Alors que l’Ukraine se prépare au pire, à savoir une éventuelle invasion russe, des diplomates européens ont expliqué, lundi (24 janvier), qu’ils regrettaient que la décision américaine d’évacuer les familles des diplomates de Kiev puisse être interprétée comme un signe que l’Occident approuve un tel scénario.
« Tout est sous contrôle, il n’y a aucune raison de paniquer », a assuré le président ukrainien Volodymyr Zelenskiy à l’issue d’une réunion du Conseil national de sécurité et de défense du pays, lundi (24 janvier) à Kiev.
Il a fait écho aux commentaires des responsables ukrainiens et occidentaux, qui ont tenté de donner l’image d’un semblant de normalité, soulignant le fait que l’invasion avait commencé en 2014, lorsque Vladimir Poutine a annexé la Crimée et donné le coup d’envoi d’un violent soulèvement séparatiste dans la région du Donbass, à l’est du pays.
En effet, le climat qui règne dans la capitale ukrainienne reste serein : les magasins et les cafés sont animés et il y a peu de signes visibles de panique, et ce en dépit de la décision des ambassades américaines et britanniques d’évacuer tout le personnel « non essentiel » en raison des avertissements d’une attaque russe.
Les Ukrainiens interrogés par EURACTIV ont expliqué que la guerre se déroule depuis huit ans dans le pays, même si certains ont reconnu avoir pensé à des plans d’urgence en cas d’invasion.
Selon une récente enquête menée par l’Institut international de sociologie de Kiev (KIIS) réalisée en début de semaine, quelque 48,1 % des Ukrainiens perçoivent le renforcement des troupes russes à la frontière comme une menace réelle d’invasion cet hiver ou ce printemps. Un tiers des Ukrainiens se disent en outre prêts à prendre les armes pour affronter la Russie.
Les services de renseignement occidentaux assistent avec inquiétude au déplacement d’un nombre croissant de troupes russes vers la frontière avec l’Ukraine, notamment via la Biélorussie et la mer Noire. Moscou nie avoir l’intention d’envahir le pays et accuse l’Occident de faire preuve d’hystérie.
La dernière évaluation des services de renseignement du ministère ukrainien de la Défense a récemment estimé à plus de 127 000 le nombre de soldats russes se trouvant aux frontières du pays.
Si la menace d’une guerre à grande échelle est plausible, on s’attend toutefois à ce que les forces russes présentes sur le terrain « ne fassent pas le poids » pour une invasion, a confié une source diplomatique de premier plan à EURACTIV à Kiev, qui a préféré garder l’anonymat afin de pouvoir s’exprimer plus librement.
Dans le même temps, le président russe Vladimir Poutine ne peut pas se retirer de la région à moins d’obtenir quelque chose qu’il pourrait présenter comme une victoire dans son pays puisqu’il a pris des engagements publics, affirme la source.
Des mesures « importantes », mais pas plus de détails
À Bruxelles, les ministres des Affaires étrangères de l’UE ont déclaré, lundi (24 janvier), que le bloc « condamne les actes d’agression et les menaces continues de la Russie à l’encontre de l’Ukraine et appelle la Russie à la désescalade ».
« Les notions de “sphère d’influence” n’ont pas leur place au 21e siècle (…), et toute nouvelle agression militaire de la Russie à l’encontre de l’Ukraine aura des conséquences importantes et un coût élevé », ont-ils indiqué dans un communiqué.
Cependant, les 27 semblent toujours avoir du mal à opposer un front uni à la Russie.
Encore une fois, aucun détail précis sur les « conséquences » auxquelles peut s’attendre Moscou n’a été donné, ce qui, selon certains observateurs, explique pourquoi la cohésion a jusqu’à présent prévalu sur les désaccords ouverts.
D’autres estiment que le secret sur la stratégie constitue le principal facteur de dissuasion dans l’impasse actuelle vis-à-vis de Moscou.
« Une partie de la dissuasion réside dans le fait de ne pas donner d’informations », a déclaré le chef de la diplomatie de l’UE, Josep Borrell, aux journalistes après la réunion. « Ne vous inquiétez donc pas, les mesures seront prises et appliquées au moment opportun, s’il se présente », a-t-il ajouté.
Toutefois, lorsqu’ils ont été interrogés ces dernières semaines sur la cohésion des futures sanctions envers la Russie, les diplomates de l’UE n’ont pas caché leurs craintes que certains éléments potentiels de ces sanctions — comme l’arrêt de Nord Stream 2 ou l’exclusion de la Russie du réseau mondial de paiements interbancaires SWIFT — ne divisent certains États membres.
La ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, a déclaré, en référence à cette dernière option, que tenter de se montrer menaçant n’était pas toujours le meilleur moyen de faire face à une telle situation.
Un haut fonctionnaire de l’UE a rappelé qu’en septembre 2014, il n’a fallu à l’UE « que trois jours » pour compléter ses mesures coercitives après que la Russie a commencé à bombarder la ville portuaire de Marioupol, dans l’est de l’Ukraine.
« Nous parlons de ce qui pourrait être le changement le plus important dans la situation sécuritaire en Europe depuis la fin de la Guerre froide », a déclaré le haut fonctionnaire européen. « Notre réponse sera à la hauteur du défi posé. »
L’UE et les États-Unis divisés sur l’évacuation
Alors que le Royaume-Uni et l’Australie ont suivi les États-Unis en ordonnant aux familles des diplomates de quitter Kiev, l’UE et le gouvernement ukrainien ont déclaré que toute mesure de retrait du personnel des ambassades étrangères semait la panique.
La France et l’Allemagne, entre autres, ont demandé à leurs citoyens d’éviter tout voyage non essentiel dans le pays, mais n’ont pris aucune mesure supplémentaire.
M. Borrell a déclaré, à l’issue des entretiens des 27 États membres de l’UE avec le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken, que rien ne laissait présager une attaque russe « imminente ».
« Le secrétaire américain Antony Blinken nous a dit qu’il ne s’agissait pas d’une évacuation », a indiqué M. Borrell. « Ceux qui ne font pas partie du personnel essentiel sont libres de décider de quitter le pays s’ils le souhaitent, (…) ce n’est donc pas une évacuation », a-t-il ajouté.
Tout retrait de personnel diplomatique semble « prématuré », a-t-il ajouté, alors qu’il cherchait manifestement à apaiser les craintes occidentales liées à leur perception des tensions en Ukraine. « Nous connaissons très bien le degré des menaces et la manière dont nous devons réagir, et il ne fait aucun doute que nous devons éviter les réactions alarmistes », a déclaré M. Borrell. « Il faut rester calme en faisant ce que l’on a à faire », a-t-il ajouté.
Plusieurs diplomates européens de l’ensemble du bloc ont ouvertement exprimé leur agacement face au retrait américain annoncé. « C’était très mal venu et, franchement, si nous voulons donner une image d’unité face à la Russie, c’était aussi un mauvais signal à envoyer aux Ukrainiens, qui vont maintenant penser que nous allons quitter le navire si les choses tournent mal », a estimé un diplomate européen.
Lors d’un appel téléphonique avec le Président du Conseil européen, Charles Michel, le président ukrainien Volodymyr Zelenskiy a tenu à le remercier, de même que les dirigeants de l’UE « dont les diplomates restent dans notre pays et nous soutiennent dans notre travail », a également indiqué son bureau.
Il est « important de maintenir l’unité de tous les États membres de l’UE pour protéger la souveraineté et l’intégrité territoriale » de l’Ukraine, a-t-il ajouté.
L’OTAN se tient prête
Les États-Unis, le Royaume-Uni et les États baltes ont répondu aux appels de l’Ukraine à renforcer leurs capacités de défense en acceptant d’envoyer des armes, notamment des missiles antichars et antiaériens.
L’OTAN a pour sa part déclaré lundi (24 janvier) que les troupes de ses membres étaient prêtes et qu’ils envoyaient des navires et des avions à réaction pour renforcer la défense de l’Europe de l’Est, citant les récentes mobilisations du Danemark, de l’Espagne et des Pays-Bas.
Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, qui s’exprimait aux côtés du ministre finlandais des Affaires étrangères, Pekka Haavisto, et de la ministre suédoise des Affaires étrangères, Ann Linde, a déclaré que l’Alliance « continuera de prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger » ses membres et soutenir ses partenaires.
« Le risque de conflit reste réel », avait indiqué M. Stoltenberg aux journalistes à Bruxelles. « Et nous continuons à appeler la Russie à la désescalade et à choisir la voie de la diplomatie », avait-il ajouté.
Le Kremlin a quant à lui accusé l’OTAN d’« hystérie » face à son renforcement militaire en Ukraine. Il a également avancé que les troupes ukrainiennes combattant les séparatistes soutenus par la Russie dans l’est du pays pourraient lancer une offensive, ce qui a incité le bureau du président Volodymyr Zelensky à annoncer que l’Ukraine ne « cèdera pas aux provocations ».
Récemment, Washington avait averti que la Russie pourrait planifier un incident « sous un faux drapeau » en Ukraine afin de pouvoir ensuite présenter une invasion comme une réponse justifiée.
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