L’Europe judoka sauvera-t-elle le monde ?

L’Europe judoka sauvera-t-elle le monde ?

« Je suis un dur, un vrai, un tatoué. J’ai risqué le bagne, faut l’avouer. J’ai bouffé du cannibale, J’ai même digéré des balles » L’homme fort mime Fernandel, joue les gros bras, envoie paître la morale et le droit. Cela fascine. Puis s’érode. Alors ne restent que deux solutions : la surenchère, surmonter les conflits intérieurs par les conflits extérieurs, ou bien le retrait, possible dans les démocraties, improbable dans les régimes autoritaires. Les hommes forts font des dégâts parce que leur principe est le conflit. Ils ont besoin d’un ennemi, l’étranger. Le nationalisme rejette l’immigré comme le libre-échange. Quelle place pour l’Europe dans ce nouveau monde ?

Ainsi Trump dénonce l’immigré mangeur de chat et augmente les droits de douane. Il l’avait déjà fait lors de sa première présidence. Le déficit commercial s’était amplifié, les prix avaient augmenté. La mécanique se répétera, mais Trump se moque du résultat. Ce qui importe, c’est que les autres perdent plus que les Etats-Unis. Quand tout se résume à un rapport de force, il ne s’agit pas d’augmenter sa force, mais seulement sa force relative. Si le PIB américain est amputé de 1% à cause du protectionnisme, cela n’a pas d’importance si le PIB chinois est réduit de 2%. Tel est le calcul d’une logique de conflit.  

Dans le conflit, les alliés doivent s’aligner. Mexique, Canada, Union Européenne doivent porter leur part du « fardeau », de gré ou de force, en achetant des armes, du gaz, et suivre la politique américaine vis-à-vis de la Chine.

La vision du monde est simple. Deux blocs : Chine et États-Unis. Le reste ne compte que comme prise. Ainsi en est-il de l’Europe ou du Moyen-Orient. Gaza, le Liban, le Yémen sont des sujets secondaires. La paix au Moyen-Orient sera fondée sur la coopération militaire, financière, technologique entre les États-Unis, Israël et l’Arabie saoudite. Soit l’Iran l’accepte, soit elle en subira les conséquences militaires. La Jordanie, l’Égypte, les Emirats, le Qatar suivront.Les Russes, évincés de Syrie, bientôt de Méditerranée, ne sont plus gênants.

Il est temps de répondre à la menace chinoise et reprendre le contrôle des routes commerciales. D’où les prétentions sur le Panama, l’Arctique, l’attention à l’Egypte et au Canal.

Cette vision du monde ignore le « pourquoi nous combattons ? » Biden opposait une Alliance des démocraties à la coalition des autocrates. L’idéal démocratique marche si on le défend, si on le respecte.

Dans le conflit avec la Chine, la compétition repose sur le mouvement. Avec un moteur, l’idéologie.  

L’art du deal est sans art s’il se résume à un rapport de force. La force ne suffit pas. Les États-Unis n’ont gagné ni en Irak, ni en Afghanistan, ni au Viet Nam. Et les Russes ont perdu partout. L’empire Moghol était plus riche et puissant que la Compagnie des Indes. Byzance que les Arabes. Rarement la force gagne. C’est la mécanique du mouvement qui l’emporte et déstabilise. Ainsi se construisent les empires, presque par hasard, portées par leur course.

Dans le conflit avec la Chine, la compétition repose sur le mouvement. Avec un moteur, l’idéologie. Qu’est-ce qu’on aime ? Qu’est-ce qu’on veut ? Si des immigrés bravent tous les dangers pour l’Europe et les États-Unis, c’est parce que ces pays représentent un espoir; pas un repoussoir. La Chine veut fédérer le « Sud » antiaméricain, les Brics et au-delà.  Par un discours anti-impérialiste, qui fustige l’hypocrisie de « deux poids deux mesures », qui dénonce « le droit d’ingérence » comme un néo colonialisme. Et Trump apporte de l’eau à ce moulin chinois.

Enlève le droit international, que reste-t-il du monde ?

Si les États-Unis lorgnent le Groenland, le Canada, le Panama, pourquoi la Russie ne prendrait-elle pas l’Ukraine, la Chine Taïwan, les Spratleys, la Corée ?

« Enlève le droit – alors qu’est-ce qui distingue l’État d’une grosse bande de brigands[1] écrit saint Augustin. Enlève le droit international, que reste-t-il du monde ?

