Une victoire des partis extrémistes aux élections législatives du 25 septembre en Italie pourrait-elle déclencher une crise sur les marchés financiers du pays ?
Un futur gouvernement italien dirigé par Giorgia Meloni ?
Dans le passé, face à des risques politiques majeurs, l’Italie nous a habitués à la mise en place d’équipes de techniciens, parfois initiés par les autorités européennes. Ainsi, Mario Monti, Romano Prodi ou Mario Draghi, ont formé des gouvernements indépendants ou modérés de manière déconnectée des résultats des élections législatives. Au vu des sondages actuels, la logique voudrait que le futur gouvernement italien soit dirigé par Giorgia Meloni. Elle a commencé sa carrière nationale en étant membre du gouvernement de Silvio Berlusconi entre 2008 et 2011. En 2014, elle a fondé le parti national-conservateur Frères d’Italie (FdI). En 2020, elle est élue présidente du Parti des conservateurs et réformistes européens. Accusée de sympathies fascistes qu’elle récuse, elle a néanmoins tenu à plusieurs reprises des propos favorables à Benito Mussolini. Elle est soutenue par les réseaux de Donald Trump et a notamment reçu l’appui de son ancienne éminence grise, l’Américain Steve Bannon.
Sur le plan économique, partisane d’un certain interventionnisme, elle souhaite la fin du revenu de citoyenneté mis en place par le premier gouvernement Conte, et prône des mesures en faveur de l’emploi et du logement qui seraient réservées aux Italiens. Sur le terrain de l’immigration, elle veut la fermeture complète de l’Italie. Elle propose une multiplication des centres de surveillance et des expulsions. Sur le terrain sociétal, elle milite contre le mariage homosexuel, l’adoption homoparentale et l’avortement.
Qualifiée d’eurosceptique, Giorgia Meloni déclare défendre l’Europe confédérale du Général de Gaulle, mais ne réclame pas la sortie de l’Italie de l’Union européenne ou de l’euro, reprenant en cela la position de Marine Le Pen. Elle souhaite une révision des programmes de nature fédérale dont le plan de relance qui pourtant avantage l’Italie. Elle entend mettre fin aux politiques européennes en matière de sécurité et de défense.
Giorgia Meloni n’est pas francophile. Elle considère que la France est en grande partie responsable des problèmes d’immigration dont est victime son pays. Elle dénonce également le caractère colonialiste du pouvoir français avec le maintien du franc CFA en Afrique et le maintien de « possessions coloniales » (DROM et Corse). À la différence de Matteo Salvini (Ligue du Nord), elle soutient le peuple ukrainien dans sa lutte contre la Russie mais elle a dans le passé tenu des propos louangeurs à Vladimir Poutine qui « défend l’identité chrétienne et combat le fondamentalisme islamique ».
Contrôler les écarts de taux d’intérêt entre les pays de la zone euro
En cas d’élection, les débats au sein de l’Union européenne risquent d’être tendus, en particulier en ce qui concerne l’éligibilité de l’Italie au « Transmission Protection Instrument » (TPI), qui permet à la BCE de contrôler les écarts de taux d’intérêt entre les pays de la zone euro.
La BCE peut réinvestir dans les dettes publiques des pays de la zone euro qu’elle souhaite, pour resserrer si nécessaire les « spreads » de taux de ce pays. Pour bénéficier de l’appui de la banque centrale, les États membres doivent avoir une trajectoire budgétaire compatible avec les règles budgétaires communes et une politique macroéconomique soutenable. Si le nouveau gouvernement italien mène une politique budgétaire très expansionniste avec notamment l’instauration d’une « flat tax » à 15 % pour l’impôt sur le revenu, l’Italie pourrait perdre son éligibilité au TPI.
Une politique industrielle nationaliste (rejet des entreprises étrangères) irait également dans cette direction. Un risque de dérive du déficit public est fort probable, sachant qu’il dépasse déjà 5 % du PIB. L’Italie possède la dette la plus élevée après la Grèce. Elle représente 155 % du PIB, soit plus de 2 900 milliards d’euros.
Pour le moment, les investisseurs réagissent peu au risque de blocage européen en cas d’élection d’une coalition d’extrême droite. Le spread de taux d’intérêt à 10 ans entre l’Italie et l’Allemagne s’est ouvert, mais faiblement. Les cours boursiers n’ont pas plus souffert en Italie qu’ailleurs en Europe. Pour autant, la nomination du futur gouvernement pourrait constituer un choc avec une prise de conscience des difficultés réelles que connaît l’Italie : une faible production et un déclin démographique important. Depuis 1994, la productivité par tête a diminué de plus de 6 %. La population active devrait passer de 36 à 33 millions de 2016 à 2030.
L’Italie n’a engagé que 13 réformes sur les 61 prévues
En 2020, les Européens avaient décidé d’aider l’Italie qui avait été durement touchée par la première vague de Covid à la condition que des efforts soient réalisés pour moderniser l’économie et les administrations publiques. Le Président du Conseil des Ministres, Mario Draghi, avait obtenu de l’Europe plus de 190 milliards d’euros de dons et de prêts sur les 750 milliards d’euros du plan Next Generation. L’obtention des fonds européens suppose que l’Italie mette en place de nombreuses réformes de la fonction publique (numérisation), de la justice, des appels d’offres publics, du réexamen des dépenses, de l’enseignement supérieur, des politiques actives du marché du travail. 134 investissements ont été prévus dans le « Piano Nazionale di Ripresa e Resilienza » (transition écologique, transition numérique, résilience sociale). Or, pour le moment, l’Italie n’a engagé que 13 réformes sur les 61 prévues.
Les investisseurs ne croient pas à un scénario catastrophe
Giorgia Meloni a fait part de son souhait de revoir les conditions d’attribution des crédits du Plan Next Generation. Si une défiance à l’encontre de l’Italie prenait forme après les élections législatives, une forte hausse des spreads de taux avec l’Allemagne interviendrait avec l’apparition de l’anticipation d’un problème de solvabilité budgétaire. Si la Commission de Bruxelles bloquait les fonds du Plan de relance, les entreprises italiennes et les administrations ne bénéficieraient plus des crédits nécessaires pour leur modernisation, ce qui nuirait à la croissance. Les investisseurs ne croient pas à un scénario catastrophe car ils estiment que le nouveau gouvernement, comme souvent en Italie, composera avec les autorités européennes et qu’un accord sera trouvé. Le pays a besoin de l’Europe et celle-ci ne peut se permettre d’avoir une crise avec le troisième État de la zone euro. Mais à force de jouer avec la ligne rouge, une sortie de route n’est jamais impossible…
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