L’Europe, la solution à plusieurs inconnues

L’Europe, la solution à plusieurs inconnues

En algèbre, les équations à plusieurs inconnues ont des solutions. En politique, 2+2 ne font pas 4. Si l’Europe apporte la solution à bien des problèmes, elle varie avec tant d’inconnues que sa diplomatie naissante, fouettée par l’agression russe, semble aller dans tous les sens. 

Que l’Europe soit la solution, la Russie le prouve. L’Europe s’est unie, apporte plus de contributions à l’Ukraine que les Etats-Unis, comprenant qu’une Russie impérialiste la détruirait. Malheureusement, au-delà de l’émotion, promettre l’entrée de l’Ukraine dans l’Union européenne et dans l’Otan signifierait la fin de l’UE. Cela conduirait à un déséquilibre total, géographique, politique, économique, financier. Y ajouter les Balkans ferait de l’Europe un ensemble chaotique, totalement dépendant des États-Unis en matière militaire, détaché de tout esprit européen. La seule solution à cet élargissement, serait de reconstituer une autre Europe unie autour d’un noyau dur ; encore faudrait-il le vouloir, notamment la France et l’Allemagne.

La France devrait recréer avec le Royaume-Uni une nouvelle alliance

Le Royaume-Uni, à sa façon, montre aussi que l’Europe était la solution. Elle est l’une des rares économies dont le PIB n’a pas retrouvé son niveau d’avant la Covid, la seule en récession en 2023. Aujourd’hui, une majorité de Britanniques voteraient pour revenir dans l’UE, presque deux tiers pensent que le Brexit fut une erreur, une large majorité souhaite renforcer les liens avec l’UE. Paris a remplacé Londres comme première capitalisation boursière d’Europe. Le pouvoir d’achat des Britanniques est amputée, l’immigration augmente, l’inverse que ce que promettaient les Brexiters. Le Royaume Uni a signé un accord avec l’UE, mais pas avec les États-Unis. Ce qui montre les limites de la « relation spéciale » avec les Américains. La France devrait recréer avec le Royaume-Uni une nouvelle alliance. 

L’absence de ligne européenne, mais aussi son attrait, se voit avec la Turquie. Erdogan a cédé, il a fini par accepter la Suède dans l’Otan, demandant que reprennent les négociations sur son entrée dans l’UE… « Il ne faut pas être naïf, il n’y aura pas de cadeaux », a répondu la ministre allemande. Vraiment ? Assouplir les visas et l’union douanière, d’accord mais seulement si l’attitude turque change vis à vis de la Grèce, de Chypre, et des droits de l’homme. Est-ce clair ? Non. On continuera à payer des milliards pour que les Turcs gardent les réfugiés syriens. 

L’absence de ligne européenne, mais aussi son attrait, se voit avec la Turquie.

L’UE suit les États-Unis. Ces derniers ont fait une explication de texte à Erdogan. L’économie turque est ruinée, la Russie perd, alors il se tourne à nouveau vers l’Occident décadent. Demi-tour : il signe un accord avec Israël, visite le Qatar, les Emirats, l’Arabie saoudite. Finies les bisbilles. La Turquie a besoin d’argent, il lui est beaucoup pardonné, et donné, avec intérêts. L’Europe se tourne, enfin, à l’initiative du Portugal et de l’Espagne, vers la Méditerranée. Mais l’Algérie regarde Moscou et cherche une double assurance avec la Chine. Rabat se tourne vers les États-Unis. 

Alors l’UE étend le « modèle » de coopération turc à la Tunisie : un milliard, dont une partie pour mieux contrôler l’immigration. Kaïs Saïed a accepté : il rejette lui-même les migrants dans le désert, comme l’Algérie voisine, sans qu’on ait besoin de le payer pour cela. Pourquoi n’a-t-on pas aidé la Tunisie plus tôt, quand elle rêvait encore de démocratie ? Étrange politique de compter les migrants en euros. 20 000 euros par migrant pour les pays européens qui refusent d’accueillir leur quota en Europe. Le prix d’un homme ? Ce serait plus simple d’interdire l’esclavage, c’est-à-dire la situation de « non-droit légale » des migrants illégaux. 

Rishi Sunak interdit toute demande d’asile faite par un immigré entré illégalement. L’ONU condamne. L’entrée illégale, à partir du moment où elle donne des droits, vaut le coup d’être tentée : 6 000 euros pour le passeur. Et des milliers de morts.

La Cour britannique a rejeté le projet de renvoyer les demandeurs d’asile vers le Rwanda, pays sûr. Mais comme dictature. Les socialistes danois veulent faire pareil : on ne peut garder l’État providence et les portes ouvertes.

Ces initiatives européennes, la France aurait intérêt à en prendre le leadership.  

