Les trompettes de Jéricho

Les trompettes de Jéricho

Les armées du Josué encerclent la ville de Jéricho, tournent sept fois autour des murs, sonnent sept fois de la trompette, les murailles s’effondrent. Ce miracle porte un nom : la reddition. Ni par la faim, ni par la défaite, par la seule voix des trompettes. Les ondes miraculeuses atteignent le cœur, les armes sont jetées à terre, les pierres s’effritent, les défenseurs abandonnent. Dans la non-guerre d’aujourd’hui, les trompettes sont dans les airs, les terres, les mers. Les murailles dans les têtes. C’est dire si elles sont fragiles.

Pete Hegseth, ministre de la « guerre », selon la nouvelle appellation de la « défense », a donné une leçon aux 800 généraux et amiraux américains. Il a dénoncé une armée « wokiste », des généraux obèses, – comme leur chef suprême – qui doivent recommencer à faire des pompes. Les puces, briques d’une armée moderne, en font-elles ? Trump prépare ses troupes à remettre de l’ordre dans les villes démocrates, comme si elles étaient sur le point de faire sécession. Le cœur de la démocratie libérale américaine brûle.

Telle est la façon de faire la guerre : fissurer les ennemis par l’intérieur.

En Chine, les purges continuent. Rythmée de l’immuable chorégraphie de Frédéric II, l’Armée Populaire défile avec ses danseuses au pas cadencé. Les soldats, à force d’imiter les robots, leur laissent la place. Les drones désorganisent les aéroports, les navires fantômes les ports, les trolls biaisent les élections, falsifient, partout répandent « l’esprit qui toujours nie ». Telle est la façon de faire la guerre : fissurer les ennemis par l’intérieur. La guerre ne reprend son vrai visage de bombes que lorsqu’elle l’impunité la rend possible.

Ainsi l’Ukraine devait tomber en trois jours. Jamais Poutine n’avait pensé mener une guerre pour des années, avec des centaines de milliers de morts. La guerre devait se passer sans guerre. Hélas, un pas a entraîné l’autre. La stupide fierté des dictateurs, parce qu’ils craignent qu’un échec ne mine leur autorité, est de ne jamais reculer, jusqu’au désastre. Il n’est pas impossible que Poutine ne conduise la Russie au désastre. C’est même une hypothèse très sérieuse. Ce n’est pas forcément une bonne chose car son désastre de le mener à n’importe quoi. Bachar et Ianoukovitch ont trouvé refuge chez lui, mais chez qui peut-il se réfugier ? Renverser Poutine ne viendra que de l’intérieur, alors il élimine ses généraux, assassine ses proches, autant d’hommages aux cendres de son ami Prigogine.

Quelle autodestruction pour Israël ! Les antisémites en profitent

La guerre ne se fait que lorsqu’elle est impunie. Ainsi à Gaza, un gouvernement antiterroriste terrorise les populations, craignant une pénurie de munitions, finit par accepter la paix des ruines.  Quelle autodestruction pour Israël ! Les antisémites en profitent, jouent les redresseurs de torts. Les attentats se multiplient, au Royaume-Uni, en France, en Allemagne. En France, alors que les Juifs représentent 1% de la population, ils concentrent 60% des actes xénophobes et racistes. Depuis le 7 octobre, le nombre d’actes antisémites a quadruplé. Partout où la société s’enflamme sur la « question palestinienne », brûle la « question juive ». Entretenir le conflit, le magnifier, c’est délicieux. Chacun se gorge de sa bonté criminelle.

La haine a gagné. L’atroce pogrom aura entraîné le désespoir d’Israël et de Gaza. Le plan Trump promeut la solution à trois États, sans État. Un faux État en Cisjordanie, coupé en deux par l’extension des colonies. Un faux État à Gaza, sous tutelle internationale. Et Israël en sursis. Car tant qu’il n’aura pas d’État pour faire la paix, Israël sera menacé, y compris de l’intérieur. C’est d’ailleurs l’absurdité de refuser un État palestinien : Annexer la Cisjordanie ou Gaza revient à peupler Israël une d’une majorité de Palestiniens, une stratégie de guerre civile.

Plan de Donald Trump pour la paix entre Israël et Palestine ©BELGA/AFP
Plan de Donald Trump pour la paix entre Israël et Palestine ©BELGA/AFP

Entretenir le conflit, le magnifier, c’est délicieux. Chacun se gorge de sa bonté criminelle.

Le plan pour Gaza donne aux pays arabes la clé d’Israël. Les Israéliens pensent qu’avec les Américains, ceux-ci ne bougeront jamais. Mais les Américains, eux, ne bougeront-ils pas ? Les Israéliens oublient les trompettes de Jéricho. L’antisémitisme devient légitime. Les jeunes marocains défilent contre Israël et la vie chère, ondes de destructions massives.

Tandis que Vance, Hegseth et Trump entendent mobiliser les militaires contre les villes démocrates, les vraies guerres se passent ailleurs. À moins que ce ne soit la même.

