À l’heure où la mondialisation redessine les contours de la vie des expatriés, les Français établis hors de France font face à une série de défis majeurs, comme en témoigne la 43ème session de l’Assemblée des Français de l’Étranger (AFE) qui a eu lieu du 13 au 17 octobre. Entre réforme de la protection sociale, crise éducative, urgence climatique et enjeux sécuritaires, les élus présents ont dressé un état des lieux sans concession des réalités vécues par les plus de 2 millions de Français résidant à l’étranger.
Une 43ème session de l’AFE marquée par l’arrivée d’Éléonore Caroit
Pour la première fois, cette session s’est ouverte en l’absence de la nouvelle ministre déléguée aux Français de l’étranger, Éléonore Caroit, retenue par les formalités de passation de pouvoir avec son prédécesseur, Laurent Saint Martin. Ancienne élue des Français de l’étranger, députée de la 2ème circonscription (Amérique latine et Caraïbes) depuis 2022, Éléonore Caroit est la première franco-dominicaine à entrer dans un gouvernement français. Son parcours international et son engagement de longue date pour les expatriés lui confèrent une légitimité face aux 90 élus de cette assemblée.
« La CFE ne peut plus assurer ses missions sans une réforme en profondeur »
un membre de la commission des Affaires sociales de l'AFE
La ministre a rappelé, lors de son premier échange avec l’Assemblée, son attachement aux Français de l’étranger, qu’elle qualifie de « force vive de la France ». Elle a assuré qu’elle serait présente pour défendre leurs intérêts et a souligné l’importance de la réforme de la protection sociale, de la pérennisation de la Caisse des Français de l’Étranger (CFE), et de la modernisation des services publics à destination des expatriés.
Protection sociale des Français de l’étranger : un système à bout de souffle ?
Depuis mars 2025, les Assises de la protection sociale, lancées par l’ancien ministre Laurent Saint-Martin, et porté par la commission des Affaires sociales, du monde combattant, de l’emploi et de la formation, ont mobilisé des centaines de contributeurs. Le résultat ? 355 propositions, dont 36 jugées prioritaires, pour repenser les aides sociales, les bourses scolaires et le rôle de la Caisse des Français de l’Étranger (CFE).
La CFE est un organisme de Sécurité sociale, de droit privé chargé d’une mission de service public, placé sous tutelle des ministères en charge de la Sécurité sociale et du Budget. Rappelons que l’adhésion à la CFE se fait sans questionnaire médical préalable. Aucune exclusion (catastrophes naturelles, faits de guerre, attentats…) n’est opposée pour la prise en charge des frais de santé. Cette dernière en déficit structurel de 18 millions d’euros en 2024, est au cœur des préoccupations. « La CFE ne peut plus assurer ses missions sans une réforme en profondeur », alerte un membre de la commission présidée par Florian Bohême. Plusieurs propositions ont été faites pour la pérenniser, comme son raccrochement à la Caisse d’assurance maladie ou l’ouverture de nouvelles antennes.
Éléonore Caroit s’est félicitée de cet exercice de démocratie inédit et a confirmé sa volonté de suivre les propositions faites dans le cadre de ces assises.
Les violences faites aux enfants et la transmission de la mémoire sont aussi au centre des débats. L’association « Les Papillons », créé par Laurent Boyet, qui déploie des boîtes aux lettres dans les écoles pour libérer la parole des jeunes victimes, a traité 955 dossiers en 2024, un chiffre qui interroge sur l’efficacité des dispositifs de protection. Parallèlement, le Général Renaud Ancelin insiste sur l’importance de la mémoire collective et des valeurs républicaines, notamment à travers des outils numériques innovants.
Éducation et francophonie : entre excellence et précarité
Thèmes évoqués par la commission de l’enseignement, des Affaires culturelles, de la francophonie et de l’audiovisuel extérieur. Avec un taux de réussite au baccalauréat de 98,3 %, le réseau de l’Agence pour l’Enseignement Français à l’Étranger (AEFE), affiche des résultats enviables. Pourtant, derrière ces chiffres se cache une crise financière aiguë : 80 % des dépenses sont consacrées à la masse salariale, et une solution de financement de 25 millions d’euros est nécessaire d’ici 2026 pour éviter une impasse de trésorerie. Éléonore Caroit devra trouver des solutions pour maintenir l’excellence du réseau des écoles françaises hors de France.
