Principal du collège Anatole France de Casablanca (Maroc) depuis 4 ans, Didier Aribaud a décidé d’instaurer l’obligation du port de l’uniforme à l’école à partir de la rentrée prochaine. Une décision qui fait débat et polémique. Pourtant celle-ci fait suite à plus d’un an de réflexion partagée (et validée) avec les principales associations de parents d’élèves (UCPE / PEEP).
Mais, ce choix est réprouvé par la CIPE (Coordination Indépendante des parents d’élèves Anatole France), minoritaire lors du vote, cependant déterminée à faire entendre sa voix. Pour comprendre la situation, nous avons interrogé la direction de l’établissement, une représentante de la PEEP (Parents d’Élèves de l’Enseignement Public) et on a fait le point avec les parents contestataires.
La tenue officielle : une identité commune
Lesfrancais.press : « Au collège Anatole France de Casablanca, comment expliquez-vous les crispations
sur fond de colère de certains parents d’élèves suite à votre décision
de rendre obligatoire le port de l’uniforme à l’école pour la rentrée scolaire prochaine ? »
Didier Aribaud : « Je comprends tout à fait les réticences de certaines familles. Celles-ci nous rapportent le ressenti de leur enfant qui, en tant qu’adolescent, craint que la tenue officielle n’efface sa personnalité et porte atteinte à l’expression de son originalité.
C’est la raison pour laquelle nous avons constitué un groupe de travail qui a étudié les habitudes vestimentaires de nos élèves. La grande majorité d’entre eux porte déjà jogging et tee shirt. C’est ce que nous avons proposé en partant de l’existant et en proposant des modèles proches de la tendance actuelle. »
Lesfrancais.press : « Qu’est-ce qui a motivé votre décision ? »
Didier Aribaud : « J’ai pu constater que nos élèves, lors des événements sportifs ou culturels organisés par le collège, sont fiers d’arborer la tenue sportive de leur établissement. Porter un uniforme à l’école renforce une identité commune, leur rappelle qu’ils appartiennent à un même groupe et cela peut les motiver à s’impliquer davantage et à respecter les règles du « vivre ensemble ».
« Notre intention n’est pas d’imposer sans dialogue mais de répondre à un objectif pédagogique »
Didier Aribaud, Principal du collège Anatole France de Casablanca
Dans la situation actuelle, ils peuvent se sentir dévalorisés par leur tenue, par la qualité ou la marque de leur vêtement, peuvent se sentir fragilisés dans leur estime d’eux-mêmes. Porter la même tenue que tous leurs camarades les aide à développer la confiance en eux-mêmes. De manière plus pragmatique, les parents présents dans le groupe de travail ont mis en avant la facilité du choix vestimentaire du matin, les polémiques et disputes évitées au sujet du vêtement choisi par leur enfant et à sa conformité à une tenue qui respecte la bienséance. »
L’uniforme : décision unilatérale ou collective ?
Lesfrançais.press : « Du côté des parents d’élèves contestataires regroupés au sein d’une coordination (CIPE), on qualifié cette décision "d’unilatérale" "sans écoute réelle de l’administration, est-ce le cas ? »
Didier Aribaub : « Contrairement à ce qui a été avancé, la démarche a été faite de manière collaborative. Les parents d’élèves sont invités à se fédérer, par vote, autour d’une association de parents d’élèves qui portera leur voix aux différents conseils d’établissement qui régissent la vie d’un établissement scolaire., comme le port de l’uniforme à l’école.
« L’instauration de l’uniforme est le fruit d'une démarche collaborative et a été adoptée par le vote des parents d’élèves »
Didier Aribaud, Principal du collège Anatole France de Casablanca
Lors de celui du 17 octobre, il a été constitué un groupe de travail réunissant une vingtaine de personnes parmi des parents d’élèves, des enseignants, des élèves et de l’équipe de direction. La proposition faite par ce groupe de travail a été envoyée à tous les parents qui devaient se rapprocher de leur fédération en vue du vote opéré le 13 mars 2025. »
Lesfrançais.press : « Autres griefs et critiques exprimés par ces parents d’élèves, l’impact économique de votre décision alors que les frais de scolarité ne cessent d’augmenter chaque année ? Certaines familles allant jusqu'à dépenser jusqu'à 70 % de leurs revenus pour financer la scolarité de leurs enfants, quelle est votre réponse par rapport à ces situations ? »
Didier Aribaud : Le cahier des charges indiquait que le montant maximum des frais à engager ne devait pas excéder 1500 dirhams (environ 150 euros) pour 12 pièces. À titre comparatif, pour 9 pièces, d’autres établissements de la place facturent entre 2500 dirhams (environ 250 euros) et 3000 dirhams (environ 300 euros). Le prestataire prend directement les commandes sur son site et le collège Anatole France ne fait aucun bénéfice sur les ventes.