Les guerres sont subliminales. Multi vectorielles, elles concentrent leur feu sur le point G de la paralysie neuronale : Désarmer l’attrait pour la démocratie, attiser les crises internes, activer les peurs. Qui peut former une équipe, un bataillon, quand on se méfie de son voisin ?

Désarmer l’attrait pour la démocratie, attiser les crises internes, activer les peurs.

Le principe même de la guerre froide était un combat moraliste.  Partout s’activaient des propagandistes. Le communisme bardé d’espérance, revendiquait la noblesse du combat. Il entraînait des cohortes de combattants de l’ombre sacrificiés jusqu’aux aveux. L’Empire s’effondra, quand, à l’hypocrisie cynique s’ajouta l’impasse économique. Mais en premier vint l’effondrement moral.  

La Chine reprend cette stratégie. Aidée par ses proxys : casser l’Europe, la désarmer de l’intérieur, car l’Europe reste le seul vrai point de résistance idéologique. Une partie de l’Amérique promeut, comme tant d’autres, l’illibéralisme. La Chine, peut-elle gagner ? Riche, unie, soudée, prête à sacrifier sa population sous surveillance, elle ne peut l’emporter sans que s’agrègent d’autres espérances. Personne ne rêve d’être chinois.

Le vrai face-à-face se joue entre le modèle chinois et le modèle européen.

Le vrai face-à-face n’est pas entre les États-Unis et la Chine, puisqu’ils sont prêts à des deals. Ni entre l’Europe et la Russie, qui ne sont pour l’instant que des acteurs secondaires. Le vrai face-à-face se joue entre le modèle chinois et le modèle européen. L’uniforme contre la diversité, l’ordre contre la liberté. Allemands et Français l’ont compris. Merz et Macron ont constaté d’une seule voix que jamais le modèle démocratique n’avait été aussi fragile, aussi menacé. Ils seraient bien inspirés de ne fabriquer qu’un seul avion.

Le président français Emmanuel Macron serre la main du chancelier allemand Friedrich Merz avant une réunion de cabinet franco-allemande dans la ville portuaire méridionale de Toulon, France, 29 août 2025. ©EPA/MANON CRUZ / POOL MAXPPP OUT
Le président français Emmanuel Macron serre la main du chancelier allemand Friedrich Merz avant une réunion de cabinet franco-allemande dans la ville portuaire méridionale de Toulon, France, 29 août 2025. ©EPA/MANON CRUZ / POOL MAXPPP OUT

Les cinquièmes colonnes s’activent. Chez les industriels et au Parlement européen. Insoumis et Patriotes s’allient, comme en France, pour censurer la Commission. Sans succès, pour l’instant. Rarement partis auront autant moqué leurs noms : des patriotes qui défendent les adversaires de leur pays, des insoumis qui se soumettent à l’avance aux autocrates. Orban le Hongrois et Fico le Slovaque, renforcé par Babis le Tchèque, travaillent à la fin de l’Europe, au nom des intérêts légitimes de chaque « nation ». Le monde n’obéirait qu’à la force et l’intérêt, alors les suivre. Ou plutôt, les faire apparaître, ont décidé les Chinois.

Ce qui est remis en cause, c’est la double victoire des démocraties sur les totalitarismes au siècle dernier

Xi Jinping propose au reste du monde une cartographie assez simple des intérêts : obtenir pour les humiliés de l’histoire une revanche sur l’Occident colonial, donner aux peuples fierté nationale et progrès économique, avec pour corollaire une société ordonnée, dans laquelle le pouvoir n’est jamais remis en cause. En face, l’Europe, contestée en son sein par les illibéraux et les décolonialistes, s’accroche à son vieux triptyque : droits de l’homme, démocratie, état de droit. Sont-ils encore des références en Amérique, en Israël, dans les pays arabes, en Asie centrale, même au Japon, gagné, lui aussi, par une sorte de revanchisme révisionniste ?

Il suffit que l’un des deux piliers manque, Allemagne ou France. Quand on enlève la pierre d’angle, la muraille s’effondre

Ce qui est remis en cause, c’est la double victoire des démocraties sur les totalitarismes au siècle dernier, celle de 1945, celle de 1989. La démocratie libérale redevient minoritaire dans le monde. Les démocrates deviennent minoritaires dans leur propre pays. Les Européens deviennent antieuropéens. Les antisémites s’affichent. Les Israéliens quittent Israël. Par les satellites, les drones, les robots, mille trompettes agitent les tempêtes sous les crânes. Poutine peut s’effondrer. Xi Jinping s’essouffler. Trump revenir à la raison, comme en Ukraine. Mais l’Europe aussi. Peu importent une victoire en Roumanie, une défaite en Tchéquie, il suffit que l’un des deux piliers manque, Allemagne ou France. Quand on enlève la pierre d’angle, la muraille s’effondre. Vous entendez les trompettes ?

Laurent Dominati

a.Ambassadeur de France

a.Député de Paris

a.Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press et de l’app de paiement des Français de l’étranger, France Pay

Laurent Dominati

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