Le nouveau règlement de l’UE visant les géants du numérique sera pleinement applicable en 2023, suite à un accord conclu entre les colégislateurs de l’UE jeudi (24 mars).
Le Conseil européen, le Parlement et la Commission ont aplani leurs divergences sur la loi sur les marchés numériques (DMA), une proposition visant une poignée de plateformes considérées comme ayant une position dominante sur le marché au point de jouer un rôle de contrôleur d’accès (« gatekeeper »), représentant un filtre entre les autres entreprises et les internautes.
Par le passé, les autorités de la concurrence ont eu du mal à suivre le rythme rapide de la concurrence en ligne. Le DMA repose donc sur une approche totalement différente. Le texte comprend une liste de choses à faire et à ne pas faire qui devraient s’appliquer par anticipation et renvoie la charge de la preuve aux géants de la technologie.
« Les avocats spécialisés dans la concurrence ont essayé de traiter les questions de contrôle d’accès dans le passé. Mais les affaires de concurrence peuvent prendre des années et, dans l’intervalle, les PME et les innovateurs sont lésés. Nous avions besoin d’une réponse innovante. Et nous avons réussi, contre toute attente et malgré tout le lobbying », a déclaré Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur.
Qui sont les contrôleurs d’accès ?
Plusieurs responsables européens ont soulevé la question « géopolitique » au cours des négociations, en soulignant que les entreprises désignées comme « contrôleurs d’accès » sont pour la plupart américaines, notamment Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft (GAFAM).
En revanche, le négociateur principal du Parlement, Andreas Schwab, a insisté pour que le champ d’application soit plus restreint afin de concentrer les ressources sur les véritables « fauteurs de troubles ».
M. Schwab a réussi à faire passer le seuil quantitatif permettant de désigner un gardien à 7,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel et à 75 milliards d’euros de capitalisation boursière, rendant ainsi plus lointaine la possibilité que des entreprises européennes telles que Booking et Zalando tombent un jour dans le champ d’application.
La liste initiale des services numériques comprenait les services d’intermédiation, la publicité en ligne, les moteurs de recherche, les réseaux sociaux, les plateformes de partage de vidéos, les services de messagerie et les systèmes d’exploitation. Sur demande des députés européens, les navigateurs web et les assistants virtuels ont aussi été ajoutés.
Ce qui va changer avec le DMA
Les contrôleurs d’accès devront se conformer à des obligations visant à rendre le marché plus équitable, à élargir le choix des consommateurs et à donner aux entreprises la possibilité de contourner les plateformes pour atteindre leurs clients.
Les géants de la technologie seront empêchés de pratiquer le « bundling », c’est-à-dire de regrouper des services en un seul paquet. En outre, il sera interdit aux contrôleurs d’accès de combiner les données de différents services, par exemple Facebook et Instagram, à moins d’obtenir le consentement explicite de l’utilisateur.
Les législateurs ont obtenu l’interopérabilité des services de messagerie, ce qui signifie que les utilisateurs pourront envoyer des messages, des images et des vidéos chiffrés et passer des appels à partir d’applications comme WhatsApp vers des services comme Signal et Telegram. Les conversations de groupe ont également été incluses, mais dans ce cas, il faudra jusqu’à trois ans pour garantir le cryptage.
Les députés ont également réussi à introduire des dispositions sur les paramètres par défaut. Lors de l’achat d’un nouvel appareil, comme un smartphone, un « écran à choix multiples » apparaîtra pour offrir aux consommateurs la possibilité de choisir le type d’assistant virtuel et de navigateur web qu’ils souhaitent, au lieu de les avoir par défaut. Les utilisateurs auront également la possibilité de supprimer les applications préinstallées.
Il sera interdit aux contrôleurs d’accès de favoriser leurs services, de forcer les entreprises à les utiliser ou de les empêcher d’utiliser d’autres canaux offrant des conditions plus intéressantes. Ils devront également assurer gratuitement l’interopérabilité avec leurs équipements et logiciels.
Les utilisateurs pourront demander à déplacer gratuitement les données qu’ils ont contribué à générer ou demander à un tiers de le faire pour eux.
De même, les entreprises pourront accéder à leurs données et à celles de leurs clients en temps réel et sans frais supplémentaires. En ce qui concerne les données personnelles, les entreprises devront obtenir le consentement de l’utilisateur, comme l’exigent les règles européennes en matière de protection de la vie privée, et les contrôleurs d’accès devront faciliter ce processus.
Les réseaux sociaux, les app stores et les moteurs de recherche, en particulier, devront appliquer des conditions équitables, raisonnables et non discriminatoires aux autres entreprises. En outre, les systèmes d’exploitation devront autoriser les app stores alternatifs, même s’ils pourront mettre en place des exigences en matière de cybersécurité.
Les négociateurs ont convenu de déplacer l’interdiction de la publicité ciblant les mineurs vers la proposition sœur du DMA, la loi sur les services numériques (DSA). L’accord politique doit être attesté par une déclaration politique vendredi matin, a déclaré à EURACTIV un fonctionnaire européen familier de la question.
Les annonceurs pourront accéder à toutes les données liées à leurs publicités en temps réel et gratuitement afin de s’assurer qu’ils obtiennent le meilleur rapport qualité-prix.
La mise en application est essentielle
Comme le DMA commencera à s’appliquer au début de 2023, une période de transition suivra pour désigner les contrôleurs d’accès et définir comment leur appliquer au mieux les nouvelles règles.
« Il faut maintenant passer de la théorie à la pratique. Et pour voir si cela fonctionne, nous devons constamment nous rappeler les deux principaux objectifs du DMA : la contestabilité et l’équité », a déclaré à EURACTIV Tommaso Valletti, ancien économiste en chef de la concurrence à la Commission européenne.
Alors que la Commission pourrait imputer les revers passés dans le domaine de la concurrence à l’inadéquation du cadre réglementaire, une fois que le DMA sera en place, elle sera soumise à une énorme pression pour répondre aux fortes attentes.
Dans sa proposition initiale, l’exécutif européen prévoyait que jusqu’à 80 personnes travailleraient à l’application du DMA d’ici à 2025. Dans une lettre datant de février, l’eurodéputé M. Schwab a demandé qu’au moins 220 personnes soient affectées à la force opérationnelle chargée du DMA.
Laisser un commentaire