Le 6 février, la Commission européenne devrait présenter sa proposition d’objectif climatique pour 2040. Cette proposition de la Commission von der Leyen préparera le terrain pour une proposition législative formelle du nouvel exécutif, qui sera nommé après les élections européennes de juin 2024.
Adoptée en 2021, la loi climat de l’UE fixe des objectifs pour 2030 et 2050. Elle devrait désormais se voir ajouter un nouveau jalon, la Commission européenne devant prochainement fixer un objectif pour 2040.
La Commission actuelle publiera une communication sur ce sujet le 6 février 2024, comportant des recommandations qui serviront de base au prochain exécutif pour modifier la loi.
Une fin de mandat sous le signe du climat ?
La question de l’ambition climatique de l’UE pour 2040 avait été au centre du débat lorsque les législateurs du Parlement européen avaient voté pour la nomination du nouveau commissaire européen au Climat, le Néerlandais Wopke Hoekstra, en octobre dernier. Certains avaient alors émis des inquiétudes quant à l’intérêt que M. Hoekstra (Appel chrétien-démocrate, Parti populaire européen), qui venait remplacer Frans Timmermans (La Gauche Verte néerlandaise, Verts/ALE), pouvait réellement porter pour le climat, notamment au vu des postes qu’il a occupés chez Shell et McKinsey avant de devenir vice-premier ministre des Pays-Bas.
Sous la pression des eurodéputés, M. Hoekstra s’était alors engagé à défendre une réduction de 90 % des émissions nettes de gaz à effet de serre d’ici 2040, conformément à l’avis du Conseil scientifique consultatif européen sur le changement climatique, qui recommandait de fixer un objectif de réduction entre 90 et 95 %.
Pour le groupe environnemental Carbon Market Watch, l’objectif de l’UE en matière de climat pour 2040 représente la dernière chance pour la Commission von der Leyen de laisser un impact significatif dans la lutte contre le changement climatique.
« Nous soutenons l’adoption d’un objectif juridiquement contraignant visant à réduire les émissions brutes de plus de 90 % par rapport à 1990 », a déclaré Sam Van den Plas, directeur politique de Carbon Market Watch.
Toutefois, M. Van den Plas a également précisé que les groupes environnementaux attendaient de l’UE qu’elle adopte un niveau d’ambition beaucoup plus élevé, conformément aux objectifs de l’Accord de Paris.
« Nous préférerions voir un objectif d’émissions nettes zéro pour 2040 », a-t-il indiqué à Euractiv, une position soutenue par d’autres groupes environnementaux tels que le Fonds mondial pour la nature (WWF).
« La position du WWF est que l’UE devrait viser la neutralité climatique — une réduction de 100 % des émissions nettes de gaz à effet de serre — d’ici 2040, et réduire les émissions de 65 % d’ici 2030 », a déclaré le groupe de protection de la nature.
Pascal Canfin, président de la commission de l’Environnement (ENVI) du Parlement européen, est également favorable à un objectif ambitieux pour 2040.
Selon lui, le rythme des réductions d’émissions fixé pour 2020 et 2030 (-20 % et -55 % par rapport aux niveaux de 1990) place déjà l’UE sur une trajectoire qui lui permettra de réduire ses émissions de 90 % d’ici 2040.
« Si nous faisons le même effort entre 2030 et 2040, nous arrivons à -90 %», a-t-il déclaré à Euractiv lors d’un récent entretien.
M. Canfin a aussi mentionné l’Accord de Paris, qui prévoit que les émissions des pays riches doivent être réduites à zéro net d’ici 2050 « au plus tard », suggérant pour sa part qu’une échéance à 2045 serait préférable pour rester en phase avec les engagements de l’UE.
« Selon l’Agence Internationale de l’Énergie (IEA), le net-zéro en Europe devrait survenir en 2045 », a déclaré l’eurodéputé français.
Absorptions de carbone
Un autre point clé dans le débat sur l’objectif 2040 est la part des réductions d’émissions qu’il est raisonnable d’attendre des absorptions de carbone obtenues avec des solutions naturelles telles que les forêts et la conservation de la nature.
Selon Carbon Market Watch, une distinction claire doit être faite, avec des objectifs distincts pour les réductions d’émissions de carbone les absorptions résultant de l’utilisation des terres, les changements d’affectation des terres et foresterie (UTCATF), et celles réalisées par des moyens technologiques comme le captage direct du CO2 dans l’air (DAC).
