Avec Franck Ferrari, nous nous sommes rencontrés, le 12 juin. Et en Russie, aujourd’hui, c’est la fête de la souveraineté, une journée où on célèbre l’indépendance du pays gagnée sur l’Union soviétique.
Franck Ferrari est enseignant au lycée français Alexandre Dumas et profite de son jour chômé pour nous parler de la France et de la Russie, 4ème épisode de notre série de « Lettres à la France ».
Qu’est-ce que ça fait d’être un Français de Moscou en ce jour de célébration et alors qu’une guerre fait rage ?
Franck Ferrari : C’est un jour non travaillé comme les autres. On se promène mais vu la situation globale c’est un peu moins la fête. Mais on ne sent pas le climat de mobilisation militaire. Aujourd’hui j’ai même vu un défilé de soldats déguisés en Romains. Des Romains ! Il fait un superbe soleil. Les Moscovites sont partis en région pour célébrer ces trois jours fériés en famille. Dans les datchas c’est l’époque des barbecues qui commence. La ville s’est vidée de ses habitants.
« Aujourd’hui j’ai vu un défilé de soldats russes déguisés en Romains.«
Boris Faure : Si on parlait de vos origines ? Que fait un Corse ici ?
Franck Ferrari : Je suis né en fait en Nouvelle-Calédonie. J’ai vécu toute mon enfance dans des îles entre la Nouvelle Calédonie, la Martinique et la Corse où j’ai mes origines. J’ai atterri en 2012 à Moscou et j’ai trouvé un appartement … dans l’île centrale de la ville.
Boris Faure : On se croirait un peu dans un roman de Beigbeder, non ?
Franck Ferrari : Je me suis marié avec une Russe mais on s’était, nous, rencontrés à Paris. Ce n’est pas elle qui voulait rentrer mais moi qui l’ai poussé. Elle n’était pas amoureuse de Paris et j’avais fait mon temps dans la capitale…16 ou 17 ans… Elle bossait dans l’hôtellerie et je lui ai laissé le choix de trouver un travail à l’étranger et de la suivre. Et comme elle ne trouvait pas on est rentré en Russie. Je travaillais déjà avec les milieux russes à Paris. Je n’avais pas plus que cela le fantasme de la Russie, et ma femme en plus ne correspond pas au cliché de la Slave puisqu’elle est à moitié tatare. J’avais la sensation d’avoir vraiment fait le tour de Paris. J’avais étudié à Dauphine, à l’époque c’était le rêve de vivre dans la capitale mais là je saturais.
J’avais en fait besoin de partir pour n’importe où. J’avais été un amoureux sincère de Paris quand j’étais en Corse. J’avais trouvé la fac de Dauphine par hasard, j’étais obsédé à l’idée d’aller à Paris. Mais 17 ans de mariage avec Paris faisait que je m’ennuyais dans mon couple (rires).
« 17 ans de mariage avec Paris faisait que je m’ennuyais dans mon couple (rires) ».
Boris Faure : Vous êtes français et corse, vous me parlez de cette double appartenance ?
Franck Ferrari : Je suis quand même français mais je suis corse aussi. Je n’aime pas dire que je suis corse avant d’être français. Mais il y a un attachement à mon île presque plus fort qu’à la France. Je n’ai jamais raté un retour estival en Corse sauf… cet été. Ma troisième fille va naître début juillet. A cause des problèmes de transport elle n’aurait son passeport qu’à la mi août. Et on ne profiterait que d’un bout de vacances. J’ai préféré renoncer.
Boris Faure : Comment vivez-vous votre vie de Corse de l’étranger ?
Franck Ferrari : Quand je suis en stress, quand je ne suis pas bien, j’ai un besoin de retour… musical, des odeurs, des saveurs, comme un besoin de retourner aux racines. A Moscou on n’est pas dans une région où il y a beaucoup de Corses, trois ou quatre Corses « égarés » tout au plus.
Boris Faure : Et votre acclimatation au premier hiver russe pour vous le Méditerranéen ?
Franck Ferrari : Le 14 janvier 2012 on arrive ici. L’hiver est déjà entamé. Je demande à mon épouse de conserver son travail en France pour voir si j’arrive à survivre. Et j’ai dû changer ma mentalité à propos du froid. Ici on s’habille pour se couvrir et pas pour être beau. Je n’aime pas les chapeaux et à – 15 je mets pourtant un bonnet.
« Ici on s’habille pour se couvrir et pas pour être beau«
Boris Faure : Vous connaissez bien la Russie hors de Moscou ?
Franck Ferrari : Les vacances on les passe à l’extérieur de la Russie. Maintenant les « nationalités » propres au pays, les Tatares, les Géorgiens, les Arméniens, ont des façons culinaires différentes, des façons de penser distinctes mais une certaine homogénéité. Car Le soviétisme a produit une certaine homogénéité.
Boris Faure : Vous êtes élu des Français de l’étranger. Quand vous rencontrez vos collègues conseillers est-ce que vous êtes le Russe de service ?
