L’honneur d’une diplomate

L’honneur d’une diplomate

Ukraine, Iran, Chine, Turquie, Arabie, les diplomates jouent au Yoyo, une bombe en bas, un chèque en l’air. Peut-on acheter la paix ? Que vaut un diplomate ? L’ancienne ambassadrice américaine en Ukraine a démissionné. Trente ans de carrière. Pour l’honneur. L’honneur d’une diplomate, Bridget Brink.

Le Qatar offre un Boeing à Trump, les Saoudiens des buildings. Trump lève les sanctions contre la Syrie, et salue l’ancien terroriste Al Charaa d’Al Qaïda. Ce dernier n’a pas pu aller au sommet de la Ligue arabe à Bagdad, les milices chiites n’ont pas oublié son passé.

Tous les tabous tombent.

Les Saoudiens ont obtenu un accès au nucléaire civil et un accord de défense avec les États-Unis. 3000 ou 4000 milliards de contrats dans la péninsule arabique ravissent Trump et ses fils. Les Américains discutent directement avec le Hamas, un accord a été trouvé avec les Houthis, les États-Unis accordent des F35, à la Turquie, le PKK se dissout et rentre dans le jeu. Tous les tabous tombent.

Il est possible que de ces contrats du siècle, il ne reste pas grand-chose. Des premières moissons du premier voyage de Trump, il n’était resté que des miettes. Mais s’en sont suivis « les Accords d’Abraham ». Pour les contrecarrer, le Hamas, actionné par l’Iran, avait déclenché le 7 octobre. Quel que soit l’avenir de ces promesses, un nouvel ordre émerge au Moyen-Orient. Quand la Ligue arabe promet 50 milliards pour reconstruire Gaza, il faut en retenir l’accord, avec l’Espagne et le Secrétaire général des Nations Unies, de mettre Israël au ban des nations. « Celui qui établit la paix entre l’homme et son prochain, entre un mari et sa femme, entre deux villes, deux nations, deux familles ou deux régimes… aucun mal ne lui arrivera »[1]. Les religieux du cabinet israélien devraient relire le Talmud. 

Le président américain, Donald Trump, et l’émir du Qatar, cheikh Tamim Ben Hamad Al Thani, à Doha, le 14 mai 2025. ALEX BRANDON/AP
Le président américain, Donald Trump, et l’émir du Qatar, cheikh Tamim Ben Hamad Al Thani, à Doha, le 14 mai 2025. ©ALEX BRANDON/AP

Derrière les accords dits de business, d’autres liens. On ne négocie pas seulement ce qui est sur la table. En dessous bien sûr, au-dessus, aussi.   

Les Saoudiens craignent une confrontation avec l’Iran qui ravagerait leurs installations pétrolières. Ils font partager cette crainte aux Américains, qui empêchent Israël d’attaquer les installations nucléaires iraniennes.

Chaque régime est sur les dents. L’économie mondiale tient sur un fil.

Les Iraniens ont intérêt à un accord. Ils ont perdu leurs sous-traitants, le Hamas à Gaza, le Hezbollah au Liban, Assad en Syrie. Leur régime est à bout. La levée de sanctions leur permettrait de respirer. Quand ils le voudront, ils reprendront le processus de fabrication de la bombe. Le Hamas et le Hezbollah se reconstitueront.

Chaque régime est sur les dents. L’économie mondiale tient sur un fil. Moody’s baisse la note de l’Amérique. Pour tous, le cours du pétrole chute. Bonne nouvelle pour la Chine. Et l’Europe.

Xi Jinping a reçu l’Amérique latine à Pékin, dont Lula, le chilien Boric et le colombien Petro. Il les a appelés à un « front commun » face aux États-Unis. Depuis Mao et sa théorie des « trois mondes » (les impérialistes, les affidés, le Tiers-monde), la Chine se voit en grand timonier du « Sud » global. Petits et moyens cherchent à profiter de l’affrontement. Lula était à Moscou. Le Maréchal Sissi aussi, il venait d’Athènes, il va à Bagdad.

En Albanie, la très grande Europe, celle de la « Communauté Politique européenne » de 47 pays se cherche. Les Européens téléphonent à Trump, qui, lui, veut appeler Poutine. Que cédera-t-il de plus ? Poutine ne craint que ses militaires, pas Trump ; il a la Chine derrière lui. Tant que dure le conflit, elle renforce ses liens avec la Russie. C’est une illusion de penser que Xi Jinping est pour la paix.

Pour négocier ce qui ne se négocie pas, il faut autre chose qu’un deal.   

Il y a des choses qui ne se négocient pas. Pour négocier du pétrole, des territoires, des satellites, il suffit de marchands. Pour négocier ce qui ne se négocie pas, il faut autre chose qu’un deal. Car derrière les deals, il s’agit toujours d’autre chose.

Que donner afin d’éviter une guerre, ou y mettre fin ? L’apparence de la victoire. Tout autre accord porte en germe la revanche.

Et pourtant : les guerres sont moins nombreuses, moins mortelles[2]. Keeley, un archéologue, estimait le taux de pertes des guerres préhistoriques à 60% des combattants. Le taux des guerres contemporaines est de moins de 1%. L’instinct de mort se perdrait-il ? Les premières décennies du XXIe siècle sont les moins violentes de l’histoire. « Seulement » un million de tués entre 2001 et 2011; la décennie la plus paisible depuis 1840. Même si, depuis quelque temps, un regain de pulsion de mort assaille.

Comment amadouer la bête ?  La flatterie, quelques cadeaux. La vanité couronne les imbéciles.

Comment amadouer la bête ? Combattre le feu par le feu explique l’augmentation des budgets militaires. Le Pape Léon, premier du nom, alla voir Attila pour épargner Rome. Attila s’en fut, ravi. Par quoi ? La flatterie, quelques cadeaux. La vanité couronne les imbéciles. Trump se prend pour le roi. Dans l’or des palais arabes il se sent à la maison.

Le grand art militaire consiste à obtenir la victoire sans combattre. Mieux qu’un génie militaire, le diplomate fait croire à son interlocuteur qu’il a obtenu la victoire sans combattre. C’est pourquoi les diplomates sont autorisés à tromper : « Tout mensonge est interdit, mais il est permis de proférer un mensonge en vue d’instaurer la paix entre l’homme et son prochain[3] » justifie le Talmud.Un diplomate aurait le droit de mentir.

Hélas, le sentiment d’une victoire est trompeur. Il y a une culture de guerre comme une culture de paix. C’est le drame américain. Trump dit qu’il travaille pour la paix, mais encourage les agresseurs. Avance le business pour éteindre le feu, mais favorise la prédation, le racket.

« Je crois que la seule façon de préserver les intérêts des États-Unis est de défendre les démocraties et de s’opposer aux autocrates » explique Bridget Brink, l’ancienne ambassadrice des États-Unis en Ukraine. Les vrais liens, les vrais intérêts, les vraies alliances reposent sur des accords de fonds. Le reste, du yoyo.

Laurent Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press et de l’app bancaire France Pay


[1] Mekhilta Ba-hodesh 12.

[2]  Peace Research Institute Oslo https://ucdp.uu.se/

[3] Traités mineurs du Talmud Derekh Eretz Zouta, https://shs.cairn.info/revue-pardes-2004-1-page-227?lang=fr 

Auteur/Autrice

Laisser un commentaire

Laisser un commentaire