C’est sans conteste un des plus beaux marchés de Noël d’Europe. Mais aussi le plus ancien puisque les livres d’histoire fixent au 6 décembre 1294 à Vienne la date de naissance de ce qui serait le premier marché de Noël de notre continent.
Cette tradition vieille de 8 siècles a perduré jusqu’à nous. En effet, du 10 Novembre au 26 décembre 2024, la foule se presse autour des 14 marchés locaux qui donnent à la capitale autrichienne des allures de fête des lumières dans une atmosphère colorée et joyeuse, affairée et commerçante.
Un marché qui naît au 13ème siècle et qui a essaimé en Europe germanique
Au 13ème siècle quand naît le premier marché, il est dédié à Saint Nicolas, un évêque connu pour sa foi et sa pugnacité et qui aurait ressuscité trois enfants. C’est le point de départ de la tradition de la Saint Nicolas, la célèbre fête des écoliers qui est célébrée encore aujourd’hui dans de nombreux pays du Nord et du centre de l’Europe.
Les marchés de Noël vont essaimer à partir de cette date dans l’espace germanique et en Europe centrale, Francfort revendiquant aujourd’hui le titre de plus grand marché de Noël, la ville de Prague disputant à Vienne la palme du plus beau marché européen. Ces derniers sont devenus un grand classique de la période des fêtes. Une formule commerciale éprouvée qui égaye chaque ville et parfois chaque village à grand renfort de cabanes en bois et de boissons qui réchauffent.
L’Europe entière s’est emparée de la recette au point que l’on puisse s’interroger sur la fonction sociale de ces marchés. Ayant peu à peu perdu leur vocation religieuse initiale mais qui jouent souvent le rôle de trait d’union créateur de liens dans des sociétés européennes éprouvées par le COVID, le terrorisme islamique et la montée des extrêmes. Le marché de Noël serait-il un bain de jouvence, une parenthèse festive pour des européens inquiets le reste de l’année ?
Une communauté française à Vienne qui fréquente ces marchés pour le lien qu’ils créent
Nous avons voulu partir à la rencontre de membres de la communauté française de Vienne pour comprendre comment l’immense marché est perçu par ces résidents qui, pour ceux que nous avons rencontrés, se donnent rendez-vous au marché, y travaillent, le critiquent pour son aspect mercantile ou y prennent du bon temps un verre à la main.
Pour Bertrand, installé à Vienne depuis 2001, « il y a de plus en plus de monde et de succès, cela commence de plus en plus tôt (fin novembre cette année). Cependant, il y a de moins en moins de neige et c’est plus commercial et touristique qu’avant, mais cela reste très sympa ». Ce responsable associatif qui s’investit auprès de la branche locale de Français du Monde- ADFE fréquente le marché chaque année. Selon lui, « c’est une bonne occasion de se retrouver ensemble avant les fêtes. J’ai programmé un pot avec un groupe de français puis le lendemain un autre avec les membres de mon ancienne boîte ».
Les six semaines festives autour des marchés génèrent pour la ville social-démocrate une manne financière importante. De surcroît, les cars et autobus rangés aux abords des lieux festifs attestent d’une clientèle européenne ou internationale qui vient là pour une convivialité gourmande et parfois alcoolisée.
Karsplatz, artisanat et verre de Punsch
Ici le traditionnel vin chaud laisse la place au « Punsch » une boisson ultra populaire qui ne doit cependant pas être confondue avec le punch des îles.
Vanessa tient une échoppe sur Karlsplatz, La crêperie mobile. Elle nous renseigne sur la mystérieuse origine de ce Punsch local qui… n’a rien de germanique. « Ce mot vient du sanskrit qui veut dire 5, comme les 5 ingrédients de la boisson. Et en allemand le mot signifie davantage « mélangé ». Les marins anglais qui connaissaient les Indes l’ont servi de façon chaude en Angleterre alors qu’à l’origine elle était consommée froide ».
Le marché des artisans est un lieu de rassemblement fréquenté par une foule dense en cette fin de samedi après-midi. Il se démarque des autres marchés concurrents de la ville comme un des plus anciens et entièrement dédié à l’artisanat. Vanessa y oeuvre depuis 21 ans. Elle a été choisie en 2003 pour tenir un stand où elle ne propose que des produits faits maison, autour de crêpes et galettes bretonnes. Ici l’association des artisans veille à ce que les produits soient bio.
Viennoise de naissance, Vanessa a appris auprès de sa famille bretonne son savoir-faire culinaire. Sur Karlsplatz chaque stand est individualisé, loin des cabanes en bois stéréotypées des autres marchés. « Le tourisme à Vienne est basés sur des sites historiques, autour de l’histoire de l’empire austro-hongrois. On vient à Vienne pour la nostalgie du temps passé. Mais c’est aussi un pays de montagne. Et les cabanes en guise de chalet rappellent cette coloration là, comme dans les autres pays germaniques ».
