Alors que le calendrier parlementaire a été bouleversé par la censure du gouvernement Barnier, la France se prépare à éviter un « shutdown » grâce à une loi spéciale de finances. Cette situation inédite prend une nouvelle tournure depuis ce vendredi 13 décembre avec la nomination de François Bayrou au poste de Premier ministre. Chargé de former un nouveau gouvernement, il devra naviguer dans un contexte politique et économique particulièrement tendu pour assurer la continuité des services publics et restaurer un climat de confiance. Mais de quoi s’agit-il exactement ? Et pourquoi est-ce crucial ? Le gouvernement Bayrou aura pour priorité de présenter une nouvelle loi de finances. Mais en attendant, la loi spéciale reste le rempart nécessaire pour éviter le pire. Explications.
Une loi pour garantir la continuité
La loi spéciale, présentée mercredi 11 décembre en Conseil des ministres par le gouvernement démissionnaire, est un texte d’urgence. Avec seulement trois articles, elle vise à garantir le fonctionnement minimal de l’État en attendant l’adoption de la loi de finances pour 2025. Cette loi permettra notamment de :
- Maintenir la perception des impôts et taxes déjà prévus.
- Autoriser l’État à recourir à l’emprunt pour couvrir ses besoins de trésorerie.
- Permettre aux organismes de sécurité sociale de trouver des ressources temporaires pour leurs activités.
C’est donc un véritable filet de sécurité pour éviter que l’administration publique et les services essentiels ne s’arrêtent net au 1er Janvier 2025.
Un calendrier serré
Le projet de loi, examiné par la commission des finances de l’Assemblée nationale, doit passer en séance publique ce lundi 16 décembre, puis au Sénat le 18. L’objectif est clair : promulguer le texte avant la fin de l’année pour permettre la publication du décret relatif aux « services votés« , garantissant les dépenses indispensables de l’État.
Ce que couvre (et ne couvre pas) la loi spéciale
La loi spéciale se concentre sur l’essentiel :
- Les « services votés« , c’est-à-dire le minimum indispensable pour assurer la continuité des services publics comme l’éducation, la santé et la sécurité.
- Les prélèvements sur recettes, comme ceux destinés aux collectivités territoriales ou à l’Union européenne, sont reconduits sur la base des montants précédents.
En revanche, la loi spéciale ne peut pas :
- Modifier le barème de l’impôt sur le revenu, comme l’a rappelé le Conseil d’État.
- Reconduire certains crédits d’impôt arrivant à échéance, comme le crédit d’impôt innovation ou celui pour les agriculteurs. Ceux-ci pourraient disparaître temporairement.
- Intégrer les nouveaux investissements ou dépenses non urgentes.
Un régime exceptionnel, mais limité
Le cadre des « services votés » impose des restrictions drastiques. Par exemple, les subventions ou nouveaux projets d’investissement jugés non essentiels ne pourront être financés. Dans cette situation exceptionnelle, chaque dépense doit impérativement être justifiée par des raisons d’urgence ou de nécessité pour assurer la continuité des services publics.
Les incertitudes et les risques politiques
À quelques jours de la fin de l’année civile, des incertitudes demeurent. Lors du débat parlementaire, des députés vont déposer des amendements en vue d’ajouter des dispositions au texte, avec le risque de nouveaux blocages. Ensuite, si le Conseil constitutionnel est saisi (il est possible qu’il ne le soit pas), il pourrait déclarer le texte inconstitutionnel (peu vraisemblable) ou invalider certaines de ses dispositions (possible).
Une alternative : les articles 5 et 16 peu probables
La procédure actuellement suivie repose sur l’article 47 de la Constitution et l’article 45 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Cela permet au gouvernement, en cas de blocage, de demander un vote séparé sur la première partie du budget ou de proposer une loi spéciale. Cependant, si cette voie échoue, certains juristes évoquent des options extrêmes comme l’article 5 ou l’article 16 de la Constitution.
L’article 5 confère au président de la République la mission d’assurer la continuité de l’État et le fonctionnement régulier des pouvoirs publics. Mais son utilisation pour prendre des ordonnances en cas de blocage reste très hypothétique.
Quant à l’article 16, qui donne les pleins pouvoirs au président en cas de crise grave, il apparaît encore moins probable. Comme l’expliquait Alexandre Guigue, professeur de droit public sur France24 en fin novembre, « quelque chose sera tenté pour éviter que l’administration ne cesse de fonctionner« , mais cela resterait dans les limites des textes en vigueur.
Les conséquences à court terme
Cette situation temporaire aura des impacts concrets :
- Les armées, l’intérieur et la justice devront patienter pour les crédits prévus dans les lois de programmation.
- L’État devra revenir rapidement à une loi de finances classique et à une loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, afin d’éviter une paralysie prolongée.
Un défi pour le futur gouvernement
Le casse-tête actuel ne durera pas indéfiniment. Le gouvernement Bayrou aura pour priorité de présenter une nouvelle loi de finances ou de reprendre les textes suspendus suite à la censure. Mais en attendant, la loi spéciale reste le rempart nécessaire pour éviter le pire.
Avec ce dispositif transitoire, la France navigue sur une ligne étroite entre continuité et paralysie. Les décisions prises dans les jours à venir seront déterminantes pour garantir le bon fonctionnement des services publics et rassurer les citoyens face à l’incertitude.
Auteur/Autrice
-
Gilles. Roux est un juriste, entrepreneur et auteur français qui vit dans la région de Mannheim en Allemagne depuis plus 35 ans.
Voir toutes les publications