Cet été, comme en 2023, on partage avec vous des lettres d’amour de Français de l’étranger à la France. Boris Faure nous emmène pour cette seconde étape estivale à la rencontre de Christophe, installé à Varsovie, qui savoure son cadre de vie en Pologne.
Quand je le retrouve à la terrasse de Charlotte, un bar à vin très couru assorti d’une boulangerie à la française, on ne voit que lui. Christophe c’est un homme au doux sourire à la poignée de main agréable et qui met en confiance. Du haut de son mètre quatre-vingt-dix (et des poussières) il offre une présence imposante par la taille même si on le sent habitué à des relations cordiales et paisibles. Nous nous trouvons dans un des lieux emblématiques de la Varsovie jeune et festive. La place Zbawicela ou « place du sauveur », est caractérisée par une splendide église au style romantique et aérien avec à ses pieds des cafés renommés : le Plan B, rock et un peu destroy en fin de soirée, ou le café Karma, plus Arty et bobo. Ici la jeunesse rêve et conciliabule, flirte et déambule pendant que l’été continental étire sa langueur qui n’a rien de monotone.
Nous commandons du vin blanc léger pour une fine mis en bouche. Christophe est ici comme un poisson dans l’eau…de la Vistule. Lui ,le Français d’origine polonaise dont les parents lui ont transmis la maîtrise d’une langue aux abords difficiles. La conversation est tout de suite libre et enlevée. Sans doute un effet du vin français.
La Pologne ce n’est pas la cohue, ce n’est pas le chahut
Boris Faure : Christophe je découvre ta « Lettre à la France » puisque c’est le principe de cet échange de débuter par une adresse à notre pays. Tu as écrit :
« Depuis que je suis loin de toi, je me rends compte à quel point ta gastronomie me manque, tes charcuteries, ton pain frais et croustillant, tes viennoiseries… Depuis que je suis loin de toi, je vois aussi hélas tout ce qui me déplaît, tes transports bondés, tes gens stressés et ton insécurité. Ici en Pologne ce n’est pas la cohue, ce n’est pas le chahut et c’est ce qui séduit ».
Boris Faure : On sent des réserves par rapport au mode de vie parisien qui a été le tien jadis. Pas étonnant que tu aies un profil de globe-trotter et tu aies travaillé dans des pays anglo-saxons avant que d’atterrir en Pologne.
Christophe Lemoine : En fait, j’ai commencé à m’expatrier après avoir trouvé totalement par hasard un volontariat international à l’Ambassade de France de Varsovie. Je quittais la région parisienne et la France pour la première fois. Et cela a été une révélation. En 2006-2007 je commence alors à voir les choses avec un angle beaucoup plus large. Mon cadre restreint explose. Et à partir de là je réalise que je n’ai pas envie d’évoluer sur le long terme en France mais de multiplier les expériences internationales.
Le retour et la ré-acclimatation hexagonales après la Pologne sont assez rudes.
Boris Faure : Comment se passe justement ce départ vers le large ?
Christophe Lemoine : Il y aura d’abord le retour en France : Je cherche en fait à accumuler d’abord de l’expérience professionnelle dans mon domaine d’étude, c’est-à-dire la recherche clinique. Je vais devenir attaché de recherche clinique dans deux sociétés différentes. Le retour et la ré-acclimatation hexagonales après la Pologne sont assez rudes. Mais je tiens le coup en faisant des allers-retours avec la Pologne qui devient ma bouée de sauvetage. Tous les six à huit semaines je reviens vers Varsovie. Cela me permet de souffler.
Après ces trois années parisiennes je vais pouvoir travailler comme attaché de recherche clinique à Montréal. Ma manager a soutenu ma candidature. Quand j’arrive là-bas je trouve que les gens sont très aimables au premier abord, mais nouer des amitiés se révèle plus compliqué. Je sympathise avec des compatriotes ou avec des collègues du travail mais je trouve assez difficile d’aller au-delà de la simple cordialité avec les Canadiens. Je suis arrivé avec plein d’étoiles dans les yeux, j’ai l’occasion par mon travail d’aller à des meetings à Los Angeles, à Chicago ou sur la Côte est des Etats-unis. Au départ tout ce mouvement au sein de mégapoles légendaires me fait rêver.. Mais au fil des semaines et des mois je réalise que ma vie sociale est très limitée, je mets de l’argent de côté à la banque et je suis en déplacement professionnel permanent et c’est tout. Ce n’est pas la vie dont je rêve. Je décide alors de démissionner et je me mets à partir en voyage pour recharger mes batteries, entre la Floride, San Francisco et New-York avant de revenir en Europe et de me rapprocher de ma famille et de mes amis.
À Cambridge il y a une forte communauté polonaise présente
Boris Faure : Tu as toujours la Pologne en tête j’imagine ?
