne en vue de la retraite. Le taux d’épargne des ménages chinois était de 30 % en 2023. Les autorités chinoises ont, en outre, tendance à durcir leurs relations commerciales et à réagir aux mesures protectionnistes que l’Europe met en place. Les dispositifs pour lutter contre les exportations de voitures chinoises en France et dans d’autres pays européens pourraient entraîner des répercussions.
Les échanges européens sont également menacés par la montée du protectionnisme américain
L’Allemagne qui est le premier exportateur de la zone euro en Chine essaie de limiter les mesures protectionnistes, consciente qu’elle aurait plus à y perdre qu’à y gagner.
Les échanges européens sont également menacés par la montée du protectionnisme américain. L’éventuelle réélection de Donald Trump au mois de novembre prochain, ne ferait qu’accroître ce risque. Ce dernier a prévu d’instituer une taxe d’au moins 10 % sur l’ensemble des importations. Cette politique freinera les exportations de la zone euro vers les États-Unis. En 2023, Ces derniers absorbaient 16 % des exportations de biens de la zone euro et 17 % de celles des services.
Le poids des États-Unis dans les exportations européennes est en constante augmentation depuis le début des années 2010 (+3 points tant pour les biens que pour les services). Les échanges avec les États-Unis sont à forte valeur ajoutée. Leur réduction en lien avec les mesures protectionnistes serait préjudiciable à la croissance européenne d’autant plus qu’elle pourrait s’accompagner de mesures de rétorsion.
Transition énergétique et vieillissement démographique
La demande évolue sur fond de transition énergétique et de vieillissement démographique. Les voitures électriques remplacent celles à moteur thermique donnant un avantage aux constructeurs chinois pouvant compter sur une production nationale importante de batteries. La Chine dispose, par ailleurs, d’importantes mines de terres rares lui permettant de miser sur le cours de ces dernières et de favoriser ses constructeurs automobiles.
Le vieillissement démographique diminue, de son côté, la demande intérieure en particulier de biens industriels. Avec une demande intérieure étale, la zone euro compte sur le commerce extérieur pour sauver sa croissance. Or, celui-ci est menacé par le ralentissement de la Chine et la politique protectionniste des États-Unis.
La zone euro risque d’être la principale victime du ralentissement du commerce international. Pour en limiter les conséquences, l’Union européenne aurait tout avantage à renforcer les liens entre les États membres et éviter la montée des obstacles commerciaux en son sein. Le vieillissement démographique et la hausse du taux d’épargne génèrent dans la zone euro une faible croissance de la demande intérieure. Si ses exportations vers la Chine et les États-Unis stagnent ou reculent, la croissance de la zone euro deviendra très faible, et les entreprises européennes n’auront pas d’autre choix que d’investir aux États-Unis.
Auteur/Autrice
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Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.
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