Les pays en développement et leurs dettes masquées

Les pays en développement et leurs dettes masquées

Au Sénégal, le montant de la dette publique varie, selon les estimations, de 10 points de PIB. En l’absence d’un audit précis, le FMI est contraint de se fier aux données officielles qui sont loin d’être exhaustives. La dette publique du Sénégal pourrait dépasser 83 % du PIB, sachant que le FMI a mis en place un programme d’aide de 1,9 milliard de dollars.

Les erreurs d’évaluation des dettes publiques des pays en voie de développement sont fréquentes. Certains gouvernements ne disposent pas de l’ensemble des documents relatifs à leurs engagements, en particulier lorsque ceux-ci concernent les dettes des entreprises publiques. D’autres sollicitent leurs créanciers en secret pour éviter tout contrôle.

12 % des emprunts extérieurs des pays émergents non déclarés.

Depuis 1970, les gouvernements des pays en développement ou émergents ont accumulé au moins 1 000 milliards de dollars de dette extérieure non déclarée à la Banque mondiale au moment de leur contraction, selon des chercheurs de l’Université de Duisburg-Essen et de l’Université de Notre Dame. Cela représente plus de 12 % de leurs emprunts extérieurs, toutes devises confondues, sur cette période. Les chercheurs indiquent que les États ont une tendance naturelle à sous-évaluer le montant de leurs emprunts extérieurs. 70 % du stock de la dette fait l’objet de modifications après sa publication initiale.

Les erreurs de déclaration sont rares en ce qui concerne les prêts de la Banque mondiale, qui sont systématiquement divulgués. Il en va de même pour les obligations négociées en bourse, en raison de leur nature publique. Les révisions les plus importantes concernent d’autres types d’emprunts auprès de prêteurs privés, tels que les crédits bancaires ou les prêts bilatéraux des gouvernements. Les dettes cachées sont souvent révélées lorsque les pays demandent l’aide du FMI face à une menace de défaut de paiement.

Depuis deux ans, les réévaluations du montant des dettes se sont multipliées.

Depuis deux ans, avec la hausse des taux, les réévaluations du montant des dettes se sont multipliées, un nombre croissant d’États en développement ou émergents sollicitant l’aide du FMI. L’édition 2022 des statistiques de la Banque mondiale sur la dette a révisé à la hausse les données passées de plus de 200 milliards de dollars, soit la plus forte augmentation de l’histoire de l’institution.

La réévaluation des dettes extérieures peut également résulter de la révélation d’opérations de racket ou de corruption. Au Mozambique, par exemple, des entreprises soutenues par l’État ont secrètement emprunté 1,2 milliard de dollars dans le cadre d’un plan impliquant des responsables gouvernementaux et des sociétés libanaises. Lorsque le montant de ces emprunts a été révélé en 2016, l’économie du Mozambique s’est effondrée. De nombreux auteurs de ces abus, qui avaient touché des pots-de-vin, sont aujourd’hui en prison. En août dernier, le ministre des Finances, qui avait signé les accords, a été reconnu coupable de fraude et de blanchiment d’argent par un tribunal de New York.

L’opacité des emprunts entrave également leur restructuration. Il faut souvent des mois pour rétablir la réalité des chiffres. La confusion sur le véritable niveau de la dette de la Zambie a exacerbé la méfiance entre ses créanciers occidentaux et chinois lorsque le pays a cherché à restructurer, en 2020, sa dette. Le chiffre déclaré pour sa dette en 2021 a été révisé à la hausse de plus de 3 milliards de dollars, soit 14 % du PIB.

Les pays en développement et leurs dettes masquées
Les pays en développement et leurs dettes masquées – @adobestock

Absence de transparence, clauses de confidentialité.

Les États passent plus de temps en défaut de paiement lorsque leurs dettes cachées sont importantes. La transparence en matière d’endettement est faible pour de nombreux États faute d’obligation légale pour la communication au Parlement des données sur ce sujet. Une récente enquête du FMI sur 60 pays en développement et émergents, de l’Albanie au Zimbabwe, a révélé qu’à peine la moitié d’entre eux disposent d’une législation obligeant les gouvernements à soumettre des rapports sur la gestion de la dette au Parlement. Aucun de ces pays n’exige la publication des conditions des prêts souverains.

Un autre problème est l’utilisation excessive de clauses de confidentialité dans de nombreux contrats de dette. Les prêteurs ont également leur part de responsabilité. En 2019, l’Institute of International Finance, un club de financiers, a élaboré un ensemble de principes pour que les créanciers privés divulguent volontairement leurs prêts aux gouvernements. Toutefois, seules deux banques ont inscrit des informations sur leurs prêts dans le registre public établi à cet effet.

Une enquête menée l’année dernière par Debt Justice, un groupe de défense britannique, a estimé qu’au moins 37 milliards de dollars de prêts auraient dû être publiés, contre seulement 2,9 milliards de dollars enregistrés à l’époque. Cette organisation suggère que les contrats de prêts souverains devraient être inopérants devant les tribunaux s’ils ne sont pas divulgués publiquement dans les 30 jours suivant leur signature.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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