La plus grande révolution, celle des femmes

La plus grande révolution, celle des femmes

Un jeune homme court dans une rue. Il croise un religieux. Une pichenette, le turban tombe. Le mollah reste interdit. Le jeune homme court toujours. Si on l’attrape, il sera fouetté. Cette scène se reproduit un peu partout en Iran. Les turbans des mollahs tombent, parfois un mollah est molesté. Ils représentent le régime, désormais détesté par toute la jeunesse. Des groupes se rassemblent autour d’un portrait de l’ayatollah Khamenei : ils crient, lui font tous un doigt d’honneur, postent fièrement la vidéo sur les réseaux sociaux.

Un régime totalitaire, tueur, voleur, violeur. 

Les Iraniennes sont en première ligne : elles montrent leurs cheveux (c’est interdit), elles chantent (c’est interdit), elles dansent en public (c’est interdit). Que veulent-elles : abolir le voile obligatoire ? Plus que cela : maintenant, c’est le régime qui est la cible. Un régime totalitaire, tueur, voleur, violeur.

La révolution islamique de 1979 avait été l’acte de naissance de l’islamisme politique, qui a bouleversé le monde. Partout, la révolution islamique a combattu « l’Occident », y compris par le terrorisme ; celui-ci soutenait les régimes monarchistes. Cette lutte légitimait les combats, les réseaux financiers, les attentats. Le conflit entre Chiites et Sunnites pousse toujours plus loin le combat entre l’Arabie (et sa police religieuse) et l’Iran (et sa police religieuse). L’enjeu est le leadership politique sur l’islam. La dynastie saoudienne n’étant pas la dynastie légitime, celle des Chérifs de la Mecque, elle la reconstruit dans le rigorisme puritain wahhabite. En face, en Iran, à partir de Khomeini, le Chiisme, prône un puritanisme bien plus éloquent, plus révolutionnaire, plus radical, en ce qu’il est anti-occidental. 

S’enchaînent guerres et désastres. Aujourd’hui, avec les manifestations, l’Arabie craint encore une attaque iranienne. C’est vrai que les régimes menacés de l’intérieur trouvent dans la guerre extérieure l’espoir d’un sursaut national. Et l’Iran craint une attaque israélienne. Pour l’instant, les femmes iraniennes et leurs manifestations en éloignent la menace.

Voilà la dé-révolution iranienne : les femmes disent non. 

Dans ce jeu, la Turquie néo-islamiste creuse un espace, comme une tombe. Dans une économie ruinée par les errements du pouvoir, Erdogan veut mettre le droit de porter le voile dans la constitution. Il y a sans doute urgence. En Afrique, au Sahel, en Indonésie, au Pakistan, la révolution islamiste initiée par les mollahs en 1979 n’en finit pas de bouleverser les rapports de force, électoraux, policiers, guerriers, intimes. Boko Haram interdit les écoles, les Talibans en bannissent les filles. 

Et voilà la dé-révolution iranienne ! Les femmes disent non. Elles jettent le foulard, le turban et l’ayatollah par terre. Hélas, elles n’ont pas encore gagné. 50 jours de révolte ne font pas une révolution. Mais si elles l’emportent, si le régime s’effondre, si la société civile met à terre la mollahcratie qui a dévasté l’Iran, alors la face du Moyen-Orient, celle du monde, va changer. 

C’est une révolution qui vient de loin. L’Ayatollah a raison : elle vient d’Occident, par Tik Tok, Meta Facebook, la télé, les jeux vidéo, les chansons, les jeans et le maquillage. Que veulent ces jeunes : un campus ! Cela a un autre nom : la liberté.  « Femme. Vie. Liberté ». La liberté au prix de la vie. En 2019, 1500 manifestants avaient trouvé la mort en deux semaines. Cette fois, combien sont-ils ? Il n’y a plus de journalistes en Iran. « Il est en toute circonstance illégal d’utiliser des armes à feu pour disperser un rassemblement », disent les Nations Unies. Plus aucune liberté, mais la mort, la torture, et le courage.

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Femmes manifestant en Iran – Septembre 2022 – ©AFP/Reuters

L’esprit mauvais, malfaisant, de la « liberté » occidentale  

L’Ayatollah l’avait bien dit : cela vient de plus loin encore que la « liberté » occidentale. En est l’esprit mauvais, malfaisant, tant il est vrai que cette révolution là n’avait jusqu’alors vu le jour qu’en Occident, en France, au Royaume-Uni, aux États-Unis : la révolution des femmes. Révolution sexuelle. L’ayatollah Khomeini, lui, défendait la « pudeur » en 1979. Au temps de Salamine déjà, au Vème siècle avant le Christ, les Grecs montraient les déesses nues (mais les soumettaient aux dieux mâles). Et se battaient pour la liberté, déjà.

L’égalité homme-femme, étape de la liberté des femmes, passe par la révolution sexuelle. Poutine dénonce les LGBT, la Gay Pride, les Femen -mouvement né à Kiev en 2008, encore un hasard ? – Halloween, fête satanique des sorcières, plus encore que l’Otan. La « cause LGBT » n’est pas une lutte contre les discriminations, elle est le prolongement de cette évolution fondamentale qu’est la révolution féministe. 

Jamais les femmes n’ont eu autant de place juridiquement, politiquement, économiquement qu’aujourd’hui dans l’histoire de l’humanité. Jamais les femmes n’ont été à ce point sexuellement « libres ». Mais – quoiqu’on dise du patriarcat hétéro dominant du mâle blanc- cela ne se passe qu’en Occident. Que MeeToo a encore bouleversé récemment. Et cela continuera, forcément. D’où la haine de l’Occident « décadent » des Ayatollahs, de Poutine, -et l’absence des femmes au bureau politique du Parti Communiste Chinois, toujours une coïncidence -. 

Une révolution mondiale qui bousculera tous les régimes du Moyen-Orient 

La plus grande révolution de l’histoire de l’humanité n’est pas la Révolution française, la bolchévique, l’anglaise, l’américaine, l’islamiste : elle est la libération des femmes. C’est le grand phénomène mondial des deux derniers siècles. La révolte des jeunes Iraniennes en est un chapitre.

Les Iraniennes n’ont pas encore renversé le régime. L’Occident croit que quelques bombes, ou la fermeture des frontières, les sanctions, pourraient abattre les Ayatollahs. Les femmes iraniennes disent l’inverse : ouvrez les portes, connectez-vous, connectez-nous, diffusez nos images  ! En Chine, au Pakistan, en Afghanistan, en Russie, en Biélorussie, en Arabie, faites entrer les podcasts, les danses, ouvrez écrans, portes, fenêtres, plus il y aura d’air, plus il y aura de liberté, d’insolence, plus les turbans s’envoleront, plus les cheveux se déploieront au vent.  « Femme, vie, liberté », une révolution mondiale qui vient de loin, qui va loin.

Si elle détruit le régime des mollahs, elle bousculera aussi tous les régimes du Moyen-Orient. Et plus encore.

Laurent Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati 

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press

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