Quel joli mois de mai ! Le 1er mai, des manifestations partout dans le monde. Comme les précédentes « Fêtes du travail », (qui ont remplacé les anciennes « fêtes de l’amour »), elles ne changeront rien au travail, pas plus que les précédentes fêtes de l’amour ne changèrent l’amour. Le travail est emporté dans la révolution digitale, la robotique, ChatGTP, et l’extinction du salariat. Le patron d’IBM étudie le remplacement de 30% de son personnel administratif par ChatGTP, l’IA et l’automatisation. Des chocs qui pourraient remettre en cause nos libertés ?
On ne couronne pas un roi tous les jours. Qui ne se souvient de celui de Bokassa ?
Le défilé, c’est la tradition. Et la tradition, c’est la tradition. Comme le 6 mai : on ne couronne pas un roi tous les jours. C’est plus rare que les J.O. Qui ne se souvient de celui de Bokassa ? Rares aujourd’hui sont les têtes couronnées, notamment parmi les 2000 invités de Charles, qui ont encore du pouvoir. Cela ne signifie pas que le principe dynastique s’éteint, il resurgit en Afrique, en Orient, comme en Corée du nord, mais la plupart des pays gardent inconsciemment en mémoire que le premier Charles d’Angleterre fut décapité, que les Britanniques inventèrent le pouvoir du parlement, et progressivement, la démocratie.
La faute à Charles 1er, décapité ?
Que traîne la traîne royale ? Beaucoup voudraient que le nouveau roi se repente des méfaits de l’expansion impériale britannique, qui se vante d’avoir conquis et assujetti 178 nations. Rares furent les peuples qui connurent un succès mondial aussi stupéfiant, et aussi dur pour les autres, que les Britanniques, avec des moyens, notamment démographiques, si limités. La faute à la révolution industrielle, au charbon, à la marine ? Non. A Charles 1er décapité, à cette invention du Parlement, à l’affirmation des « libertés ». On peut dénoncer la colonisation britannique, les conquêtes, le racisme, l’esclavage, en vérité, quel peuple ne fut pas barbare ? Lequel ne fut pas cruel, raciste, massacreur ? Des Indiens de Californie à la Papouasie en passant par l’Afrique et la Chine, l’humanité est esclavagiste, expansionniste, avide, violente. Preuve que le progrès existe : le mérite des Britanniques (puis des Français, et des Américains) fut d’avoir été les premiers à dénoncer l’esclavage comme un crime (après l’avoir pratiqué), à l’avoir éradiqué à coups de canons, en Afrique, en Arabie, en Asie. Rares furent les massacreurs qui en firent autant.
Le peuple se presse autour du roi, prend des selfies, et s’en fout un peu : 62% des Britanniques apprécient la monarchie, ils étaient 88% en 1969. La révolution ne gagne pas, l’indifférence peut-être.
Ce devrait être aux Allemands de célébrer le 8 mai.
Après le 6 mai, le 8 mai. Victoire sur le nazisme. Seules la France, la Slovaquie et la Tchéquie le fêtent. Etrange : Ce devrait être aux Allemands de la célébrer. C’est la liberté retrouvée qui lui a rendu luxe, puissance et richesse. Ils ne remercieront jamais assez les Alliés. Même les Russes, qui lui ont redonné la Prusse et toute son aura sur les pays d’Europe centrale et de l’Est. Les Russes, qui fêtent la victoire le 9 mai ont annulé leurs défilés dans six régions russes et 21 villes. Poutine a supprimé la traditionnelle réception. Peur d’un rhume, d’un drone, d’un concert de casseroles ? En Russie, contester la guerre vaut la prison. Pas mort le fascisme. Il réapparaît dans ces régimes fondés sur la violence, l’exaltation de la force, le contrôle des médias, le contrôle social, la corruption, la mise en coupe réglée du pays par la corruption, celle des ex-citoyens par la mise au pas, la prison, le contrôle de la presse.
