Les vaches ne paient pas d’impôts. Les riches non plus

Les vaches ne paient pas d’impôts. Les riches non plus

Il y avait un impôt sur les fenêtres. Plus il y avait de fenêtres, plus le foyer, supposé vivre à l’aise, payait. Grandes baies ou meurtrières, les fenêtres ne paient pas l’impôt. De même, s’il y a un impôt sur les vaches, les vaches ne paient pas d’impôts. Les impôts sur les vaches, la terre, le foncier, les chevaux, voitures, marchandises, usines, sociétés, bénéfices, licences ne sont pas payés par les vaches, la terre ou les sociétés. Ils sont payés par des personnes, pauvres et riches.

Encore que. Les riches ne paient pas d’impôt. Pas plus que les pauvres. Ou plutôt, riches et pauvres sont comme les vaches et les fenêtres : une catégorie visible, saisissable, fiscalement identifiable, mais, économiquement incertaine. Comme toute catégorie, car l’économie est mouvement, échange, transformation.

Quand l’impôt frappe la vache. Le paysan paie. Croit-on. Il ne paie pas seul. Quand l’impôt frappe le riche, le riche paie. Pas seul

Zucman et ses amis sont des théoriciens du sport, non des sportifs. Ils confondent classes, catégories, marketing, statistiques, stocks et flux.

Quand l’impôt frappe la vache. Le paysan paie. Croit-on. Il ne paie pas seul. Quand l’impôt frappe le riche, le riche paie. Pas seul. Comme le paysan, il fait payer les autres. L’ouvrier agricole, le vétérinaire, le consommateur, le fournisseur, le propriétaire, le locataire… C’est le circuit monétaire qui est taxé. La fiscalité d’un autre siècle ne renforce pas l’économie du nouveau.  

Zucman et ses amis ont pourtant flairé quelque chose qui cloche. Les ultrariches, horresco referens, paient moins d’impôts, par rapport à leur fortune, que les autres riches. Parce que leur fortune s’accroît plus vite que leurs revenus. Compte tenu de l’augmentation de leur capital, alors que l’impôt frappe les revenus, les riches, trop malins, ne se distribuent pas tous les revenus, (preuve qu’ils en ont trop). Ainsi, à l’extrémité de la courbe des prélèvements, le taux d’imposition passerait de 40%, en moyenne, à 25% pour les plus riches des riches, en tenant compte non plus de ce qu’ils se distribuent mais de ce qu’ils seraient en mesure de se distribuer. Pour éviter ce biais, il suffirait de taxer directement le capital. Simple. Simplement destructeur, de capital. Forcément.

Si on diminue le capital, on diminue les revenus futurs. Simple. « Tu veux ta vache, camarade ? Tu auras ta vache » disait Staline

Le nouveau Premier ministre, Sébastien Lecornu, a sorti l’apologue de la vache et du lait, appelant un chat un chat et une vache une vache. La vache, c’est l’outil de production, en gros le capital. Le lait, le revenu. On peut toucher au lait, mais pas à la vache. Si on diminue le capital, on diminue les revenus futurs. Simple. « Tu veux ta vache, camarade ? Tu auras ta vache » disait Staline pour justifier la « NEP », la nouvelle politique économique en 1922, comprenant que la collectivisation de terres avait dissuadé les paysans de se crever l’échine à cultiver la terre et à traire le lait pour le kolkhoze. Il autorisa les paysans à devenir propriétaire. La production remonta. Vachard,  il exécuta ces sales koulaks enrichis. Pour les anticapitalistes, la richesse, c’est la vache, plus que le lait.

©INRA
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La vache permet d’être riche. Très riche. Non par les revenus de la vache, que l’on peut taxer et redistribuer, mais parce que la vache grossit, fait des petits, devient troupeau. Les riches deviennent ultra riches par l’augmentation du nombre de vaches. Le capital grossit. Quand la richesse était fondée sur la terre, la terre ne se multipliait pas. Seule la misère se multipliait. Le capital peut enfler, se multiplier, le peut, à condition qu’il passe par la dématérialisation, l’emprunt, les effets de leviers, etc… La finance en somme. Le patrimoine peut garantir un emprunt, qui peut générer des revenus bien supérieurs aux taux d’intérêt. Voilà pourquoi on ne prête qu’aux riches, aux vaches.