Trump dénonce des accords qu’il avait lui-même signés. Avec ses prétentions sur Panama, le Canada, le Groenland, il détruit le principe de l’inviolabilité de frontières, la confiance entre alliés. Qu’est-ce l’OTAN, quand les États-Unis menacent un pays de l’OTAN ? Poutine respire. La Chine, maline, prône le multilatéralisme, les traités internationaux, la non-ingérence.

L’Europe cible, poids, contrepoids, de quel côté va-t-elle tomber, va-t-elle tomber ?

Et au milieu coule l’Europe. L’Europe cible, poids, contrepoids. De quel côté va-t-elle tomber, va-t-elle tomber ?

L’Europe est le continent le plus riche, le plus paisible. Le taux d’homicide par habitant est y est un des plus bas du monde. L’espérance de vie une des plus longue. Le système de santé le plus performant. La protection sociale est inégalée. Les inégalités réduites. L’Europe n’a jamais été aussi riche, paisible. Elle est aussi frileuse, vieille, dépressive, divisée. Le modèle industriel allemand est en panne. La France perd ses plumes. Avec les rapports Draghi et Letta, la Commission se redonne vite une boussole stratégique, remet en cause ce qu’elle a fait les dix dernières années, sur l’immigration, l’énergie, la révolution digitale, les normes environnementales, agricoles, industrielles. Un réveil ?

À force de se croire seule au monde, l’Europe est devenue proie. Russes, Chinois et désormais Américains l’attaquent. Avec des complices, l’extrême droite et l’extrême gauche, qui l’ont toujours détestée, des attaques cyber, des menaces, des sabotages, des ingérences ouvertes ou insidieuses, des promesses alléchantes pour tel ou tel gouvernement. Et une Commission de plus en plus hors sol.

Les Russes ont perdu sur la plupart des fronts.

La guerre en Ukraine est révélatrice. Les Russes ont perdu sur la plupart des fronts. Sur le terrain, ils peinent. Leur économie est saignée. Socialement, le coût humain est tragique. Diplomatiquement, ils sont isolés. Stratégiquement, ils ont perdu la Baltique, la Caspienne, la Méditerranée. Ils misent sur un seul tableau : persuader Européens et Américains de cesser leur aide. Frapper la tête : Faire croire à Trump que la Russie se distanciera de la Chine avec une paix « juste ». Et Trump appellera victoire son abandon. Ne l’a-t-il pas fait en Afghanistan, en Irak, en Syrie ?

L’Europe s’inquiète. Pourtant, elle peut être la référence mentale, donc géopolitique, politique, du monde. Ce à quoi tiennent les peuples. La Chine montre la voie avec habileté, en faisant la promotion des accords internationaux, du droit, du multilatéralisme. C’est à l’Europe de porter le droit international, l’idéal démocratique. Elle doit le forger avec les pays victimes de l’agression américaine, Mexique et Canada, avec le Mercosur.

Les Européens doivent réinvestir le Moyen-Orient, l’Afrique, la Méditerranée. Construire une industrie de défense européenne. Ne pas quémander le soutien de Starlink comme l’Italie, mais rattraper le retard dans la course spatiale, doper le projet IRIS, bien maigre. L’Allemagne cesser de traîner, d’hésiter.

Si les États-Unis prennent des sanctions contre l’Union Européenne, ne pas répondre à une bêtise par une bêtise.   

Et si les États-Unis prennent des sanctions contre l’Union Européenne, ne pas répondre à une bêtise par une bêtise. L’engrenage serait fatal. Le libre-échange est bénéfique même sans réciprocité : les taxes sont payées par les contribuables des pays protectionnistes. Importer de produits bon marché permet une meilleure allocation de ressources.

Comme les pays du monde, notamment les plus faibles, ont besoin du droit, l’Europe sera soutenue.

L’Europe même seule doit défendre le droit international et le libre-échange. À long terme, c’est le plus efficace. Parce que la bataille mondiale, y compris dans le digital, dans le spatial, est une bataille de normes, c’est-à-dire de droit. Comme les pays du monde, notamment les plus faibles, ont besoin du droit, l’Europe sera soutenue. Aux apprentis tyranneaux, la réponse de Fernandel : « Ma femme fait du judo, cet ange de douceur a l’âme d’un catcheur, pour un non pour un oui, elle m’envoie au tapis. ». L’Europe est au centre du jeu, comme proie ou comme moteur.

Laurent Dominati

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press et l’app bancaire France Pay


[1] De civitate Dei IV, 4, 1.

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