Selon l’Unesco, 2022 a été l’année la plus sanglante pour les journalistes : 86 ont été tués. La liberté de la presse se célébrait le 3 mai. On enferme de nouveau les journalistes au Maroc, en Tunisie et en Algérie. D’après le dernier rapport de Reporters Sans Frontières, l’Europe est encore le continent où la liberté de la presse est le mieux défendu. La désinformation, à travers les réseaux asociaux, pullule. Les services parallèles d’Etats organisent des campagnes de désinformation, contrôlent des sous-traitants pour diffuser des fake news. Les organes de presse sont de plus en plus fragiles financièrement. Le vieux monde des médias n’est pas encore mort, le nouveau encore balbutiant et fragile (à l’exemple de lesfrancais.press : il n’est pas interdit de prendre un abonnement à 2€ !).
Les autocrates s’attaquent en premier lieu à la liberté de la presse et au contrôle des médias. Contrôler l’information, c’est croire contrôler le monde. C’est en tout cas fabriquer son image. Les Polonais, du temps de Jaruzelski, tournaient la télévision vers la rue lors du journal pour montrer leur mépris des mensonges. Russes, Iraniens, tant d’autres devraient faire de même. L’érosion de la liberté de la presse est l’érosion de la liberté.
64% des Français estiment que les libertés individuelles ont régressé en France
Geoffrey Hinton, prix Turing, ingénieur en chef chez Google, un des inventeurs de l’Intelligence Artificielle, a démissionné le 1er mai. Il craint que l’IA ne contrôle l’humanité : « Ces choses auront tout appris de nous, lu tous les livres de Machiavel, et si elles sont plus intelligentes que nous, elles n’auront pas de mal à nous manipuler. (…) leur algorithme d’apprentissage pourrait être bien meilleur que le nôtre, et c’est effrayant ». La civilisation de l’information, la nouvelle civilisation de la connaissance, liée à la révolution digitale, serait-elle fatale à l’information et à la connaissance ?
Manipulés ? Faut-il attendre ChatGTP et l’IA ? Comment certifier l’information ? Ce ne sont certainement pas les Etats qui le feront. Selon un sondage IFOP/L’Opinion, 64% des Français estiment que les libertés individuelles ont régressé en France depuis dix ans. Ils n’ont pas tort : il suffit d’essayer de repasser le permis de conduire.
Les Français se rendent comptent d’un recul de la liberté. Les peuples ne se laissent pas manipuler si facilement. C’est la grande leçon des Charles 1, 2 et 3 : si la monarchie ne rend plus service, elle chute. C’est la leçon de Poutine et des Ayatollahs : quand on a peur, on condamne, on enferme, on assassine.
La grande date du mois de mai pourrait bien être le jour des élections en Turquie.
Aussi la grande date du mois de mai pourrait bien être le 14. Jour des élections en Turquie. Erdogan est affaibli. Pour la première fois, malgré le contrôle total des médias, les emprisonnements, les purges dans la justice, l’éducation, l’armée, la police, il n’a pas pu éteindre tout à fait le principe de l’élection démocratique, et, cette fois, il pourrait perdre.
Ce serait un événement considérable. Du point de vue géopolitique bien sûr. De la Lybie à la Russie, du Turkménistan à l’Allemagne, la chute du Sultan changerait la donne, tant Erdogan a joué double et triple jeu, tant il a investi dans son rêve de restauration « néo ottoman », ce qui a ruiné son économie. Au-delà des enjeux géopolitiques, la chute d’Erdogan signifierait que le rêve démocratique n’est pas une survivance du passé, une vieille habitude occidentale, une relique aussi dorée que le carrosse de Charles III. Que la démocratie, même étouffée, peut renaître, comme l’arbre de mai. Si elle y arrive en Turquie, elle peut y arriver ailleurs. Et pourquoi pas en Tunisie, en Iran, en Russie ? Qui sait, même en Chine ? Taiwan est une démocratie chinoise, non ? C’est bien ce qui inquiète Xi. Dans la traîne du roi Charles, il y a donc toutes les traditions libérales que la couronne britannique a diffusées à travers le monde. Pour cela il lui sera beaucoup pardonné. Parce qu’il reste beaucoup à espérer, en ce mois de mai qui pourrait être si joli.
Laurent Dominati
a. ambassadeur de France
a. député de Paris
Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press
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