L’Espagne, un modèle de croissance ?

L’Espagne, un modèle de croissance ?

Après avoir dû faire face à une grave crise entre 2010 et 2012, l’Espagne connaît, ces dernières années, un rebond économique. Son taux de croissance a été de 2,5 % en 2023, contre 0,4 % pour la zone euro. En 2024, il pourrait être proche de 3 % contre moins de 1 % en zone euro et ce malgré les inondations. Cette performance surprend compte tenu des fondamentaux de l’économie espagnole. Certains économistes doutent, dès 2025, de la pérennité du modèle de croissance quand d’autres estiment que le pays sait exploiter au mieux ses avantages comparatifs.

Entre 2010 et 2012, le PIB de l’Espagne s’était contracté de plus de 5 points. En 2015, le pays avait réussi à compenser ce recul. Depuis 2017, la croissance espagnole est toujours supérieure à celle de la zone euro (hors période covid). Depuis 2012, elle est même deux fois plus élevée que la moyenne européenne. Au premier semestre 2024, la croissance annualisée de l’Espagne sur le premier semestre était de 3,2 % en Espagne, contre 1,2 % en zone euro.

Le dynamisme du secteur touristique

L’Espagne connaît une forte progression de son PIB grâce au dynamisme de son secteur touristique. Le pays a su profiter du rebond post covid. En 2023, il a accueilli 85,1 millions de touristes internationaux, soit une augmentation de 18,7 % par rapport à 2022. Parmi les principales régions visitées figurent la Catalogne (21,2 millions), les Baléares (16,9 millions), les Canaries (16,4 millions) et l’Andalousie (14,3 millions). Les recettes tirées du tourisme sont plus élevées en Espagne qu’en France. Sur les 100 millions de touristes étrangers en France, 20 sont simplement en transit. Par ailleurs, la durée moyenne des séjours est plus longue en Espagne qu’en France. La dépense moyenne par touriste par séjour est de près de 1 200 euros pour la première contre 650 euros pour la seconde.

De ce fait, les recettes globales atteignent 100 milliards d’euros pour l’Espagne contre 64 milliards d’euros pour la France. (données 2023, sources Egatur pour l’Espagne et INSEE et Atout France pour la France). La contribution au PIB du tourisme est de 12 % du PIB en Espagne, contre 3 % en France. Chez la première, la reprise touristique a permis la création de plus d’un million d’emplois dans les secteurs de l’hôtellerie et de la restauration. Le tourisme assure 13 % de l’emploi total.

Un soutien européen majeur

L’Espagne est l’un des plus grands bénéficiaires du plan de relance européen, avec plus de 69,5 milliards d’euros de subventions approuvées jusqu’en 2026. À la fin de 2023, environ 35 % de ces fonds avaient déjà été déboursés, alimentant des projets stratégiques dans les infrastructures, la digitalisation et la transition verte.

De son côté, la France devrait percevoir, au total, 37 milliards d’euros sachant que le premier bénéficiaire en Europe est l’Italie avec 80 milliards d’euros. Selon les estimations de la Banque d’Espagne, le plan NextGenerationEU pourrait augmenter le PIB espagnol de 2 % d’ici à 2024 grâce à l’investissement public. Environ 50 % des fonds sont alloués à des projets de transition énergétique, confortant la position de l’Espagne en tant que principal producteur d’énergies renouvelables d’Europe.

En France, l’usage des fonds européens a été moins structurants qu’en Espagne en raison d’une politique de saupoudrage. Une part non négligeable des crédits a été utilisée pour financer des projets de réhabilitation déjà programmés. En 2023, l’Espagne disposait de 68 GW de capacité installée en énergies renouvelables, avec une augmentation annuelle moyenne de 10 % depuis 2020. L’énergie solaire et éolienne représente plus de 40 % de la production électrique, permettant de réduire la dépendance aux importations d’énergie. Les investissements dans le secteur des énergies renouvelables ont dépassé 15 milliards d’euros entre 2021 et 2023. Ils sont à l’origine de la création d’environ 100 000 emplois directs et indirects. Cette politique a permis à l’Espagne d’économiser 5 milliards d’euros en importations de gaz et de pétrole en 2023.

Réforme du marché du travail

Le gouvernement espagnol a mené des réformes du marché du travail permettant une réduction des contrats temporaires, passant de 24 % en 2021 à 19 % en 2023. En conséquence. Le taux de chômage en Espagne, historiquement élevé, est passé de 15,5 % en 2021 à 11,3 % en août 2024. Le salaire minimum a fortement progressé ces derniers mois, une augmentation qui a soutenu la demande intérieure. Entre 2018 et 2023, le salaire minimum interprofessionnel a, en effet, progressé de 47 %.

L’Espagne a réussi à maintenir la compétitivité de son économie, ce qui lui permet d’accroître ses exportations en particulier de voitures et de produits agroalimentaires ainsi que de produits chimiques. L’Espagne produit 2,2 millions de voitures contre 1,4 million pour la France. L’Espagne exporte une grande majorité des voitures produites, quand la France se contente d’en vendre à l’étranger 350 000.

Faiblesses et handicaps de l’économie espagnole

Les atouts de l’Espagne ne sauraient masquer plusieurs faiblesses. Comme la France, l’Espagne souffre, depuis 2017, d’un recul de la productivité du travail. De 2019 à 2024, celle-ci a diminué de 5 %, ce qui pèse négativement sur la croissance. Cette baisse de la productivité est imputable à une spécialisation sur des activités à faible valeur ajoutée. Les gains de productivité sont faibles dans les services, tout particulièrement dans le tourisme. L’Espagne est également pénalisée par la faiblesse de son système éducatif qui contribue également au déclin la productivité.

Les compétences de la population active sont également faibles. Le nombre de diplômés de l’enseignement supérieur y est plus faible en moyenne qu’au sein de la zone euro. Les dépenses de Recherche-Développement sont faibles en Espagne. En 2023, elles s’élevaient à 1,3 % du PIB, contre 2,3 % en France et 3,1 % en Allemagne.

Même si l’Espagne a conservé un secteur industriel plus important que la France, elle est confrontée au déclin de ce dernier. Le poids de l’industrie automobile recule tout comme celui de l’industrie des biens intermédiaires. La production de l’industrie automobile a diminué de plus de 5 % entre 2019 et 2024. Ce recul est pour le moment compensé par les activités touristiques. La balance commerciale de celles-ci est excédentaire de plus de 4 % du PIB mais la croissance de ce secteur n’est pas sans limite.

Le surtourisme est dénoncé par un nombre croissant d’Espagnols. À Barcelone, des mesures ont été prises pour réduire le nombre des locations saisonnières. À Málaga, des autocollants hostiles aux touristes sont apparus. Aux Baléares, des manifestations contre la sur-fréquentation des plages et l’exploitation des ressources naturelles se sont multipliées. À Saint-Sébastien, les groupes touristiques sont désormais limités à 25 personnes dans les zones sensibles. Séville envisage aussi de faire payer l’accès à la Place d’Espagne aux visiteurs non-résidents.

Les inondations tragiques de Valence souligne les dangers de la suburbanisation même si cette ville a dans le passé déjà connu de tels évènements. En 1973, plus de 300 décès avaient été comptabilisés lors d’évènements similaires.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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