L’Europe a-t-elle une carte à jouer face aux États-Unis, devenus moins stables que par le passé, pour attirer les capitaux du monde entier ; capitaux dont elle a besoin pour réussir sa modernisation ? L’administration de Donald Trump, avec ses volte-face, ses politiques commerciales et migratoires déroutantes, la remise en cause des budgets alloués à la recherche et aux universités, ainsi que certaines tentations autoritaires, peut-elle détourner les investisseurs internationaux des États-Unis ? Depuis le début de l’année 2025, l’évolution des marchés d’actions et celle du taux de change entre le dollar et l’euro semblent indiquer un rééquilibrage au profit de l’Europe.
Si en 2024, les indices américains dominaient ceux du Vieux Continent, ce n’est plus le cas en 2025 — à l’exception du CAC 40, pénalisé par le recul des valeurs du luxe et par la persistance de la crise politique française. Le dollar s’est déprécié de plus de 10 % depuis le début de l’année. Les investisseurs sanctionnent le haut degré d’impréparation et le caractère erratique des politiques économiques américaines (droits de douane, restrictions migratoires, coupes budgétaires dans les organismes publics de recherche et les universités).
L’aggravation des déficits publics et l’augmentation de la dette fédérale suscitent également des inquiétudes. Le Congressional Budget Office prévoit un déficit persistant supérieur à 6 points de PIB, accompagné d’une hausse continue de l’endettement. La crainte d’une résurgence de l’inflation aux États-Unis alimente aussi les doutes. Les discours anti-science et la remise en cause des programmes de recherche pourraient inciter des talents à migrer vers l’Europe.
La décision de l’Allemagne de s’affranchir du frein budgétaire, une inflexion importante.
En Europe, au contraire, plusieurs signaux témoignent d’une volonté des acteurs publics et privés à changer la donne sur le terrain économique. La décision de l’Allemagne de s’affranchir du frein budgétaire marque une inflexion importante, en faveur de l’investissement. La hausse des dépenses militaires, les programmes de soutien à l’intelligence artificielle, et la modernisation des infrastructures devraient soutenir la croissance dans les prochaines années.
L’assouplissement des règles budgétaires européennes, ainsi que les travaux en cours sur l’Union des marchés de capitaux, sont également salués par les investisseurs.
L’Europe reste néanmoins handicapée par des faiblesses structurelles persistantes. Les dépenses de R&D, bien qu’en progression, demeurent notoirement insuffisantes : 2,4 % du PIB en zone euro en 2024, contre 3,4 % aux États-Unis. Les investissements dans les technologies de l’information et de la communication atteignent 3,8 % du PIB aux États-Unis, contre seulement 2,2 % en zone euro. Les compétences de la population active demeurent insuffisantes dans de nombreux pays européens, à l’exception notable de l’Allemagne. Le niveau de formation des élèves est médiocre dans plusieurs États membres — bien que les États-Unis ne fassent guère mieux sur ce plan. Les universités américaines conservent cependant une capacité d’attraction mondiale, notamment grâce à des débouchés professionnels mieux rémunérés pour leurs diplômés.
En Europe, la productivité stagne depuis plusieurs années. Entre 2010 et 2024, elle n’a progressé que de 8 % dans la zone euro, contre 23 % aux États-Unis. Le prix de l’énergie y est jusqu’à deux fois plus élevé qu’outre-Atlantique. La coordination des politiques économiques, en particulier industrielles, demeure insuffisante, entraînant doublons et inefficience dans l’usage des fonds publics.
L’Europe est aussi pénalisée par le vieillissement rapide de sa population. Depuis 2011, sa population active décline, alors qu’elle continue de croître aux États-Unis.
La fragmentation des marchés de capitaux et leur faible profondeur constituent d’importants freins.
L’Union européenne souffre également d’une faiblesse structurelle en matière d’investissement en actifs risqués, notamment les actions cotées ou le capital-risque. En 2024, les levées de fonds en capital-risque n’ont atteint que 22 milliards d’euros dans l’UE, contre 250 milliards de dollars aux États-Unis. La fragmentation des marchés de capitaux et leur faible profondeur constituent d’importants freins. L’absence quasi-totale de titres de dette émis par l’Union européenne limite en outre l’attractivité du marché financier européen.
L’Europe pourrait bénéficier, dans les années à venir, d’un regain d’intérêt de la part des investisseurs internationaux, dans un contexte de perte de repères du modèle américain. Mais pour transformer cet avantage conjoncturel en dynamique structurelle, elle devra combler ses retards en matière de recherche, d’innovation, de productivité et de formation. L’union des marchés de capitaux, la montée en puissance d’un budget européen, et la capacité à mobiliser une épargne abondante vers des projets à haute valeur ajoutée seront déterminantes.
Si elle parvient à relever ces défis, l’Europe peut non seulement redevenir un pôle d’attraction pour les capitaux, mais aussi un centre de gravité pour l’économie mondiale au XXIe siècle.
Auteur/Autrice
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Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.
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