Quand nous avons rencontré Chiara à Catane, elle avait revêtu son très agréable manteau d’hiver. À l’échelle de la météo clémente de la Sicile, cela se traduisait par des douces journées qui voyaient les touristes flâner dans les rues de la ville plantée aux pieds de l’Etna en quête d’aventures volcaniques.
Chiara faisait l’article pour une petite agence touristique locale. C’est en français qu’elle nous avait abordés mes enfants et moi, et c’est toujours dans une langue de Molière impeccable à peine matinée d’un charmant accent italien qu’elle avait énoncé les avantages innombrables de la sortie à la journée proposée pour un prix « absolument modique ». Il était impossible en réalité de résister au bagou de Chiara.
Nous avons passé ce jour-là un moment inoubliable sur les pentes du volcan à chercher les fumerolles annonciatrices d’une éruption qui, fort heureusement, ne vint pas. Mais Chiara avait entretenu le suspense toute la journée avec des dons de conteuse émérite et une doudoune chamarrée et extravagante. Impossible de lâcher notre guide du regard avec une telle panoplie !
A la fin de la journée nous avons échangé nos coordonnées et c’est ainsi que cet été… j’ai repris le contact avec Chiara pour lui proposer d’écrire sa « Lettre à la France » et de participer à un petit échange téléphonique.
« Ma lettre à la France c’est un doigt dressé à la France rance »
« La France parfois ça pue comme un camembert. Il n’y a qu’à avoir le résultat des dernières élections. Mais la France aussi c’est crémeux comme un Saint nectaire. J’adore la France des petits villages et des campagnes du Sud qui me rappelle ma Sicile chérie. Ma lettre à la France c’est un doigt dressé à la France rance, mais c’est un baiser salé à la France métissée qui me fait rêver ».
Chiara de Catane
Boris Faure : Chiara, tu m’as écrit une lettre à la France de tempérament…Tu es franco-italienne et je sais que tu es née un peu par hasard à Marseille. Tu nous racontes ton histoire ?
Chiara : Mon père était un marin italien. Il tournait sur des cargos en Méditerranée. Il a fait cela pendant une bonne vingtaine d’années. Puis je crois qu’il s’est lassé de l’ambiance masculine et un peu crasseuse des bateaux rouillés. Il était dans le doute à ce moment-là, et il a fait une escale un peu plus longue que d’habitude à Marseille. Il dit qu’il a rencontré ma mère au stade vélodrome un soir de victoire de coupe d’Europe mais c’est surtout un gros mytho. En vérité il l’a draguée au comptoir d’un troquet branché près du vieux port. Et la suite a été tumultueuse. Je suis née quelques mois plus tard. Le coup de foudre. Même si mes parents se sont beaucoup disputés par la suite. Et que c’est maman qui m’a élevé seule au final.
Boris Faure : Comment tu te retrouves en Sicile à Catane alors ?
Chiara : Papa avait insisté pour rentrer en Italie. Les Marseillais le fatiguaient visiblement. Il trouvait les Siciliens civilisés en comparaison ! (rire). Et puis je crois qu’il avait trouvé un boulot bien payé sur les quais du port. Me demandez pas ce qu’il faisait exactement. C’était pas forcément parfaitement légal. Moi j’avais déjà 8 ans et je parlais le français. Ici j’ai ramé avec l’italien au début. Puis les deux langues me sont devenues familières. Maman a bien accroché avec Catane, la ville un peu délabrée qui lui rappelait Marseille, le climat du sud si clément, et puis l’Etna pour qui elle a encore une adoration, comme si ce dieu colérique qu’est le volcan était un membre de sa famille.
Papa s’est barré assez rapidement. Il est reparti sur un cargo rouillé et il doit rouiller dessus à l’heure qu’il est (rire à nouveau…)
« Notre Etna est plus paisible dans ses colères, ce n’est pas comme moi.«
Boris Faure : Et la passion du volcan s’est transmise visiblement ?
Chiara : Oui clairement, c’est l’héritage familial. Ce volcan, c’est un peu notre propriété privée (clin d’oeil appuyé). En fait j’ai voulu commencer des études de géologie car je m’intéressais à tout ce qui concernait les volcans. L’histoire des stromboliens et de leur dôme explosif, les nuées ardentes assassines, ça me faisait kiffer. Heureusement notre Etna est plus paisible dans ses colères, c’est pas comme moi.
Boris Faure : Tu as fait tes études à quel endroit ?
Chiara : En fait nulle part. Les études n’ont jamais démarré. J’avais la flemme de quitter Catane. Je me suis dit aussi que j’apprendrais sur le tas l’histoire de l’Etna et qu’avec mon bagout je pourrais aller baratiner quelques touristes pour leur extorquer de quoi gagner ma vie (rire).
J’ai débuté dans une agence qui n’existe plus aujourd’hui. Puis je me suis fixé sur mon agence actuelle. C’est ce que j’ai de plus stable dans ma vie d’ailleurs. Le boulot. Au niveau vie privée c’est plus catastrophique. Je crois que je suis trop volcanique dans la vie…
« Ici on vivote mais on vivote bien«
Boris Faure : Parle-moi de la vie ici en tant que Française…
Chiara : Je ne suis pas française je suis franco-italienne. Nuance ! Je ne choisirais jamais entre le pays de la botte et le pays des camemberts. Ici la vie est douce. On peut dire que ça correspond au cliché de la dolce Vita même si on n’est pas à Rome mais dans un pays de fou où à la fois la terre est généreuse pour ceux qui cultivent, le ciel est généreux en intempérie rares, les gens sont généreux, car on a toujours su accueillir les étrangers ici…mais malgré cette générosité d’âme, il y a quelque chose ici qui déconne (rire…). Va savoir, les histoires de mafias peut être, une classe politique un peu pourrie, ou disons pas au niveau, et des gens qui ne se donnent pas le mal qu’il faudrait pour faire vraiment décoller la Sicile…
Bref, ici on vivote mais on vivote bien. On mange bien. On boit des bons vins. Et les garçons sont charmants…Enfin, parfois.
« Meloni, une grande menteuse »
Boris Faure : Et la situation politique ?
Chiara : Moi j’aime bien Meloni, figure-toi. Mais uniquement en tant que femme. Un tempérament de tueuse, une nana qui a mis les mecs au pli. Après dans ses idées pour moi c’est une grande menteuse. Elle promet des choses qu’elle ne tiendra pas. Sur l’immigration elle a fait des étrangers des boucs émissaires. Elle a aussi promis la lune en matière d’expulsion. Et elle n’y arrivera pas. Une grande menteuse je te dis.
Boris Faure : Tu peux nous parler de ta vision de l’avenir pour Catane ?
Chiara : Non. Je réalise que je t’ai dit assez de bêtises pour aujourd’hui. Donc on va en reste là, l’ami. Et puis je t’attends sur le volcan, car la dernière fois tu ne faisais pas trop le malin en altitude…Et peut-être que la prochaine fois tu auras plus le pied marin…Pour naviguer au sommet.
Boris Faure : Et les photos que tu as choisies ?
Chiara : Juste des endroits de Catane où je me sens bien. Les rues animées, colorées. Les gens qui ont ici du tempérament de feu. Et puis le volcan où je me sens chez moi. Tu verras la maison ensevelie sous la lave sur la photo. Parfois j’ai vraiment l’impression que c’est chez moi et que le volcan vient juste me saluer en déversant la lave à mes pieds…