Les morts de la Covid ne sont pas comptés de la même manière.

Les morts de la Covid ne sont pas comptés de la même manière.

Cette semaine, la France rejoint la triste cohorte des pays dans lesquels on recense plus de 100.000 décès : Etats-Unis (563.000), Brésil (360.000), Mexique (210.000), Inde (172.000), Royaume-Uni (127.000), Italie (115.000) et Russie (101.000). Au total, la pandémie aurait provoqué 3 millions de morts.

Pourtant, ces chiffres doivent être regardés avec prudence. Ils ne disent pas tout, et laissent parfois interrogatifs.

En France, les mesures varient selon les méthodes de comptage. Ainsi pour les chercheurs de l’Inserm, les 100.000 morts sont atteints depuis plusieurs semaines. Non que certains veuillent masquer des morts, mais parce que Santé Publique France, l’organisme du Ministère de la Santé, n’a pas les mêmes méthodes de comptage ou de définition que l’Inserm. 

La question se pose dans tous les pays. Et la seule réponse est statistique, a posteriori : on ne peut mesurer l’effet mortel du Covid[1] qu’en fonction de la surmortalité constatée après coup. Ainsi en France, selon l’INED, à partir des chiffres de l’INSEE, le nombre de décès enregistrés a augmenté de 55 000 entre 2019 et 2020, moins que les 68 000 décès imputés au Covid en 2020. Cela vient du recul d’autres causes de décès comme la grippe ou les accidents de la circulation, du fait, surtout, que bien des personnes mortes du Covid-19 seraient de toute façon décédées en 2020, même en l’absence d’épidémie.

Le double des grippes les plus sévères 

La mortalité due au Covid dépasse le double des années de très forte mortalité de grippe : 20 000 décès supplémentaires dans les hivers 2016-2017 et 2017-2018, 12 000 dans l’hiver 2018-2019, dus à des épidémies particulièrement meurtrières[2]. Le Covid tue donc deux à trois fois plus. Si le Covid n’est pas la grippe espagnole, ce n’est donc pas « une grippette ».

Quand on compare les chiffres avec d’autres pays, le critère le plus important est évidemment celui de la taille du pays. Ce qui importe, c’est le nombre de décès par rapport au nombre d’habitants. Alors la force de l’épidémie varie considérablement. Les pays les plus touchés sont ceux d’Europe orientale : Tchéquie (2600 décès par million), Hongrie (2400), Bosnie (2250), Bulgarie (2100), Slovaquie (1970), qui avaient été épargnés par la première vague. Belgique (2063), Royaume-Uni (1916),  Italie (1904), sont ensuite les plus meurtris, devant le Portugal (1646), l’Espagne (1640), et la France (1485). 

En dehors de l’Europe, le Pérou (1735), les Etats-Unis (1722), le Brésil (1711) et le Mexique (1666) sont ceux où le nombre de décès par habitants sont les plus élevés.

Une fois établie cette hiérarchie macabre, il faut aussitôt la relativiser. D’une part, parce que la pandémie n’est pas terminée : le virus circule, le virus varie. Tel pays qui se croyait épargné, peut subir une terrible vague, raison pour laquelle la course au vaccin est essentielle.

Incohérence en Russie, anomalie en Chine

D’autre part parce que tout le monde ne compte pas de la même façon. En Belgique et en Italie, on catalogue facilement les décès en victimes du covid. Ailleurs, on le fait peu, très peu, voire pas du tout. 

Ainsi on se demande bien pourquoi la Chine aurait monté des hôpitaux en catastrophe et isolé une région de 50 millions d’habitants pour si peu de décès : 4844 officiellement.

En Russie, le nombre de décès dus au covid en 2020 est officiellement de 89.000 morts. Pourtant,  selon Rosstat, l’agence officielle des statistiques russe, le pays a connu un excès de mortalité de 394 000 personnes en 2020 par rapport à 2019, ce qui en ferait un des pays les plus meurtris au monde.

L’épidémie n’a pas fini de déstabiliser les vies

On ne pourra faire le bilan réel de cette pandémie que lorsqu’elle sera terminée, que les chiffres de mortalité annuelle seront connus. En attendant, difficile d’établir des comparaisons vraiment fiables, et donc de juger la stratégie des différents pays : La Suède (1341) et les Pays-Bas (987), moins confinés, voire pas du tout, ont de « meilleurs » résultats, jusqu’à présent, que la France (1485). 

La Russie (705) semble plus épargnée que l’Allemagne (954), mais les comptages officiels russes sont incohérents. Il semble qu’en Europe sont attribués au Covid des décès qui ne lui sont pas dus, et qu’ailleurs, ce serait l’inverse.

Mais ces chiffres ne sont pas sans conséquence, car ils influencent les prises de décisions des autorités gouvernementales. Ainsi le phénomène démographique le plus marquant de cette crise, en Europe tout au moins, n’est peut-être pas le nombre de morts dus à l’épidémie, mais la chute de la natalité : en France, 17 000 naissances en moins par rapport à 2019, une tendance entre – 7 et – 13%, ce qui reste à confirmer et à étudier, puisqu’il faut attendre un décalage de neuf mois… L’épidémie n’a pas fini de déstabiliser les vies.


[1] L’Académie recommande de dire la Covid. La logique est d’appliquer le genre de ce que désigne l’acronyme : CO pour corona, VI pour virus, D, pour desease, en anglais. Mais desaese n’est ni masculin ni féminin. Traduit en français, il s’agit de la maladie, d’où le choix du féminin pour l’académie. Choix discutable parce que le desease anglais vient du vieux désaise français, formé du préfixe des et du substantif aise, comme dans malaise. Le désaise est un masculin, n’en déplaise à l’Académie. Ce qu’ont spontanément deviné les non académiciens, les gens qui parlent le français tel qu’on l’entend dans la rue, et qui autorisent à dire le Covid, puisque c’est  l’usage qui fait la règle et non l’inverse. On peut donc de dire le covid, ou la covid si l’on veut  parler comme l’Académie (cf. Frédéric Albert Lévy, in Service littéraire).

[2] Sources INED, Population et sociétés, mars 2021.

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