« Au sein de l’AEFE, il est possible de faire mieux pour moins cher »
Jean-Hervé Fraslin, Président de la commission de l’enseignement AFE
La francophonie, quant à elle, reste un levier stratégique. L’Assemblée Parlementaire de la Francophonie (APF), créée en 1967, et les 829 Alliances Françaises réparties dans 135 pays jouent un rôle clé dans la promotion de la langue et de la culture françaises. L’ouverture du Collège International de Villers-Cotterêts en septembre 2025 marque une étape symbolique pour former les enseignants et cadres éducatifs de demain.
Climat et commerce : la France entre ambition et réalité
Alors que le réchauffement climatique atteint +1,24°C, la France se prépare pour la COP 30 en novembre 2025, avec des objectifs ambitieux : évaluation des pays sur la sortie des énergies fossiles, éducation environnementale, et participation accrue à la TeachersCOP. Pourtant, les exportations françaises ont chuté de 2,3 % au T2 2025, et les tensions commerciales avec les États-Unis (droits de douane) et les GAFAM (déséquilibre fiscal) pèsent sur l’économie.
Le secteur de la défense, deuxième exportateur mondial d’armement, reste un atout majeur. Dassault Aviation, Naval Group ou encore Thales incarnent cette autonomie stratégique, mais la transition écologique et l’innovation verte, portées par des économistes comme Philippe Aghion (Prix Nobel 2025), auditionné par la Commission Développement Durable et du Commerce Extérieur, deviennent des impératifs.
Sécurité et droits humains : protéger les expatriés dans un monde instable
La sécurité des Français à l’étranger est plus que jamais une priorité. La commission de la sécurité et des risques sanitaires a auditionné plusieurs élus de pays en crise ainsi que le directeur du centre de crise et soutien. En Ukraine, l’absence de plan d’évacuation a mis en lumière les lacunes des dispositifs consulaires. En Russie, la réduction des structures diplomatiques et en Israël, les dysfonctionnements dans la communication de crise ont révélé des failles préoccupantes.
Face à ces défis, le Centre de Crise et de Soutien (CdCS) travaille 24h/24 pour gérer les urgences, mais des outils comme le système d’alerte Fil d’Ariane restent sous-utilisés. Parallèlement, la lutte contre les violences intrafamiliales et les violences faites aux enfants mobilise associations et institutions. L’association « Save You », auditionnée par la commission des lois, règlements et Affaires consulaires, a accompagné 600 familles depuis 2022, tandis que les cliniques juridiques gratuites se multiplient, comme à Singapour.
Fiscalité et finances : un équilibre précaire
La Caisse des Français de l’Étranger n’est pas la seule institution en difficulté. La commission de l’enseignement, a mis en lumière le programme 151, dédié aux services consulaires et aux bourses scolaires, qui a vu son budget réduit de 5,5 millions d’euros entre 2024 et 2025. La Mission Laïque Française (MLF), malgré un taux de réussite de 100 % au baccalauréat, affiche un déficit de 1,5 million d’euros pour 2024-2025.
Le Premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, invité par la commission des finances, de la Fiscalité et du Budget, est intervenu devant la 43e session de l’Assemblée des Français à l’étranger. Il s’est notamment exprimé sur la situation des finances publiques, les enjeux, et sur le rôle essentiel de l’AFE auprès des plus de 2,5 millions de citoyens vivant à l’étranger.
La commission des Finances a également auditionné la Direction des Impôts des Non-Résidents (DINR) qui innove avec, en projet, un simulateur d’impôt pour aider les expatriés à y voir plus clair. Mais les conventions fiscales, suspendues avec la Russie et la Biélorussie, et en négociation avec la Pologne ou l’Inde, restent un casse-tête pour éviter la double imposition.
Vers un avenir plus sûr et solidaire ?
Les commissions appellent ainsi à des réformes structurelles, notamment :
- Rééquilibrer les finances de la CFE et de l’AEFE,
- Renforcer la sécurité et l’accès au droit pour les expatriés,
- Accélérer la transition écologique et l’innovation,
- Lutter contre les violences et améliorer la protection des plus vulnérables.
Alors que le rapport final des Assises de la protection sociale est attendu pour décembre 2025, une question persiste : la France saura-t-elle relever ces défis pour ses citoyens à l’étranger ? Prochain rendez-vous de l’AFE du 2 au 6 mars 2026 pour la dernière session de cette mandature.
Auteur/Autrice
-
Catya Martin a eu plusieurs vies. Après une carrière dans le groupe Dassault, elle s'envole avec sa famille pour Hong-Kong où elle se pique pour le journalisme et l'expatriation. Elle y crée Trait d'Union et est élue Conseillère consulaire en 2014 et 2021. Elle a créé aussi La French Radio Hong-Kong, partenaire du site Lesfrancais.press
Voir toutes les publications