Le collège s’engage à prendre en charge, pour les familles françaises bénéficiant de bourses, 80% de leur taux de bourse. A titre d’exemple, le reste à charge pour une famille boursière à 100% est donc de 300 dirhams (environ 30 euros) pour les 12 pièces, consituant l’uniforme à l’école. »
Lesfrancais.press : Quel a été le modus operandi utilisé pour la prise de décision, il se murmure que cela fait plus d’un an qu'elle serait dans l’air du temps ?
Didier Aribaub : « La décision de la mise en place du port de l’uniforme à l’école a été mûrement réfléchie au regard de la tendance française, d’une part, qui la propose dans bon nombre d’établissements publics de l’hexagone, mais aussi de la majorité des établissements français de Casablanca à la rentrée 2025. Le port de l’uniforme n’est pas une simple mesure vestimentaire. C’est un symbole qui permet de développer un sentiment d’appartenance fort, et de valoriser l’image du collège. Quand les élèves portent l’uniforme, ils portent aussi les valeurs de l’établissement. Cela peut être source de fierté, de cohésion, et de motivation. »
L’uniforme : une phase d’expérimentation à la rentrée 2025 ?
Lesfrancais.press : « Alors que la fin de l’année scolaire pointe, est-ce à dire que la décision est irrévocable et que le dialogue est rompu avec les parents d’élèves contestaires ? »
Didier Aribaub : « Le dialogue n’est bien entendu pas rompu. J’ai pu rencontrer, à plusieurs reprises, les familles mécontentes qui m’ont exprimé leur désaccord.
« La rentrée 2025 / 2026 est une phase d’expérimentation constructive qui permettra d évaluer ensemble les effets de cette mesure »
Didier Aribaud, Principal du collège Anatole France de Casablanca
Nous avons pris en compte certaines des demandes, réfléchissons à d’autres, et sommes toujours à l’écoute des pistes d’amélioration que nous pourrions mettre en place. L’année 2025-2026 sera une phase d’expérimentation constructive qui nous permettra d’évaluer ensemble les effets de cette mesure et d’en tirer les enseignements utiles. »
Lesfrançais.press : « Qu’est-ce qui est prévu pour tout élève non muni de l’uniforme scolaire obligatoire à la rentrée prochaine ? »
Didier Aribaud : « Comme le stipule notre règlement intérieur, le port de l’uniforme à l’école sera obligatoire à la rentrée prochaine. Une période d’adaptation permettra aux élèves qui auraient effectué leur commande et qui ne l’aurait pas reçue, de rentrer en classe. Nous espérons sincèrement que la mise en place de cette tenue officielle sera comprise des quelques familles en désaccord et que la majorité de ceux qui y sont favorables saura les convaincre. Notre intention n’est en aucun cas d’imposer sans dialogue, mais de répondre à un objectif pédagogique et éducatif : favoriser l’égalité, renforcer le sentiment d’appartenance à la communauté scolaire et promouvoir les valeurs humanistes du Collège Anatole France de Casablanca. »
Tenue unique : quel dialogue avec les parents d’élèves
Lesfrancais.press : « Que pensez-vous des "frictions" entre la direction du collège Anatole France et des parents d’élèves qui contestent la décision prise du port de l’uniforme obligatoire à partir de la rentrée prochaine ? »
Nathalie Rocamora : « Dans tout changement, il y a des réticences dont le port de l’uniforme à l’école, comme au collège Anatole France, ne fait pas exception. Certains parents s’y opposent et le font savoir mais la majorité des parents y sont favorables. Le collège Anatole n’est pas le premier et ne sera pas le dernier à mettre en place une tenue unique pour ses élèves.
C’est une idée nouvelle comme l’a été la mise en place de la réforme sur le choc des savoirs (certains parents aussi étaient réticents). Et cette réforme est un réel succès pour les apprentissages.
Lesfrancais.press : « Qu'en est-il de la participation des différentes associations de parents d'élèves ( UCPE, PEEP, APEF...) à la prise de cette décision ? »
Nathalie Rocamora : « En tant que représentante de la PEEP, je ne peux pas parler au nom des autres associations. En revanche ce que je peux vous dire c’est que nous avons travaillé ensemble dans un groupe de projet avec toute la communauté éducative.
«Les associations ont été associées ainsi que les parents et les élèves»
Nathalie Rocamora, représentante de la PEEP
Les associations ont été associées ainsi que les professeurs, les élèves. Cette décision a été votée lors d’un CE extraordinaire.