La patronne de la crêperie mobile ne ménage pas son énergie et l’échoppe, qui occupe une place centrale sur le marché, rayonne de mille feux. Une adresse incontournable où une clientèle autrichienne et internationale se presse jusqu’à la fermeture prévue ici à 21h.
Ambiance plus jeune au MuseumsQuartier
Au MuseumsQuartier, l’ambiance est moins traditionnelle. Un lieu de rendez-vous pour les artistes et intellectuels, les étudiants et les anticonformistes qui boudent les marchés de l’hyper centre. Cet endroit permet, certes, de partager le traditionnel verre de Punch entre amis, mais sans succomber, du moins en apparence, à un mercantilisme que pointe Ingrid. Ici pas de cabane en bois mais un ensemble de tentes et pavillons qui contrastent un peu avec les autres marchés.
Ingrid est une étudiante française originaire de Strasbourg. Son parfait bilinguisme lui a permis de s’insérer pleinement dans le monde viennois qu’elle a découvert voilà trois ans en s’inscrivant pour des études d’art.
« Les marchés de Noël sont devenus une grosse machinerie sans âme. Ils perdent peu à peu leur caractère populaire. À 5 euros le verre de Punsch, sans compter la consigne du verre qu’il faut ajouter, ce n’est pas à la portée de toutes les bourses. Beaucoup de mes amis étudiants ne sortent pas à cette période de l’année où s’éloignent carrément du centre. On se demande où ce gigantisme nous mènera. En tout cas difficile de réellement créer du lien. L’entre soi demeure et c’est chacun son punsch dans son coin ».
Quand on lui fait remarquer que pourtant elle vient de créer du lien en nous répondant, elle part d’un grand éclat de rire. Une interaction qui atteste que ces marchés créent de la bonne humeur collective malgré l’inflation, réelle, des prix.
Les marchés préférés d’un conseiller des Français de l’étranger
Autre son de cloche du côté de Patrick Ugo, enseignant au lycée français de Vienne et conseiller des Français de l’étranger. Ce viennois d’adoption qui habite la ville depuis 30 ans salue d’abord la qualité de vie locale, régulièrement reconnue d’ailleurs par les sites et classements spécialisés qui en font une des villes les plus sûres et agréable à vivre d’Europe. Les marchés de Noël sont partie intégrante de cette ville attractive. De plus, ils constituent une « véritable institution où on se retrouve avec des amis autour d’un Glühwein pour « créer du lien ».
Patrick a d’ailleurs son propre classement des marchés. Lui qui recherche des lieux plus intimistes que l’hôtel de ville (Rathaus), très joli pour ses innombrables décorations, mais devenu à ses yeux « un simple marché touristique ». Il recommande le marché de Karlsplatz « entre petits commerçants et objets d’art », le Museumsquartier pour son ambiance jeune, et le Belvédère « plus décentré avec une vue remarquable sur le centre de Vienne ». Mention aussi aussi Spittelberg, «très joli et authentique avec ses rues pavées ».
Ce rapide sondage auprès de nos compatriotes replace les marchés de Noël de Vienne au sein d’une métropole. Une ville qui sait marier tradition et modernité, divertissement populaire et recherche d’une culture plus raffinée. Il y a dans ces marchés la conjugaison de ces aspirations parfois contraires entre le plaisir d’être ensemble et le souci de ne pas être englouti dans la masse. Le bonheur de trinquer en se réchauffant au passage fait consensus. Tout comme le souhait de ne pas dépenser une fortune dans les cabanes en bois alors que Noël et les cadeaux à réaliser approchent à grand pas. Il nous reste à lever nos verres de Punsch à la santé de tous nos lectrices et lecteurs. Et enfin leur souhaiter de joyeuses fêtes de fin d’année, à Vienne ou ailleurs à l’étranger.
Auteur/Autrice
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Boris Faure est l'ex 1er Secrétaire de la fédération des expatriés du Parti socialiste, mais c'est surtout un expert de la culture française à l'étranger. Il travaille depuis 20 ans dans le réseau des Instituts Français, et a été secrétaire général de celui de l'île Maurice, avant de travailler auprès des Instituts de Pologne et d'Ukraine. Il a été la plume d'une ministre de la Francophonie. Aujourd'hui, il collabore avec Sud Radio et Lesfrancais.press, tout en étant auteur et représentant syndical dans le réseau des Lycées français à l'étranger.
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