L’intelligence artificielle a-t-elle pris le pouvoir ?

L’intelligence artificielle a-t-elle pris le pouvoir ?

Grâce à l’application d’intelligence artificielle intégrée dans le système de conférence vidéo Teams, de Microsoft, les utilisateurs peuvent obtenir à la fin de leur réunion en ligne un compte-rendu automatique contenant les questions abordées, les réponses apportées et les éventuels points à traiter ultérieurement. Microsoft entend équiper tous ses logiciels comme Word, Excel, Powerpoint, de modules d’intelligence artificielle. Alphabet, la société mère de Google, a également indiqué faire de même pour ses produits comme Gmail ou Sheets. Le 21 mars dernier, Google a lancé son propre chatbot, appelé Bard, pour rivaliser avec ChatGPT. 

La révolution de l’intelligence artificielle s’est diffusée à l’ensemble de la sphère du digital qui depuis plusieurs années était à la peine en matière d’innovation. Microsoft et le logiciel de sa filiale OpenAI, ChatGPT, a créé un électrochoc. Amazon Web Services (AWS), la branche de cloud computing du groupe de commerce électronique, a annoncé un approfondissement de son partenariat avec Hugging Face, une startup d’intelligence artificielle. Apple testerait de nouvelles applications d’IA sur ses produits, y compris son assistant virtuel, Siri.

La diffusion des logiciels d’intelligence artificielle effraie : elle menacerait des professions entières 

Mark Zuckerberg, le PDG de Meta qui ne jurait que par le métavers, a annoncé vouloir équiper tous ses produits dont Facebook et Instagram d’intelligence artificielle. La diffusion des logiciels d’IA est si rapide qu’elle effraie par ses conséquences. Elle menacerait des professions entières. Elle pourrait conduire les étudiants à ne plus réviser leurs examens et à les utiliser pour passer des épreuves. 

L’Italie a décidé de bloquer l’accès à ChatGPT à compter du 31 mars 2023. L’Allemagne et plusieurs pays européens ont décidé d’ouvrir des enquêtes sur les robots conversationnels sur le thème de la protection des données. Elon Musk, le PDG de Tesla, et une centaine d’experts, ont appelé à une pause dans le déploiement de l’intelligence artificielle. 

Depuis des années, les équipes de recherche des géants du digital travaillent sur l’intelligence artificielle. De nombreux logiciels utilisent déjà des briques d’intelligence artificielle afin de cibler les messages publicitaires, gérer des voitures autonomes, répondre à des requêtes de recherche sur Internet.

Les GAFAM ont investi 223 milliards de dollars dans la recherche et le développement 

ChatGPT par sa puissance de calcul a créé une rupture ou une prise de conscience du changement de dimension que permettent les nouvelles technologies. La capacité des nouveaux robots à produire du contenu rationnel a marqué les esprits. Les entreprises du digital n’entendent pas perdre la bataille de l’intelligence artificielle. Elles ont conscience que leur survie passe par l’innovation permanente. Leurs dirigeants ont en mémoire le destin funeste de Kodak et de Blackberry qui ont refusé de prendre en compte certaines ruptures technologiques. 

En 2022, malgré la chute des cours boursiers des valeurs technologiques, les GAFAM ont investi 223 milliards de dollars dans la recherche et le développement (R&D), contre 109 milliards de dollars en 2019, auxquels s’ajoutent 161 milliards de dollars de dépenses en capital, un montant qui a doublé en trois ans. Au total, elles ont consacré 26 % de leur chiffre d’affaires à la recherche et l’investissement en 2022, contre 16 % en 2015. (A titre de comparaison, le déficit de la France est de 125 milliards).

Le PDG de Facebook, Mark Zuckerberg, a récemment déclaré que l’intelligence artificielle était désormais sa priorité en matière d’investissement. Dans son prochain rapport relatif aux résultats du groupe au premier trimestre 2023, Alphabet a prévu de mentionner explicitement les montants investis dans l’intelligence artificielle. Selon les données de PitchBook, une société d’études économiques, un cinquième des acquisitions et des investissements combinés des entreprises depuis 2019 impliquaient des entreprises d’intelligence artificielle, soit plus que les sommes consacrées aux cryptoactifs, à la blockchain, au métavers ou à la réalité virtuelle.

