La multiplication des sanctions commerciales à l’encontre des pays émergents et la guerre en Ukraine incitent les pays émergents à s’émanciper des États occidentaux. La Chine comme la Russie entendent devenir un modèle alternatif à ces derniers en attirant de nombreux pays en développement ou émergents. Le 1er janvier 2024, les Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) se sont élargis à l’Arabie saoudite, l’Iran, les Émirats arabes unis, l’Égypte et l’Éthiopie. L’Argentine qui devait entrer dans le club s’est récusée.
Les BRICS représentent désormais 29 % du PIB mondial et plus de 40 % de la population mondiale contre 40 % pour les pays du G7 (États-Unis, Allemagne, Japon, Royaume-Uni, France, Italie, Canada). Le poids de ces derniers était de 70 % dans les années 1990. La population des pays du G7 ne pèse que 12 % de la population mondiale.
Si le poids économique des États-Unis se maintient au niveau mondial, en revanche, celui de l’Union européenne et du Japon tend à décroître.
La croissance des pays émergents peut-elle se faire sans l’occident ?
Dans les prochaines années, les pays émergents d’Asie du Sud-Est, d’Amérique Latine et d’Afrique devraient connaître une croissance plus forte et développer leurs échanges commerciaux. Cette croissance peut-elle se faire sans l’Occident ?
Les échanges du Brésil avec la Russie et la Chine ont augmenté ces dix dernières années bien plus vite que ceux avec les pays de l’OCDE. De 2012 à 2022, les exportations brésiliennes vers la Chine et la Russie sont passées de 30 à 125 milliards de dollars quand celles vers l’OCDE avoisinent sur la période 100 milliards de dollars et ont tendance à décliner. Les importations de la Chine et de la Russie vers le Brésil ont été en dix ans multipliées par trois quand celles en provenance des pays de l’OCDE ont diminué d’un tiers en valeur. Pour le Mexique, les importations en provenance de la Chine et de la Russie ont doublé depuis 2012. En revanche, les exportations vers ces deux pays sont stables. Ce pays a développé fortement les exportations vers les pays de l’OCDE mais a plutôt réduit ses achats au sein de ces pays. Le Mexique appartient à l’ACEUM, une union commerciale qui le lie au Canada et aux États-Unis.
Les importations des pays d’Afrique en provenance de la Chine et de la Russie sont passées de 2012 à 2022 de 75 à 140 milliards de dollars quand les exportations sont restées stables. Les échanges avec les pays de l’OCDE durant cette période sont restés assez stables avec des importations et des exportations qui s’élèvent chacune à 220 milliards de dollars en 2022.
L’Afrique est une terre de conquête commerciale comme politique tant pour la Chine que pour la Russie. La première y trouve des matières premières, des produits énergétiques et des produits agricoles dont elle a besoin.
Les exportations vers les pays de l’OCDE restent incontournables
Les importations russes et chinoises en Inde sont en forte augmentation. Elles sont passées de 75 à 200 milliards de dollars entre 2012 et 2022. Les exportations sont relativement stables. Les échanges avec les pays de l’OCDE sont en revanche en nette progression. Les importations sont passées lors de ces dix dernières années de 150 à 200 milliards de dollars et les exportations de 150 à 250 milliards de dollars. L’Inde achète de plus en plus à la Chine et la Russie des matières premières et des biens industriels mais exporte essentiellement vers l’OCDE, notamment des prestations de service.
Les importations russes et chinoises vers les pays de l’Asie du Sud-Est sont en forte hausse. Elles ont atteint, en 2022, 350 milliards de dollars, contre 200 en 2012. Les exportations ont également augmenté, 250 milliards de dollars en 2022, contre 150 en 2012. Sur la même période, les exportations vers l’OCDE sont passées de 300 à 500 milliards de dollars quand les importations sont restées stables autour de 300 milliards de dollars.
Les pays d’Asie du Sud-Est importent des biens intermédiaires de Chine et des matières premières ainsi que de l’énergie de Russie afin d’alimenter leur industrie d’exportation. Les entreprises chinoises et occidentales installent des usines d’assemblage et de conditionnement au Vietnam ou au Cambodge pour contourner les sanctions prises à l’encontre de la Chine. Les pays émergents et en développement commercent plus entre eux que dans le passé mais cela ne traduit pas une réelle intégration de leur économie. Les exportations vers les pays de l’OCDE restent incontournables.
La Russie comme la Chine sont deux pays en déclin démographique
La stratégie de constitution d’un bloc commercial autour de la Russie et de la Chine n’est pas, à moyen terme, la meilleure des solutions pour les pays émergents et en développement. La Russie comme la Chine sont deux pays en déclin démographique. Les marchés intérieurs des pays émergents et en développement ne peuvent pas encore rivaliser avec ceux de l’Occident en raison des écarts de pouvoir d’achat.
Le PIB par habitant moyen de l’OCDE est de 55 000 dollars en 2022, contre 30 000 en Russie et 21 000 en Chine. Il est de 76 000 aux États-Unis et de 57 000 dollars en France. En termes de croissance, la Chine comme la Russie sont confrontées à un net ralentissement avec une érosion des gains de productivité quand ces derniers demeurent positifs pour les États-Unis.
Un pays a tout intérêt à se lier avec des partenaires ayant des croissances potentielles élevées ce qui n’est pas le cas pour la Chine et la Russie. L’Inde semble l’avoir compris. Ses entreprises exportent de plus en plus vers les États-Unis. Elles achètent, en revanche, de manière opportuniste des matières premières et des produits agricoles à la Russie qui est contrainte de baisser ses prix pour maintenir ses parts de marché et financer son effort de guerre. Le Brésil semble hésiter sur la démarche à suivre en tentant de s’arrimer un peu plus que dans le passé à la Chine et à la Russie au risque de perdre des débouchés aux États-Unis.
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Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.
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