L’obsession du rééquilibrage chez Donald Trump 

L’obsession du rééquilibrage chez Donald Trump 

Le rééquilibrage de l’économie mondiale constitue le fil rouge de la politique économique de Donald Trump. À ses yeux, la Chine doit produire moins et consommer davantage, tandis que les États-Unis doivent emprunter le chemin inverse : produire plus en se réindustrialisant. L’ultime étape logique serait que les Américains consomment moins, ce qui constituerait une véritable révolution. Au sein de l’administration républicaine, des voix s’élèvent en faveur de la frugalité. Scott Bessent, secrétaire au Trésor, appelle à « une réduction de la consommation ». Donald Trump, plus imagé, évoque une Amérique où les enfants n’auraient plus trente poupées, mais deux. J.D. Vance, le vice-président, résume la doctrine : « Un million de grille-pain bon marché ne vaut pas un seul emploi manufacturier américain ».

L’idée selon laquelle les États-Unis vivent au-dessus de leurs moyens n’est pas nouvelle. Depuis des décennies, la gauche critique l’ultra-consumérisme. Dans les années 2000, certains économistes dénonçaient une société dépendante du crédit bon marché. En 2010, Glenn Hubbard, figure républicaine, et Peter Navarro — alors démocrate, futur architecte de la doctrine commerciale de Trump — plaidaient déjà pour une hausse du taux d’épargne national.

Le déficit commercial, reflet du déficit d’épargne

Quand un pays consomme davantage qu’il ne produit, il doit emprunter à l’étranger. Ces flux financiers sont la contrepartie directe du déficit commercial que Donald Trump dénonce. La face cachée des conteneurs remplis de biens débarquant dans les ports américains, ce sont les achats de bons du Trésor ou d’actions d’entreprises du S&P 500 par des non-résidents. Réduire le déficit commercial revient donc à restreindre ces flux financiers. Pour maintenir un niveau élevé d’investissement, le taux d’épargne doit augmenter. Or, le taux d’épargne brut des États-Unis plafonne à 17 % du PIB, contre 23 % en moyenne dans l’OCDE. L’investissement, lui, atteint environ 22 % du PIB. Ce différentiel, de l’ordre de 5 points, est actuellement comblé par des capitaux étrangers, à hauteur de 1 300 milliards de dollars en 2023.

Aux États-Unis, la consommation représente 81 % du PIB, administrations publiques comprises — un record au sein du G7, à l’exception du Royaume-Uni. Ce recours aux capitaux étrangers a conduit à une progression de la dette extérieure nette des États-Unis qui atteint désormais 90 % du PIB — un chiffre qui ferait vaciller la confiance dans n’importe quel autre pays. Longtemps, les États-Unis en ont tiré avantage : ils bénéficiaient de produits importés à bas coût et finançaient leur déficit public par l’émission de titres faiblement rémunérateurs. Dans le même temps, les Américains détenaient des actions d’entreprises à forte rentabilité. Ce différentiel a été qualifié de « privilège exorbitant », hérité du statut du dollar comme monnaie de réserve mondiale.

La fin du confort financier ?

Au troisième trimestre 2024, les États-Unis ont versé davantage de revenus à leurs créanciers étrangers qu’ils n’en ont perçus — donnant partiellement raison à Donald Trump. Les déficits commerciaux appauvrissent les Américains. En théorie, un déficit courant chronique finit par ronger la richesse d’un pays, comme une famille dépensière s’appauvrit face à un voisin économe. Une crise de change brutale n’est pas impossible si les investisseurs perdent confiance dans la solvabilité du pays. Jusqu’à présent, les États-Unis ont échappé aux conséquences de leur déficit structurel courant. Ils ont pu compter sur l’épargne mondiale, ainsi que sur l’apport de l’administration centrale. Même lors de la crise financière de 2008, le dollar s’est apprécié — preuve que les investisseurs continuaient à placer leurs liquidités aux États-Unis. En période de crise, la devise américaine demeure une valeur refuge.