Pourquoi l’Europe a-t-elle tant de mal à établir la liste des pays sûrs, définir ce qu’est un migrant, un réfugié, ce qu’est l’asile, signifier que toute entrée illégale sera jugée illégale ? Ce n’est pas sa faute, plutôt celle des Etats. Il fut possible d’accueillir six millions d’Ukrainiens. Quelle politique d’intégration ? La France (enfin) a décidé d’accorder le statut de réfugié aux Russes qui refusent de se battre contre l’Ukraine. Les Pays baltes font l’inverse. Ces initiatives européennes, vers le Royaume-Uni, vers la Tunisie, vers l’Amérique latine (pour la première fois depuis des années, a été organisé un sommet des pays d’Amérique latine et de l’UE) ; les lignes rouges avec la Turquie, la définition d’une politique migratoire, la France aurait intérêt à en prendre le leadership. Elle ne peut pas, n’ose pas, empêtrée dans les angles morts avec l’Allemagne : ceux de l’industrie de défense, de la production énergétique autonome, du nucléaire. L’Europe joue au bridge, à la place du mort, les autres au poker.

Heureusement, les Américains, eux, ont la foudre et l’or, la puissance militaire et le dollar. Et beaucoup pensent qu’il vaut mieux faire le mort avec eux qu’avec un perdant.

Les perdants ? Les pays pauvres et les émergents d’hier, les BRICS

Les perdants ? Les pays pauvres, qui paient déjà la hausse des taux d’intérêt, l’avidité chinoise, le coût des dictatures, des corruptions, du crime organisé. Et puis, nouveauté, les émergents d’hier, les BRICS. La Russie chute. Poutine ne sera pas invité par son ami d’Afrique du sud au prochain sommet. Pour une gifle, c’est une gifle. Après la retraite de Kiev, la chute de Kherson, la rébellion de Prigojine, il commence à en avoir l’habitude. La question reste : quand la tête tombera-t-elle ?

L’Afrique du sud s’aperçoit que la guerre de Russie lui coûte, comme à toute l’Afrique, la Chine patine, le Brésil râle parce que l’Europe l’ignore. Si Lula était moins ambigu avec Poutine, il en serait peut-être autrement.

Brésil Russie Inde Chine Afrique du Sud

Les BRICS s’échinent à trouver un substitut au dollar.

Les BRICS, Chine en tête, s’échinent donc à trouver un substitut au dollar. Ils souhaitent créer une monnaie de compte fondée sur l’or pour leurs échanges. Bonne idée, déjà morte.  

Echanger à partir d’un étalon-or évaluera chaque monnaie nationale en fonction du cours de l’or. C’est un changement de stratégie des Chinois qui reconnaissent ainsi que leur monnaie ne sera jamais une monnaie de réserve. Personne n’a confiance dans une monnaie tenue par une dictature. A défaut du dollar, on va donc chercher l’or. Mais qui détient l’or du monde ? 

Les États-Unis : plus de 8100 tonnes ! Puis l’Allemagne (3400), L’Italie (2400), la France (2400). Ensuite seulement la Russie (2200) et la Chine (1900). L’Inde en possède 650 tonnes, un peu plus que les Pays Bas (610), moins que le Japon (760), ou la Suisse (1100). Autant dire que la Chine souhaite augmenter ses réserves aux dépens de la Russie, parce que le rouble a perdu 50% de sa valeur. Et que les maîtres de la « nouvelle monnaie », si elle existe un jour, seront… les États-Unis et les Européens. Si les Européens entendent la leçon des BRICS.  

Les vraies inconnues de l’Europe, ce sont la France et l’Allemagne.

Du point de vue monétaire, comme du point de vue militaire, les Européens représentent une force considérable. Ils savent qu’il leur faut une diplomatie active, s’y essaient. Mais ne savent pas ce qu’ils veulent. Tant que la France et l’Allemagne n’auront pas établi une feuille de route, ce sera mission impossible. Les vraies inconnues de l’Europe, ce sont la France et l’Allemagne. Il faudra un moment de vérité : bataille sur le nucléaire, bataille sur l’industrie de défense, grand écart sur les Balkans, la Méditerranée, les migrations, la Turquie. 1+1 ne font pas 2. L’Europe ne peut pas être allemande, elle ne peut être française, mais elle ne peut pas être si elle n’est pas franco-allemande.

Union bancaire, union militaire : deux axes nouveaux et urgents qui permettent une action diplomatique 

Elle est la solution des pays européens et de beaucoup d’autres. Le temps presse. Elle est prise dans un entrelacs de dépendances extérieures et d’impasses internes qui l’empêchent d’exprimer une solidarité stratégique. Dans solidaire, il y a solide. Comment l’être plus encore ? Union bancaire, union militaire. Voilà deux axes nouveaux et urgents qui permettent une action diplomatique : la foudre et l’or. Solutions aux deux inconnues que sont la France et l’Allemagne. Et cesser les extensions qui rendent toute équation, tout équilibre, insoluble.

Laurent Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati 

a. ambassadeur de France

a. député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press

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