Christophe Lemoine : Oui, je suis toujours en recherche d’un poste en Pologne mais je n’en trouve pas. Et je finis en Angleterre à Cambridge. Je cohabite avec le monde étudiant et universitaire. Dans les parcs au printemps et en Automne on voit tous les étudiants sur les pelouses. Il y a une effervescence. C’est un lieu de savoir et d’étude puissant.
Ce qui me plaît à ce moment-là c’est qu’il y a une forte communauté polonaise qui est présente. Le Polonais est d’ailleurs la deuxième langue en Angleterre. Mes parents sont polonais, je connais cette langue, et cela me donne une énergie en plus pour aller vers les autres, pour m’intégrer plus facilement.
Au bout de trois ans j’ai cependant envie de voir autre chose. Je pars alors faire des études cliniques en septembre 2018 et je m’installe à Cork en Irlande. Je ne côtoie pas énormément d’irlandais car on est dans un département professionnel très international. Il y a des Allemands, des Italiens, des Ukrainiens, des Hongrois et des Slovaques, en fait tous les pays d’Europe sont représentés au travail à part le Portugal et la Grèce. Je vis un Erasmus à un âge avancé. Je fais du théâtre et de la danse irlandaise en parallèle, la vie est agréable… La ville est sereine et calme voire parfois un peu trop calme parfois mais ça me va. Le Covid va remettre hélas tout cela en question.
Avec l’épidémie on est autorisé à quitter l’Irlande et à travailler où l’on veut. Donc mes collègues et moi allons travailler à tous les coins d’Europe. Je quitte l’Irlande pour la France puis pour la Pologne où je trouverai un job à Varsovie.
La Pologne est loin des clichés et stéréotypes
Boris Faure : C’est ton deuxième séjour à Varsovie. Il y a quelques clichés et stéréotypes qui ont cours sur la Pologne. Est-ce que tu fais figure d’Ambassadeur ou de guide pour faire connaître aux Français et aux étrangers la Pologne de l’intérieur ?
Christophe Lemoine : Mes amis que j’accueille se rendent compte que la Pologne est loin des clichés et des stéréotypes. Des amis d’Angleterre sont venus me rendre visite et ils se sont aperçus que le schéma économique est beaucoup plus moderne que ce que les gens peuvent penser.
Boris Faure : Il y a des stéréotypes aussi sur les femmes slaves, non ?
Christophe Lemoine : La polonaise n’est plus comme avant. C’est une femme indépendante. Cela a beaucoup évolué par rapport aux années 80 et 90. Avec tous les gens qui voyagent grâce aux Low cost, la femme polonaise ne correspond plus au cliché de la femme traditionnelle et soumise. Les gens ici voyagent et bougent partout en Europe. Ils travaillent à l’étranger et font des études. Ils vivent et se marient. On est dans le mouvement et les polonaises y participent largement.
Boris Faure : Et dans 10 ans tu te vois où ?
Christophe Lemoine : Idéalement je me verrais bien père de famille avec un ou deux enfants, installé avec une femme polonaise ou une franco polonaise dans une grande ville de Pologne.
En Pologne politiquement on est sur la logique du moins pire
Boris Faure : Tu ressens ce clivage politique qui existe en Pologne ?
Christophe Lemoine : Je le ressens en effet. Il y a des électeurs de PO (libéraux) et de PIS (conservateurs populistes) autour de moi. On est parfois sur la Logique du moins pire. Pas forcément sur un vote d’adhésion forte. Certains pensent que le PIS est moins pire. Je n’ai pas constaté en ville ici à Varsovie une écrasante majorité pour les libéraux de PO. Malgré ce clivage on arrive à le dépasser. On reste amis même si les avis sont tranchés au plan électoral.
Boris Faure : Varsovie avait l’image d’une capitale ennuyeuse il y a une quinzaine d’années et désormais au contraire c’est une ville pleine de ressources de divertissement.
Christophe Lemoine : À Varsovie on a en effet une offre extraordinaire en termes de sorties. L’animation des quais sur les bords de la Vistule est incroyable. Tout est fait pour attirer la jeunesse polonaise et les gens qui veulent s’amuser. Au plan musique il y a l’été des soirées électros, des afters, du jazz et des concerts pops, on a une gamme impressionnante avec des gros concerts de groupes de niveau international comme ACDC bientôt. On est plus du tout avec une offre restreinte. C’est une ville qui se remanie en permanence. On est bien lotis à Varsovie.
Dans tous les cas je reviendrais en Pologne
Boris Faure : Et si tu devais un jour revenir malgré tout dans la société française ?
Christophe Lemoine : La seule chose qui me pousserait à revenir en France serait une rencontre amoureuse même si j’essayerai de pousser ma compagne à aller s’installer dans le sud ouest de la France et pas à Paris où j’ai grandi. Il y aurait une meilleure qualité de vie là-bas. J’aime d’ailleurs particulièrement Biarritz où je me sens bien. Mais ce serait douloureux de vivre en France à cause des problèmes de transport et d’incivilité.
Je pense que pour avaler la pilule je reviendrais en Pologne de temps à autre… Prendre ma dose, histoire de me recharger les batteries.
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