Les pensions des enseignants sèment la zizanie à l’AEFE

Les pensions des enseignants sèment la zizanie à l’AEFE

Le Conseil d’administration de l’AEFE du jeudi 26 juin a été annulé suite à la visite du ministre des Français de l’étranger, Laurent Saint-Martin, ce mercredi 25 juin. En effet, lors d’une réunion d’échanges avec les syndicats de l’AEFE (FSU, UNSA, CFDT), le ministre et son cabinet ont découvert une mesure aux conséquences potentiellement explosives pour les établissements conventionnés du réseau. La directrice générale, Claudia Scherer-Effosse, désirait mettre en place un changement quant au financement des pensions des personnels enseignants détachés sous statut de résidents. Elle œuvrait pour transférer une plus grande partie de la charge aux établissements permettant à l’agence de continuer à se désengager, sous couvert de mesures budgétaires. Le ministre n’est pas opposé à l’idée d’une réforme mais il considère que toute décision doit être arbitrée politiquement et pas seulement en interne. Logiquement la direction de l’AEFE et Laurent Saint Martin ont décidé, conjointement, de reporter le conseil d’administration afin d’étudier les options sur la table. 

Alors, les pensions des enseignants seront-elles la nouvelle bombe budgétaire de l’AEFE ? Ou une autre piste de financement du déficit de l’Agence sera-t-elle explorée ?

Surtout que les répercussions de ce transfert de charge, comme proposé par Claudia Scherer-Effosse, peuvent être profondes et multiples. C’est probablement une vingtaine de millions d’euros par an qui seraient à répercuter sur les budgets locaux et donc, in fine, pris en charge par les familles.

Le risque de déconventionnement des établissements est, aussi, réel. Ces établissements seraient sollicités pour signer de nouvelles conventions intégrant la prise en charge des pensions. Entre bras de fer et résignation, de nombreux établissements pourraient être alors tentés par le déconventionnement. Renonçant certes à des emplois de professeurs formés en France mais allégeant la facture en pariant sur le seul emploi local. L’enseignement « à la française », assuré par des professionnels formés et recrutés par concours en France puis affectés par l’opérateur est d’ores et déjà menacé. 

Une rupture dans le modèle de financement

Jusqu’ici, les pensions civiles des personnels résidents (enseignants, CPE, directeurs) étaient prises en charge centralement par l’AEFE. Cette charge était budgétairement très lourde : Le transfert des pensions du budget de l’État vers celui de l’agence avait été opéré en 2009. Avec un alourdissement de son poids lié au glissement vieillesse technicité (GVT). Le taux de cotisation ayant lui aussi augmenté, passant de 50 % d’un salaire indiciaire brut à 75 %, la situation était devenue critique pour l’agence avec des pensions représentant le chiffre record de 180 millions d’euros cette année.

Ce sont ces pensions qui expliquent en grande partie le déficit structurel de l’agence. Les syndicats de l’agence, FSU, UNSA, CFDT, avaient pourtant tiré la sonnette d’alarme depuis longtemps sur l’absence de compensation par l’État de ces pensions en augmentation.

Il faut mesurer combien cette potentielle opération de transfert sera pénalisante pour les établissements : Pour prendre un exemple concret d’un professeur certifié avec une vingtaine d’années d’expérience c’est près de 26 000 € annuels qui doivent être déboursés pour la seule pension de ce professeur.

Dans un établissement dont le taux de participation AEFE est de 55 % (la moyenne du réseau), le surcoût immédiat pour un seul poste atteint plus de 14 000 € par an. Multipliez cela par le nombre de personnels résidents, et vous obtenez une pression inédite sur les budgets des établissements.

« C’est un désengagement clair de l’État et une bombe à fragmentation. Cette mesure va déséquilibrer financièrement de nombreux établissements, et risque d’entraîner une vague de déconventionnements. Nous allons nous battre pour mobiliser les établissements »

Carte du réseau AEFE année scolaire 2023-2024
Carte du réseau AEFE année scolaire 2023-2024

Un risque de fracture dans le réseau

Cette mesure ne concernerait que les établissements conventionnés et les établissements de la mission laïque française, qui sont pourtant tous déjà dans une position fragile. Les établissements en gestion directe (EGD), eux, resteraient épargnés par cette réforme, accentuant une fracture entre les différentes composantes du réseau AEFE.

« Cette inégalité de traitement compromet la cohérence du réseau. Elle affaiblit encore davantage les conventionnés et va créer des crispations entre établissements voisins. On risque de rentrer dans des logiques de concurrence et de survie »

Les personnels résidents seraient aussi directement impactés et la facture sera avant tout humaine : dans les établissements qui pourraient déconventionner, ils se retrouveraient face à un choix dramatique : retour précipité en métropole ou reclassement en contrat local, sans droit à pension française. Une calamité sociale, une instabilité de gestion annoncée.

Et maintenant ?

Un nouveau modèle de convention intégrant cette disposition est prêt à la signature des établissements conventionnés. Mais le véto de Laurent St Martin a tout remis en cause. Personne n’est encore en mesure de connaitre réellement l’échéance que se donnerait l’agence pour mener à bien cette campagne de signatures. Et les syndicats ont déjà prévenu « Nous serons à vos côtés pour vous faire entendre à Paris. Nous lançons un appel à témoignages sur les conséquences concrètes de cette mesure, établissement par établissement », affirme l’UNSA.

Des actions collectives sont à l’étude. Les familles sont évidemment inquiètes et ont fait connaître leurs réserves vis-à-vis d’une mesure trop brutale décidée sans aucune concertation. Les frais de scolarité ont déjà connu des hausses très nettes ces dix dernières années et cette nouvelle facture d’un État employeur qui se défausserait potentiellement sur les familles passe mal.

On raconte pourtant au sein de l’agence que d’autres scénarios budgétaires existaient, le cabinet du ministre des Français de l’étrange va-t-il s’en emparer. L’agence reprendra-t-elle sa copie sous la pression collective qui est en train de s’organiser ?

Affaire à suivre.

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