Taxer les vaches diminue le troupeau au lieu de le faire grandir. Preuve qu’il s’agit d’idéologie plus que d’économie. Progressivement, l’État prendrait des parts de vaches via les impôts, du Staline light. Aussi vache qu’inefficace : les paysans, les ultrariches, et les moins riches, et les pauvres, iront voir ailleurs si l’herbe est plus verte.

La richesse ne vient plus du salaire. Si le capital augmente beaucoup plus vite que les revenus, c’est parce que la valeur du capital augmente. Plus personne ne sera « riche » parce qu’il aura un bon job dans une belle boite. Il pourra, peut-être, le devenir s’il sort de sa boite pour créer la sienne, et la revendre un jour. Ou bien, puisque tout le monde n’est pas un créateur d’entreprise, en participant au management de l’entreprise, qui le paiera en actions, ce que font beaucoup de sociétés. Le travailleur actionnaire pourra aussi l’être sans le savoir par des mécanismes d’intéressement ou de participation, voire de fonds de pension.

C’est idiot de taxer les vaches et de diminuer le troupeau parce que le capitalisme est un tel succès qu’il devient hypercapitaliste. C’est ce qui gêne

C’est idiot de taxer les vaches et de diminuer le troupeau parce que le capitalisme est un tel succès, – ce système (et non les impôts) qui a réussi à vaincre la maladie, la misère et la faim pour 7,5 milliards d’êtres humains- qu’il devient hypercapitaliste. C’est ce qui gêne, idéologiquement, contre la logique.

©Elucide Media
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L’hypercapitalisme, ce n’est pas la concentration du capital, c’est la multiplication des effets de leviers du capital, partout dans le monde, et de sa vitesse. La rentabilité se mesure autant à vingt ans qu’au jour le jour, à Hong Kong ou au Bénin, dans la santé comme dans l’aéronautique. Les risques ne sont plus ceux d’un marchand de Venise avec sa nef au long cours mais ceux, dispersés,  réduits, d’une mutualisation mondiale.

Dans une économie hypercapitaliste, le bien-être peut se partager, à deux conditions. La première, de ne pas s’opposer aux mouvements. La seconde, que le maximum de personnes – travailleurs, consommateurs, actionnaires, pauvres, – en profitent. Plus le monde économique inclut d’acteurs, plus il tourne, et plus l’argent, c’est-à-dire la finance, l’horrible finance- tourne. Les sociétés les plus inclusives, économiquement et politiquement, sont les plus développés, inventives et riches. Et le seront de plus en plus. Ce ne sont pas les « inégalités » qu’il faut combattre, mais les « exclusions ».

Les sociétés les plus inclusives, économiquement et politiquement, sont les plus développées, inventives et riches

La justification des impôts, outre le paiement des services publics, est la redistribution. L’intérêt de la distribution est l’inclusivité, ce que l’on appelle la cohésion sociale. Une société qui laisse les uns au bord de la route quand les happy few volent en jet set se durcit. Aux États-Unis, la partie la plus défavorisée de la population consomme moins, tandis que celle qui participe au capitalisme populaire bénéficie d’un effet richesse. Les Etats-Unis sont plusieurs, en conflit. Or l’effet de richesse portée par la bourse et la croissance américaine est tirée par les investissements dans l’économie numérique, notamment l’IA. Que la bulle s’effondre, les conflits s’accentueront,  se propageront au reste du monde. Et l’on verra que les riches ne paient pas d’impôts, encore moins lorsque le capital fond, et que tout le monde paie l’érosion du capital.

Se diversifier : oser l’élevage de chevaux, ou de lapins, agiles et rapides. Elever des poissons, chats de préférence

Si une crise survient, -et elle surviendra car nous sommes dans un système de crises- résisteront non les plus riches, mais les plus agiles, ce, des Etats, des sociétés ou des entreprises. Donc ne pas s’attaquer aux vaches, isolées ou en troupeau. Se diversifier au contraire, oser l’élevage de chevaux, ou de lapins, agiles et rapides. Ou dans d’autres espaces :  maritimes, spatiaux. Elever des poissons, chats de préférence. Même s’il y aura toujours des cerveaux pour taxer la mer. Au niveau zéro. Rien n’interdit d’explorer les profondeurs, les espaces infinis promettent des richesses infinis. Les anciens voyaient des vaches sacrées dans les nuages. Les taxer ou les suivre ? Elles donnent la pluie. Elles résoudront le changement climatique.

Laurent Dominati 

a.Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Laurent Dominati

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