Franck Ferrari : Quand je me présente à mes collègues conseillers en tant que conseiller pour la Russie et la Biélorussie, la première réaction c’est « ahha… » et la deuxième « mais comment ça va ?… »
Une communauté française en Russie divisée en trois tiers.
Boris Faure : La communauté française de Moscou, vous pouvez la décrire ?
Franck Ferrari : Avant le 24 février c’était un tiers d’expatriés avec un lien peu étroit avec la Russie. Qui vivent dans le même quartier. Et sont là pour trois ans.
Il y a aussi un tiers de binationaux, qui se sont installés, qui se sont mariés, russifiés et ont des enfants.
Il y avait un troisième tiers que je ne peux pas qualifier tout à fait d’aventuriers mais qui est plus mouvant. Avec des problèmes de visas pas simples. Moi j’appelais ça « le tiers mouvant ».
Après le 24 février la part des expatriés est réduite à la portion congrue. Restent surtout les binationaux. Les aventuriers ont disparu. Il y a aussi une forme de communauté mosellane et alsacienne qui a une association dynamique qui fête la saint Nicolas. C’est singulier.
Boris Faure : C’est facile d’obtenir la nationalité russe ?
Franck Ferrari : Grâce aux enfants on devient russe ou par mariage. C’est assez rapide. Tu passes aussi par la carte de résident temporaire puis permanente.
Boris Faure : Et les liens avec la France ?
Franck Ferrari : Si tu n’as pas de lien avec le lycée français le lien avec la France est naturellement plus distendu.
L’institut culturel français n’est pas ouvert sur le compatriote qui a besoin de sa dose de français. On y vend des cours pour les Moscovites. C’est plutôt par tes copains ou des associations d’entrepreneurs que le lien perdure. Sinon ça se fait par internet.
On a encore « Moscou accueil » mais on est loin de ce qui se passait avant au plan associatif, avec l’UFE et FDM, les deux principales associations de Français qui rayonnaient avant la Covid et la guerre. Là l’effet de la guerre se fait clairement sentir. Quand les français se rencontrent on est en dehors des réseaux associatifs ou institutionnels. Quasiment tout a fermé avec la Covid, on avait deux restaurants « Chez maman » et « Chez papa », lors de la finale de l’Euro où on a perdu contre le Portugal il y avait foule. Il y a eu une volonté de l’Ambassade de se replier, de tout fermer. La COVID a tué le reste et cela n’a pas pu repartir.
« L ’effet de la guerre se fait clairement sentir. Quand les Français se rencontrent on est en dehors des réseaux associatifs. »
Boris Faure : Est-ce que les russes correspondent aux clichés de la Russie littéraire entre Anna Karénine et les Frères Karamazov ?
Franck Ferrari : Quoi qu’on dise en Occident, Moscou est occidentale. On marche au 2.0, tout notre système bancaire est numérique. La ville a énormément changé. Elle était sauvage avant, elle ne l’est plus du tout. L’âme slave littéraire est en réalité un peu noire. Quand tout va bien c’est qu’il y a un problème. C’est ainsi dans la religion orthodoxe et le protestantisme. Quand tout va bien c’est suspect.
Ici c’est aussi le bordel organisé. Au départ c’est n’importe quoi mais au final tout le monde se range sur la file de droite dans l’escalator. Ici on ne te fait pas un sourire pour sourire. On ne te le fait que si tu rentres dans sa tête ou son esprit et que tu es invité enfin chez un Moscovite.
Boris Faure : Et en Corse la fête se mène comment ?
Franck Ferrari : Une fête corse classique c’est… tu es parti tranquillement pour boire un café sur la place du village… et tu rentres à 6H du matin.
Les Russes c’est la même chose. Tu viens pour un apéro et dans l’ordre et le désordre tu finis au petit matin.
Boris Faure : Après la mort vous rêvez d’être enterré en Corse?
Franck Ferrari : C’est fifty-fifty. J’aimerais qu’on disperse mes cendres dans l’océan pacifique et au stade de Furiani. Mais je ne veux pas compliquer les choses à mes filles… donc ce sera en Corse.
J’espère que mes filles laisseront un message gentil sur ma tombe. Genre « Ça a été un bon papa ». Elles ont la première place dans mon coeur. Parfois on me demande pourquoi je suis arrivé comme prof au lycée français ? C’est pour mieux les surveiller de près (rires).
« J’aimerais qu’on disperse mes cendres dans l’océan pacifique et au stade de Furiani.«
Boris Faure : Vous enseignez quelle matière ?
Franck Ferrari : Je suis passé du secondaire, prof principal en SES et techno, au CE2 dans le primaire. Professionnellement ça va. Mentalement ça a été au départ un choc. Mais un choc totalement amorti. Je resigne d’ailleurs l’année prochaine.
Sa Lettre à la France
Depuis que je suis loin de toi,
Dans cette Russie où chaque jour
Je rêve sous un ciel trop gris
De m’entendre dire bonjour
Avec l’accent de mon pays.
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