Lesfrancais.press : « Manque d'écoute, irrégularité dans le processus de prise de décision, charge financière supplémentaire alors que les frais de scolarité augmentent constamment... Autant de griefs avancés par les parents contestaires envers la direction de l’établissement scolaire ? »
Nathalie Rocamora : Le manque d’écoute n’est pas recevable car les associations de parents ont été non seulement consultées mais associées au projet. Il est évident que l’établissement n’allait pas demander l’avis à plus de 750 familles. Les associations sont là pour échanger avec l’établissement sur le bien-être des enfants dans leur scolarité. Concernant une irrégularité dans le processus de décision, je ne vois pas de quoi il s’agit.
« Les frais de scolarité augmentent sans arrêt...voilà le vrai combat »
Nathalie Rocamora, représentante de la PEEP
Pour ce qui est de la charge financière, le pack essentiel est proposé à environ 1500 dh. C’est le prix d’une paire de basket de marque. Si vous comparez ce tarif avec ce qui est pratiqué dans d’autres établissements, vous verrez qu’il est très compétitif. Le budget habillement auprès des franchises dépassent largement ce montant.
Pour les parents boursiers, le pack sera pris en charge par le collège et ils n’auront même pas à faire d’avance. Les frais de scolarité augmentent sans arrêt…voilà le vrai combat. Je fais le vœu d’autant de mobilisation des parents contestaires pour ce sujet.
Lesfrancais.press : « Pensez-vous que cette situation sous « tensions » pourrait perturber la prochaine rentrée scolaire ? »
Nathalie Rocamora : « La décision de la tenue unique est une décision souveraine du collège inscrite dans le règlement intérieur. Si les parents ne veulent pas respecter le règlement intérieur, ils sont libres d’aller dans un autre établissement. Je ne sais pas si la rentrée scolaire sera perturbée mais en tout état de cause je ne le souhaite pas à nos enfants. »
Qui s’opposent à la tenue unique au collège Anatole France de Casablanca ?
Regroupé au sein d’un collectif CIPE (Coordination Indépendante des parents d’élèves) Collège Anatole France de Casablanca, les parents « contestataires » et « mécontents » poursuivent leur mobilisation contre la décision du collège Anatole France de Casablanca d’imposer un uniforme obligatoire qui selon eux est « entaché par un processus entaché d’irrégularités et non concerté ».
Une pétition a été initiée pour tenter d’inverser la tendance. Les membres du Collège CIPE ont souhaité répondre à nos questions via un communiqué que nous publions dans son intégralité :
L' « Uniforme de la Discorde »
« La Coordination Indépendante des Parents d’Élèves (CIPE), collectif des parents d’élèves de la Mission Francaise, Collège Anatole France, informe les parents et l’opinion publique de son opposition ferme à la décision unilatérale prise par l’administration du Collège Anatole France de Casablanca d’imposer le port de l’uniforme scolaire à compter de la prochaine rentrée scolaire de septembre 2025.
Cette mesure adoptée sans aucune concertation préalable avec les parents ni les élèves, a été communiquée aux parents après la signature du règlement financier garantissant l’inscription pour l’année prochaine.
Une procédure contestée : La CIPE dénonce une procédure expéditive, une décision sans consultation des premiers concernés, l’envoi de mails menaçants d’exclusion de la part de l’administration et la modification du règlement intérieur le 10 juin soit après prise de la décision. Au-delà d’un processus entaché d’irrégularités, la CIPE s’oppose fermement à l’impact économique de cette décision, alors que les frais de scolarité ne cessent d’augmenter, mettant les familles sous pression financière.
Par ailleurs, cette obligation porte atteinte à la liberté des élèves et risque d’engendrer des discriminations sociales. La CIPE déplore la politique de la « sourde oreille » de l’administration qui souhaite imposer sa décision sans se soucier du refus de la majorité des élèves et des parents.
La CIPE reste déterminée à utiliser tous les moyens légaux à sa disposition, afin de défendre l’intérêt des élèves et des parents, et à concrétiser les objectifs de ce mouvement juste, indépendant et historique. »
C’est donc un véritable « face à face » distanciel que mène actuellement la direction du collège Anatole France de Casablanca et le collectif CIPE. Un « bras de fer » qui, espérons-le, tournera, avant tout, à l’avantage des élèves et de leur scolarité.
Auteur/Autrice
-
Rachid Hallaouy est journaliste et éditorialiste installé au Maroc depuis 2006. Après avoir collaboré avec de nombreux médias en presse écrite (L’Economiste), électronique (Yabiladi) et audiovisuel (France 24), il a rejoint Luxe radio pour y lancer en 2011 un concept de débat d’idées traitant de sujets politiques et économiques.
Voir toutes les publications