Dans le cadre des débats sur le Pacte migrations et asile, les ministres européens se disent prêts à introduire de nouvelles règles permettant de fermer les frontières et empêcher le dépôt de demandes d’asiles dans les cas d’« instrumentalisation » par un pays tiers, selon les informations d’une source diplomatique.
La pratique selon laquelle les gouvernements de pays tiers ouvrent leurs frontières ou encouragent les migrants à entrer dans l’UE, connue sous le nom d’« instrumentalisation », a été utilisée par des pays comme la Russie, la Biélorussie et le Maroc ces dernières années comme un moyen d’augmenter la pression géopolitique.
« Il semble maintenant que l’instrumentalisation ne sera pas un texte séparé mais devrait être couverte par le règlement [général] sur la gestion des crises », a déclaré une source diplomatique à Euractiv.
Le règlement sur la gestion des crises, qui vise à traiter les situations dans lesquelles un grand nombre de ressortissants de pays tiers traversent les frontières européennes dans un court laps de temps, est actuellement en débat dans le cadre du pacte migration et asile.
Le Pacte, présenté par la Commission européenne en septembre 2020, est composé de dix propositions législatives qui visent à réviser et à mettre à jour la politique migratoire de l’Union.
Selon la position du Parlement européen sur le règlement relatif à la gestion des crises, adoptée en avril, la Commission serait chargée de déterminer ce qui constitue une situation de « crise » dans un pays. Cela déclencherait alors une clause de solidarité pour les autres Etats membres qui pourraient décider comment aider, par exemple, en fournissant de l’argent, de l’équipement ou en offrant leur territoire pour la relocalisation des migrants.
Dans le contexte des mesures de crise, les ministres européens font maintenant pression pour introduire une « exemption » au traitement normal des demandes d’asile pour les cas d’ « instrumentalisation », selon cette même source.
Cela s’appliquerait lorsque, par exemple, des pays comme la Biélorussie, la Russie ou le Maroc encouragent et/ou facilitent l’arrivée dans l’UE de ressortissants de pays tiers d’Afrique ou du Moyen-Orient via leurs pays.
La révision prévue de la loi permettrait aux États membres de donner aux gardes-frontières le pouvoir de décider qui peut demander l’asile et qui ne le peut pas.
On ne sait pas encore comment et selon quelle autorité les cas seraient classés comme des « instrumentalisations ».
Début 2022, le président biélorusse Alexandre Loukachenko a ouvert les frontières du pays à un grand nombre de ressortissants de pays tiers originaires du Moyen-Orient et a facilité leur transport jusqu’aux frontières de l’UE, une décision qui a suscité une attention internationale considérable.
En juin 2022, les autorités marocaines ont ouvert la frontière avec l’Espagne, permettant à un grand nombre de personnes de franchir la frontière, afin d’exercer une pression politique sur le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez sur une question de politique étrangère distincte.
La proposition d’instrumentalisation a été critiquée par des groupes de la société civile car, selon le droit international, tout ressortissant d’un pays tiers peut demander une protection internationale lorsqu’il tente d’entrer sur le territoire européen. Toute expulsion sans évaluation de la demande individuelle est considérée comme un refoulement illégal.
Différentes organisations et médias européens ont montré que les refoulements de ressortissants de pays tiers sont devenus de plus en plus fréquents dans l’UE ces dernières années.
Selon la position du Parlement européen sur le règlement relatif à la gestion des crises, adoptée en avril, la Commission serait chargée de déterminer ce qui constitue une situation de « crise » dans un pays. [Alexandros Michailidis/Shutterstock]
Manque de temps
Les tensions sur les négociations se sont accrues la semaine dernière lorsque le groupe de travail sur les migrations du Parlement européen a décidé de suspendre les discussions en trilogue sur deux dossiers clés du pacte — le système européen de comparaison des empreintes digitales (Eurocdac) et le système de filtrage — jusqu’à ce que les ministres de l’UE adoptent une position commune sur le règlement relatif à la gestion de la crise.
Le rapporteur du Parlement sur le dossier de la gestion de crise, Juan Fernando López Aguilar, a déclaré lundi (25 septembre) que le Parlement pourrait bloquer l’ensemble du pacte si les ministres de l’UE continuaient à le « découper en morceaux ».
Une fois que les ministres de l’UE ont adopté leur position sur le dossier, ils doivent trouver une position commune avec le Parlement européen dans ce que l’on appelle le trilogue, avec lequel les désaccords sont de plus en plus marqués.
Cependant, les ministres de l’UE ont généralement plus de poids lorsqu’ils négocient dans les trilogues avec le Parlement européen, car en matière d’immigration, la plupart des pouvoirs et des compétences se situent au niveau national.
Selon la feuille de route adoptée par les institutions européennes à l’automne 2022, les dossiers du pacte sur les migrations doivent être approuvés avant la mi-février 2024.
Si l’UE ne parvient pas à approuver le pacte avant la fin du mandat, ce serait la deuxième fois que les institutions ne parviennent pas à approuver un cadre européen sur les migrations.