« Nous recommandons fortement de séparer les réductions d’émissions des absorptions technologiques de carbone et des objectifs UTCATF », indique Carbon Market Watch dans sa contribution au plan d’objectifs 2040 de la Commission.
Dans ce contexte, M. Van den Plas note que la Commission présentera également une communication sur un « plan de gestion du carbone industriel » le 6 février, dans le but de développer des technologies de capture et de stockage du carbone pour réduire les émissions des industries lourdes.
« L’élimination du carbone a un rôle à jouer, mais si la politique se concentre uniquement sur la compensation des industries lourdes, nous risquons de continuer à produire des émissions de gaz à effet de serre », prévient M. Van den Plas.
En outre, les activistes affirment que les crédits d’élimination du carbone devraient être exclus du marché du carbone de l’UE, le système d’échange de quotas d’émission (SEQE), afin de maintenir la pression sur les pollueurs pour qu’ils opèrent une stratégie de décarbonation.
« Les marchés du carbone sont intrinsèquement inadaptés à l’élimination du carbone, car c’est la qualité qui est au centre des préoccupations, et non le prix », affirme Carbon Market Watch.
Les crédits d’élimination risqueraient de nuire au marché du carbone de l’UE car ils « enverraient un signal aux acteurs du marché selon lequel le plafond du système d’échange de quotas d’émission de l’Union européenne (SEQE) ne sera pas contraignant à l’avenir », prévient-il.
Il faudrait « un objectif distinct afin que ces absorptions soient établies sur base d’une évaluation solide de la durabilité et de l’impact potentiel de ces activités », soutient l’ONG.
Éviter la désindustrialisation
Les industries européennes, pour leur part, disent soutenir les objectifs climatiques fixés par Bruxelles, mais préviennent que les politiques de décarbonation doivent également préserver leur compétitivité par rapport aux entreprises non européennes.
« Un objectif global de 90 % pour l’ensemble de la société européenne implique une décarbonation presque totale des industries à forte consommation d’énergie comme l’acier », a expliqué l’Association européenne de l’acier (Eurofer).
« Cela n’est possible que si l’on a la certitude d’avoir accès à une énergie propre compétitive dans des quantités sans précédent, tout en égalisant les règles du jeu avec d’autres régions du monde qui ne partagent pas la même ambition climatique », ajoute Eurofer, qui note que la décarbonation de l’industrie sidérurgique de l’UE à elle seule « nécessiterait l’équivalent de la consommation actuelle d’électricité de l’Allemagne. »
Le Conseil européen de l’industrie chimique (Cefic) partage cet avis. Dans sa contribution au débat sur l’objectif climatique 2040 de l’UE, il affirme que des « solutions de financement solides » doivent être disponibles pour soutenir les investissements à faible intensité de carbone, ainsi qu’une plus grande « disponibilité et accessibilité des énergies renouvelables et à faible intensité de carbone ».
Le Cefic craint que la combinaison des prix élevés de l’énergie, des coûts croissants du carbone et du manque de soutien financier de la part des gouvernements ne pousse les entreprises chimiques à implanter de nouvelles usines en dehors de l’UE, où les coûts de production sont généralement moins élevés.
« Les efforts de l’Europe pour réduire les émissions industrielles ne doivent pas conduire à la délocalisation de certaines parties des chaînes de valeur industrielles vitales », alerte le Cefic.
Eurofer va dans le même sens, affirmant que « l’ambition climatique doit être atteinte par l’innovation et l’investissement en Europe plutôt que par la désindustrialisation ».
Les prochaines étapes
Les 27 ministres de l’Environnement de l’UE auront l’occasion de discuter de l’objectif climatique européen pour 2040 lorsqu’ils se réuniront le 16 janvier pour leur première réunion informelle sur l’environnement organisé sous la présidence belge du Conseil de l’UE.
Une fois que la Commission aura présenté sa proposition le 6 février, un échange formel aura lieu lors du Conseil « Environnement » du 25 mars.
Les chefs d’État et de gouvernement de l’UE auront alors l’occasion de se prononcer sur le débat lors d’un sommet les 27 et 28 juin, dans le cadre du programme stratégique de l’UE pour 2024-2029, qui fixera les priorités pour le nouveau cycle institutionnel après les élections de juin.