Les mirages de l’industrie du confort 

Les mirages de l’industrie du confort 

En 1993, pour acheter son billet d’avion pour New York, un touriste français passait par une agence de voyage ou le comptoir d’une compagnie aérienne. Aujourd’hui, il consulte Internet pour trouver le meilleur tarif possible et commande ses billets en ligne. 

Toujours au début des années 1990, le consommateur pouvait effectuer ses courses en grande surface ou dans les commerces de détail. Il pouvait également passer commande par courrier ou téléphone à des structures de vente sur catalogue comme La Redoute. Depuis, il peut, à toute heure du jour et de la nuit, réaliser ses achats en ligne.

Un transfert de charges sur les consommateurs 

Ce changement de pratiques est-il une source de croissance ou appartient-il au domaine du confort (tout relatif par ailleurs) ? Le développement des services en ligne a abouti à un transfert de charges sur les consommateurs qui doivent par eux-mêmes effectuer des démarches qui étaient auparavant réalisées par des professionnels. Néanmoins, nous sommes nombreux à penser qu’Internet simplifie, fluidifie et accélère de nombreuses tâches. Il est jugé indispensable pour se déplacer ou pour nouer des relations. Aujourd’hui, nous serions en peine de nous déplacer dans les banlieues des grandes agglomérations sans le GPS des Smartphones. Pour autant, il y a trente ans, la presse ne faisait pas état de naufragés perdus dans le dédalle des agglomérations. L’usage des plans et les panneaux indicateurs plus nombreux qu’aujourd’hui ainsi que les renseignements auprès d’âmes sœurs permettaient à tout un chacun de trouver son chemin. 

Internet a sans nul doute facilité l’essor des compagnies aériennes low cost. Il leur a permis d’attirer une large clientèle sans réseau commercial physique. Mais, le succès de ces compagnies est avant tout dû à une maîtrise des coûts et à une clientèle jeune éprise de voyages. 

Au niveau du commerce, la distribution en ligne s’est ajoutée aux autres réseaux. Avec une consommation étale depuis une quinzaine d’années, le e-commerce n’a pas généré un surcroît d’activité. Il a capté en moyenne 15 % de la consommation au détriment du commerce traditionnel. Compte tenu des coûts informatiques et de logistiques, cette activité a généré peu de gains de productivité et de bénéfices. Amazon, la première plateforme de vente en ligne, tire avant tout ses bénéfices de ses activités d’infrastructures informatiques.

Nul ne peut rester au bord de la route de la révolution numérique 

Aujourd’hui, nul ne peut rester au bord de la route de la révolution numérique. Les entreprises se doivent d’être omnicanales pour conquérir de nouveaux clients et les conserver ; le citoyen, lui non plus, ne peut guère vivre sans Internet que ce soit pour acquitter ses impôts ou pour voyager. 

Le numérique, vecteur de confort, a surtout favorisé l’essor de l’industrie des médias et des loisirs dont le chiffre d’affaires annuel, au niveau mondial, dépasse 2 000 milliards de dollars. La croissance annuelle de cette industrie est de 15 % par an. Le chiffre d’affaires des seuls jeux vidéo dépasse 200 milliards d’euros, celui du streaming vidéo, 50 milliards de dollars et celui du streaming musical, 30 milliards de dollars. Plus de 2 milliards de personnes seraient abonnées au streaming vidéo et plus de 3,2 milliards joueraient régulièrement sur leur ordinateur ou sur leur smartphone. 

En moyenne, les Français passent 106 minutes par jour sur les réseaux sociaux comme « X » ou « TikTok », la moyenne mondiale étant de 144 minutes. En contrepartie, les Français lisent moins, se rendent moins au cinéma et au théâtre. Cette propension aux écrans se traduit surtout par une sédentarité accrue et une hausse du taux de prévalence de l’obésité. 

Face à l’invasion des écrans et à leurs effets supposés sur l’apprentissage et les comportements, de plus en plus d’États tentent d’en limiter l’accès, en particulier aux enfants. C’est déjà le cas en Chine ou en Corée du Sud. Le gouvernement français s’empare à son tour de cette problématique et semble vouloir également intervenir dans ce sens.

Contrairement aux innovations du siècle dernier, la révolution numérique louée à longueur de pages n’a pas généré de gigantesques gains de productivité. Ces dernières années, les gains ont même laissé la place à un recul de la productivité dans certains pays. Dans la vie courante, le ralentissement du progrès est palpable. 

La vie d’une Français ou d’une Français en 1960 n’avait rien à voir avec celle menée en 1910. En cinquante ans, la voiture, le réfrigérateur, la machine à laver, la radio voire la télévision s’étaient imposés au sein des ménages. Les villes avaient radicalement changé avec le développement des transports collectifs, des grands ensembles, des centres de sports et des lieux de loisirs.

Dans la vie courante, le ralentissement du progrès est palpable. 

Entre 1974 et 2024, les changements sont, en revanche, nettement moins édifiants. Le téléphone s’est mue en smartphone, la voiture peut être dotée d’un moteur électrique (mais cette motorisation existait déjà au début du XXe siècle), les films peuvent être visionnés sur une tablette ou sur un ordinateur… Le fondateur de PayPal, Peter Thiel, aime à répéter que pour le XXIe siècle, « on nous avait promis des voitures volantes, on a eu 140 caractères ». Depuis le 14 décembre 1972, aucun homme ou ni aucune femme ne sont allés sur la lune. Depuis 2003, nul avion supersonique n’a remplacé le Concorde. Aucun nouvel antibiotique majeur n’a été mis sur le marché depuis les années 1980. Les laboratoires pharmaceutiques consacrent des sommes de plus en plus importantes pour élaborer de nouveaux remèdes avec un rendement décroissant. Les avancées concernent surtout des maladies rares qui avaient été dans le passé délaissées. Le traitement des cancers s’améliore mais les effets secondaires des traitements demeurent toujours importants. L’espérance de vie qui est passée de 66 à 80 ans de 1950 à 2023 en France, stagne depuis plusieurs années. Elle est même en recul aux États-Unis. 

Une « stagnation séculaire », pour reprendre les termes des économistes Hansen et L.H. Summers et Robert Gordon menacerait les États occidentaux. Les taux de croissance en Europe, ces quinze dernières années semblent leur donner raison. Les États-Unis, y échappent pour le moment, grâce notamment à leur position dominante dans le secteur des technologies de l’information et la communication. Les grandes entreprises de ce secteur captent, sous forme de rente, une part non négligeable des gains générés par le numérique.

La montée en puissance de l’intelligence artificielle est une ardente nécessité 

Pour réveiller la croissance, les espoirs sont dorénavant mis dans l’intelligence artificielle à travers le développement de robots conversationnels permettant de traiter et d’analyser à grande vitesse un grand nombre données, des images, des vidéos, du texte, etc. La montée en puissance de l’intelligence artificielle est une ardente nécessité compte-tenu de la production exponentielle de données. En une décennie, leur production a été multipliée par plus de 30. D’ici 2050, cette dernière est susceptible d’être triplée. 

L’intelligence artificielle est à même de suppléer au déficit de main-d’œuvre, d’accélérer des processus de traitement, d’améliorer les diagnostics en matière de santé ou de rationaliser l’usage des entrants dans l’agriculture. Elle peut conduire également à une moindre implication et à une moindre responsabilisation de l’humain dans les processus de décision. En cas de mauvaise utilisation, l’intelligence artificielle peut constituer l’étape ultime de l’industrie du confort.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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