De campagne électorale en campagne électorale, les candidats promettent de restaurer les services publics, mais ces promesses restent souvent lettre morte. En entrant à la Maison Blanche en 2021, le président Joe Biden avait promis de revitaliser les infrastructures américaines. Pourtant, durant son mandat, les dépenses consacrées aux routes et aux chemins de fer ont diminué. Un plan visant à étendre l’accès au haut débit dans les zones rurales est resté inachevé. Le National Health Service britannique absorbe toujours plus de fonds, mais fournit des soins de plus en plus médiocres. Il en va de même pour le système de santé français. Les trains allemands, autrefois source de fierté nationale, sont maintenant connus pour leurs retards, avec moins des deux tiers des trains longue distance arrivant à l’heure. Dans certaines régions du Canada, des enfants peuvent attendre plusieurs années pour une place en crèche. Au Royaume-Uni, les détenus sont libérés plus tôt que prévu en raison de l’absence de places en prison, une situation similaire à celle de la France. Les États seraient-ils devenus de moins en moins efficients ?
Les Etats dépensent de plus en plus pour des résultats de moins en moins satisfaisants
Ils dépensent de plus en plus pour des résultats de moins en moins satisfaisants, que ce soit en termes de croissance ou de lutte contre les inégalités sociales. Alors qu’en 1960, les dépenses publiques des États de l’OCDE représentaient 30 % du PIB, elles dépassent 40 % en 2024. Dans certains pays, comme la France, ce ratio excède même 50 %. Depuis le milieu des années 1990, les dépenses publiques britanniques ont augmenté de six points de pourcentage du PIB, tandis que celles de la Corée du Sud ont progressé de dix points.
Aux États-Unis, en 1950, les dépenses publiques consacrées aux services publics, comme les salaires des enseignants ou la construction d’hôpitaux, représentaient 25 % du PIB, alors que les dépenses sociales n’en représentaient que 8 %. Les dépenses de retraite étaient alors inférieures à 3 % du PIB.
Les prestations sociales avant les services publics et les investissements
En 2024, les prestations sociales représentent plus de 15 % du PIB, un niveau relativement faible par rapport aux autres pays de l’OCDE. Depuis les années 1980, l’augmentation des dépenses sociales s’est accélérée, en partie à cause du vieillissement démographique et du ralentissement de la croissance. Au sein de l’OCDE, les dépenses sociales sont passées de 14 % à 21 % du PIB entre 1980 et 2022. À cela s’ajoutent les engagements futurs, tels que les retraites et les pensions d’invalidité qui constituent un « passif social ». Selon l’économiste James Hamilton de l’Université de Californie à San Diego, ce passif social aux États-Unis représenterait six fois le PIB.
Le vieillissement de la population pèse sur les finances publiques. En 2022, 33 millions de personnes avaient plus de 85 ans dans l’OCDE, soit 2,4 % de la population totale. En 1970, elles n’étaient que 5 millions, représentant 0,5 % de la population. Entre 1980 et 2022, les dépenses sociales dans les pays de l’OCDE sont passées de 14 % à 21 % du PIB. En France, elles dépassent 33 %.
Une envolée de la dette publique
Durant les quarante dernières années, les États ont accru les impôts moins rapidement que les dépenses, provoquant ainsi une envolée de la dette publique. La dette publique aux États-Unis, en Italie, en Grèce ou en France, dépasse désormais 100 % du PIB. La progression rapide des dépenses sociales a contraint les États à réaliser des économies sur les services publics, le fonctionnement des administrations et les investissements.
Cette augmentation des dépenses sociales est imputable non seulement au vieillissement démographique, mais aussi à la montée des inégalités. Incapables de corriger ces inégalités en amont, les États interviennent sous forme de prestations sociales. Le financement de ces prestations accapare une part croissante de la richesse des pays, entraînant une hausse du coût du travail, ce qui pèse sur les salaires et favorise les délocalisations.
En cherchant à être les béquilles du capitalisme, les États n’ont-ils pas fait fausse route ? Depuis les années 1980, les États sont passés d’une logique assurantielle à une logique d’assistance en matière de prestations sociales. Les aides sont de plus en plus conditionnées à des niveaux de ressources. Aux États-Unis, cette tendance est également observée. En 1980, le quintile des Américains les moins bien payés recevait des transferts sous condition de ressources équivalant à un tiers de leur revenu brut. Depuis les années 1970, la part des Américains bénéficiant de bons alimentaires a doublé, atteignant une personne sur huit.