Les États-Unis peuvent-ils s’affranchir des lois économiques classiques ? Selon Maurice Obstfeld, ex-économiste en chef du FMI, le déficit courant est assimilable à un solde primaire public négatif : les pouvoirs publics doivent, à tout le moins, maintenir l’illusion d’un retour à l’équilibre. Peter Hooper, économiste de la Deutsche Bank, évoque un « mal chronique » qui pourrait, à terme, remettre en cause la suprématie américaine. Joseph Gagnon, du Peterson Institute, note qu’aucune économie avancée n’a jamais supporté une position extérieure aussi dégradée que celle des États-Unis.

Image illustration ©Stockabode
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Le prix du rééquilibrage

Une crise du compte courant américain se traduirait par une dépréciation du dollar, une chute des marchés boursiers et une hausse des taux obligataires. Les actifs libellés en dollars perdraient en attractivité, entraînant un rééquilibrage externe douloureux. Les ménages américains seraient contraints de réduire leur consommation, ce qui améliorerait le solde extérieur — au prix d’un choc économique majeur.

Par son repli protectionniste, Donald Trump pourrait précipiter cette baisse de la consommation en provoquant une hausse des prix via l’augmentation des droits de douane. La réforme fiscale en préparation prévoit des restrictions sur les flux de capitaux, ce qui ferait grimper les taux d’intérêt et encouragerait l’épargne. Mais cette mécanique risque d’entraîner un appauvrissement des ménages, une baisse de la rentabilité des placements étrangers, et, in fine, l’accélération de la crise qu’elle prétend prévenir.

Le mini-krach d’avril 2025, survenu après l’annonce de droits de douane « réciproques », a mis en lumière la fragilité des équilibres financiers américains. Selon l’économiste Menzie Chinn (Université du Wisconsin), les États-Unis, grâce à leur statut monétaire, peuvent rembourser leurs créances avec une aisance relative — à condition de maintenir un haut niveau de confiance et de préserver la valeur de leurs actifs. Cela suppose d’arrêter de désigner l’étranger comme responsable.

Peter Navarro accuse régulièrement d’autres pays de manipuler leur devise pour favoriser leurs exportations et nuire à celles des États-Unis. Stephen Miran, conseiller économique de Donald Trump, pointe du doigt les flux financiers internationaux qui renforcent excessivement le dollar. Pour beaucoup, l’origine du déséquilibre réside dans l’excès d’épargne mondiale — notamment en Chine — qui impose à l’Amérique un taux d’intérêt trop bas et un dollar trop fort, encourageant une consommation excessive.

Mais le problème est avant tout intérieur. Il s’agit du déficit budgétaire fédéral qui atteint 7 % du PIB. Quand l’État dépense sans lever d’impôts équivalents, il stimule artificiellement la consommation. Le lien entre vulnérabilité extérieure et dérive budgétaire est direct : une réduction d’un point de PIB du déficit public permettrait de réduire le déficit courant de 0,5 point. Sans effort fiscal, il sera illusoire d’atteindre l’équilibre commercial.

Une stratégie contradictoire

Pour réduire l’imposant déficit public, l’État fédéral pourrait réformer le système de santé ou les retraites. Il pourrait également instituer une TVA, absente du système fiscal américain.

Pour l’heure, Donald Trump ne semble pas envisager ces pistes. Il persiste dans une contradiction majeure : réduire les recettes fiscales tout en cherchant à rééquilibrer les échanges courants. Souhaiter simultanément réindustrialiser, réduire les déficits commerciaux et augmenter les déficits budgétaires relève d’un non-sens économique. Mais Donald Trump préfère, plus que tout, être disruptif.

L’ambition de Donald Trump de rééquilibrer l’économie américaine repose sur une équation instable : réduire les déficits commerciaux sans toucher aux déséquilibres budgétaires internes, relocaliser la production sans comprimer la consommation, durcir le protectionnisme sans rompre avec les lois de l’économie mondiale.

Derrière les discours sur la grandeur industrielle retrouvée, le risque est celui d’un choc d’ajustement brutal, déclenché non par des choix stratégiques, mais par la perte de confiance des créanciers et des marchés.

À terme, les États-Unis ne pourront préserver leur rôle central dans l’économie mondiale qu’en acceptant de corriger leurs excès internes. Le véritable rééquilibrage ne se fera pas par les droits de douane, mais par une discipline budgétaire assumée, une redéfinition des priorités fiscales et un arbitrage lucide entre souveraineté économique et interdépendance financière. À défaut, la puissance américaine pourrait se heurter à ses propres contradictions.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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