Un système pour prédire la forme des protéines, permettant d’accélérer la découverte de médicaments

Au cours des quatre dernières années, les grandes technologies ont pris des participations dans quelque 200 entreprises travaillant sur l’intelligence artificielle. Selon les chiffres de PredictLeads, un autre cabinet d’études, environ un dixième des offres d’emploi des GAFAM exigent des compétences en intelligence artificielle. Microsoft et Alphabet sont en pointe en matière d’investissements et d’emplois en lien avec l’IA, Meta, Amazon ou Apple étant un peu retrait.

Un tiers des partenariats et acquisitions de Microsoft concerne l’intelligence artificielle, soit le double d’Amazon ou d’Alphabet et six fois plus que Meta. En acquérant, pour 11 milliards de dollars, des parts d’OpenAI qui a développé ChatGPT, Microsoft a fait un pari gagnant lui permettant de repositionner son moteur de recherche Bing dont les parts de marché étaient faibles par rapport à celui de Google. Microsoft a également investi dans D-Matrix, une entreprise travaillant sur des technologies d’intelligence artificielle pour les centres de données et Noble.ai qui utilisent des algorithmes pour rationaliser les travaux de laboratoire et d’autres projets de R&D. Microsoft a par ailleurs fait l’acquisition de Nuance, qui développe la reconnaissance vocale pour la santé. 

De son côté, Alphabet renforce sa filiale dédiée à l’intelligence artificielle, DeepMind, localisée à Londres et acquise en 2014. DeepMind a été à l’origine de d’AlphaFold, un système pour prédire la forme des protéines, permettant d’accélérer la découverte de médicaments. Apple qui était en retard par rapport à ses concurrents entend le rattraper en multipliant les rachats de startups. Près de la moitié de ses objectifs de rachats sont liés à l’intelligence artificielle. Elle a ainsi acheté ai.Music, qui compose de nouveaux morceaux en fonction des morceaux trouvés sur Internet, à Credit Kudos qui utilise l’intelligence artificielle pour évaluer la solvabilité des demandeurs de prêt. 

Les acquisitions d’Apple sont moins flamboyantes que celles d’Alphabet voire que celles de Microsoft mais sont en règle générale plus faciles à intégrer dans les produits maison. Au niveau des publications scientifiques, l’intelligence artificielle occupe de plus en plus de place. Entre 2020 et 2022, Alphabet a publié environ 9 000 articles sur le sujet. Microsoft en a accumulé environ 8 000 et Meta 4 000. 

En 2022, la proportion d’emplois en lien avec l’intelligence artificielle est de 27 % pour Alphabet et de 18 % pour Meta. Cette dernière pour attirer les jeunes talents communique assidûment sur l’intelligence artificielle et joue la carte de « l’opendata ». Sa bibliothèque de logiciels d’IA, appelée « PyTorch », est accessible à toutes et à tous comme le langage maison appelé « Lama ». Compte tenu de son poids relatif plus faible que Microsoft, Apple ou Amazon, Meta est l’entreprise qui réalise l’effort le plus important en matière d’intelligence artificielle. L’objectif de Meta est de générer du contenu sur ses réseaux à moindres coûts et ainsi concurrencer Apple ou Alphabet.

Automatiser 70 à 80 % de ses quelque 90 millions d’approbations de factures annuelles 

Les GAFAM utilisent la force de l’intelligence artificielle pour leur propre compte. Le service financier de Microsoft utilise cette dernière pour automatiser 70 à 80 % de ses quelque 90 millions d’approbations de factures annuelles. Un chatbot lié à un logiciel d’intelligence artificielle signale les factures douteuses qu’il convient de contrôler. La production de lignes informatiques est de plus en plus automatisée permettant de générer d’importants gains de productivité. 

La révolution provoquée par ChatGPT est rapide. Quatre mois après avoir été révélée au grand public, cette application a créé une onde de choc qui ne semble pas s’arrêter. Microsoft et Google ont revu leur moteur de recherche. Leurs programmes de productivité comme les traitements de texte sont assistés par l’intelligence artificielle. Alphabet et Meta proposent un outil qui génère des campagnes publicitaires en fonction des objectifs des annonceurs. 

L’IA peut désormais proposer des campagnes commerciales ciblées sur des catégories socioprofessionnelles en fournissant les éléments de langage pour les commerciaux. Les systèmes d’incitation des achats risquent de devenir de plus en plus intrusifs et personnalisés, ce qui pose des problèmes de respect de la vie privée et de libre consentement.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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