Les effets économiques de l’intelligence artificielle (IA) demeurent en grande partie inconnus ou incertains. Ils dépendent de la rentabilité des investissements coûteux engagés par les entreprises de haute technologie et du ruissellement des gains de productivité. Pour mesurer les conséquences de l’IA, il est essentiel de distinguer les producteurs des utilisateurs. Comme pour tout secteur émergent, les analyses sont susceptibles d’être remises en cause par des changements de modèle. Ainsi, la simple annonce de l’entreprise chinoise DeepSeek concernant la mise sur le marché d’un modèle de langage efficace et peu coûteux à développer et à entraîner, bien que finalement exagérée, a semé le trouble parmi les investisseurs.
Le 9 février dernier, Emmanuel Macron a déclaré que 109 milliards d’euros seraient investis dans l’IA au cours des dix prochaines années. Cet engagement fait écho à celui de Donald Trump, qui a annoncé 600 milliards de dollars d’investissements dans ce domaine. Une véritable surenchère est engagée dans cette nouvelle bataille technologique qui touche un grand nombre de secteurs. Tant du côté des producteurs que des utilisateurs d’intelligence artificielle.
Les entreprises qui produisent l’IA appartiennent principalement à deux secteurs d’activité : les services de télécommunication et les technologies de l’information. Plus largement, tous les autres secteurs sont potentiellement des utilisateurs de l’IA. Même si certains sont plus concernés que d’autres comme l’énergie, la finance, la santé, les services collectifs (électricité, eau, gaz naturel) et l’industrie.
Les investissements devraient se déplacer vers les entreprises utilisatrices
Depuis deux ans, les investissements se concentrent principalement sur les entreprises chargées de produire l’IA. Une tendance assez classique pour les technologies émergentes. Dans un second temps, ces investissements devraient se déplacer vers les entreprises utilisatrices, dans le cadre du déploiement de l’IA. Toutefois, par rapport aux précédentes disruptions technologiques, la diffusion de l’IA est relativement rapide.
L’évolution du cours boursier des valeurs technologiques reflète assez finement l’engouement des investisseurs pour cette technologie. Ainsi, l’indice S&P 500 Technologies a plus que doublé entre 2020 et 2024. Tandis que le cours des « Sept Magnifiques » (Alphabet, Amazon, Meta, Apple, Nvidia, Microsoft et Tesla) a été multiplié par deux entre 2022 et 2024.
La valorisation boursière de ces entreprises repose sur l’anticipation de bénéfices élevés liés à l’IA. Le ratio cours/bénéfices, ou PER (Price-Earnings Ratio), atteint ainsi 50 pour Nvidia, 170 pour Tesla, 33 pour Microsoft et 41 pour Amazon. Un PER normal dépend du secteur d’activité, du cycle économique et des conditions de marché. Pour les grandes entreprises matures, il se situe généralement entre 15 et 20. Un PER inférieur à 10 traduit souvent une entreprise sous-valorisée ou en difficulté. Tandis qu’un PER supérieur à 25 est généralement observé pour des entreprises à forte croissance ou surévaluées.
De nouveaux acteurs ont encore la possibilité de s’imposer
Les entreprises liées à l’IA commencent à atteindre une zone de forte volatilité où leurs valorisations sont très sensibles aux annonces des concurrents ou aux résultats inférieurs aux attentes. Compte tenu du développement récent de l’IA, de nouveaux acteurs ont encore la possibilité de s’imposer. Toutefois, l’IA repose sur l’exploitation de volumes massifs de données. Ce qui confère un avantage stratégique aux grandes entreprises américaines des technologies de l’information et de la communication. L’annonce de DeepSeek a ainsi marqué un coup d’arrêt dans la valorisation des « Sept Magnifiques ». L’émergence d’un nouvel acteur dans le domaine des robots conversationnels a prouvé que le marché des producteurs pourrait être plus concurrentiel que prévu, redonnant potentiellement du pouvoir aux utilisateurs.
Comme pour Internet, la crainte d’une captation de la rente par les producteurs au détriment des utilisateurs demeure. Notamment si les gains de productivité promis ne sont pas au rendez-vous. Ces derniers sont en baisse constante depuis une dizaine d’années, malgré l’essor des activités numériques.
Pour les producteurs d’IA, le risque d’une surconsommation de capitaux pour des résultats limités n’est pas à exclure. L’effet bulle, similaire à celui observé lors de l’essor d’Internet, pourrait entraîner un afflux excessif de capitaux et une mauvaise allocation des ressources. Tout secteur émergent est soumis à des ajustements brutaux et dictés par un retour à la réalité, l’apparition d’acteurs plus agiles et moins coûteux, ainsi qu’une réévaluation des besoins des utilisateurs. Depuis le lancement de ChatGPT le 30 novembre 2022, l’IA est perçue comme une nouvelle terre promise. Mais pourrait aussi conduire à des désillusions.
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