Les États sont devenus plus généreux en période de crise. Pendant la pandémie de Covid-19, ils ont accordé des aides aux actifs et aux entreprises affectés, ainsi qu’à de nombreuses personnes qui continuaient à travailler. Pendant la crise énergétique de 2022, de nombreux gouvernements ont pris des mesures pour atténuer les effets de l’augmentation des prix de l’énergie. Même l’Allemagne, traditionnellement réputée pour sa rigueur budgétaire, a alloué 4,4 % du PIB pour protéger les ménages et les entreprises des conséquences de la guerre en Ukraine.
Ces dernières années, les gouvernements semblent avoir perdu toute mesure. Aux États-Unis, la loi Inflation Reduction Act, visant à financer des investissements écologiques, pourrait coûter plus de 1 000 milliards de dollars. En Italie, un projet visant à encourager les propriétaires à rendre leur logement plus écologique est devenu incontrôlable, le gouvernement ayant déjà déboursé plus de 200 milliards d’euros (soit 10 % du PIB).
L’impossible solution fiscale
Depuis la crise financière de 2008, les gouvernements ont agi comme si des dépenses supplémentaires pouvaient être réalisées sans augmenter les impôts ni opérer des arbitrages budgétaires. Entre les années 1960 et 1990, les recettes fiscales en pourcentage du PIB des pays riches ont régulièrement augmenté. Depuis les années 2010, elles stagnent. Dans les années 1970 et 1980, les réformes fiscales étaient partagées équitablement entre celles qui augmentaient et celles qui réduisaient les recettes. En revanche, les réformes récentes se sont concentrées sur la réduction des impôts. En 2022, 85 % des réformes de l’assiette de l’impôt sur le revenu des particuliers dans les pays de l’OCDE ont conduit à une baisse de l’impôt collecté.
En France, les gouvernements ont supprimé ces dernières années la taxe d’habitation, la redevance audiovisuelle, la première tranche de l’impôt sur le revenu et une partie de l’ISF, sans compenser ces pertes fiscales par de nouvelles sources de revenus ou par des économies budgétaires. Le résultat est le maintien de déficits publics élevés malgré la reprise économique depuis 2021. En 2024, le déficit public moyen de l’OCDE est de 4,4 % du PIB, dépassant 7 % aux États-Unis et atteignant 6 % en France. Dans le passé, de tels taux n’étaient observés qu’en période de guerre ou de récession.
Des services publics dégradés
Face à l’explosion des dépenses sociales, les gouvernements ont tendance à réduire les crédits alloués aux services publics. À l’exception de la France, la part de l’emploi dans le secteur public, en pourcentage du total, a diminué depuis la fin des années 1990. En raison de la complexification du droit et de la diminution des moyens alloués à l’administration, son efficacité a diminué. Aux États-Unis, le délai pour obtenir un permis de construire pour un projet résidentiel a doublé en trente ans. Au Royaume-Uni, les tribunaux du travail sont confrontés à d’importants retards en raison d’une pénurie de juges, avec des audiences sur les licenciements abusifs ou les discriminations raciales prévues jusqu’en 2026. En Australie, le délai de traitement des demandes de passeport est passé de trois à six semaines entre 2022 et 2024.
Des investissements en baisse et de plus en plus difficiles à réaliser : La réalisation d’investissements publics, comme les lignes ferroviaires à grande vitesse ou les métros, prend désormais des décennies, alors que dans les années 1970, quelques années suffisaient. La France a réussi à construire 18 centrales nucléaires entre la fin des années 1960 et la fin des années 1980, tandis qu’il a fallu 17 ans pour achever la seule centrale EPR de Flamanville. Aux États-Unis, l’Empire State Building a été construit en un an dans les années 1930. Aujourd’hui, un tel projet prendrait trois ou quatre fois plus de temps. Dans les années 1950 et 1960, les gouvernements, notamment en Allemagne et au Japon, ont construit des millions de logements sociaux et des milliers de kilomètres de routes et de voies ferrées.
Pour limiter la dérive de leurs finances, les États ont réduit leurs investissements dans la recherche et le développement. En 2023, les États de l’OCDE financent 10 % des dépenses de recherche, contre plus de 17 % en 1981. Presque toutes les avancées récentes en matière d’intelligence artificielle proviennent du secteur privé, alors que jusqu’aux années 1980, les grandes innovations technologiques, telles qu’Internet ou les trains à grande vitesse, étaient souvent le fruit d’investissements publics.
La réforme, un mot honni
Depuis les années 2010, les gouvernements réforment peu. Quand ils le font, la croissance économique n’est rarement leur priorité. En 2024, les gouvernements sont tiraillés entre la nécessité de stabiliser les impôts et celle de trouver de nouvelles ressources pour financer les dépenses publiques en augmentation. Dans son budget 2024-2025, le nouveau gouvernement britannique devrait augmenter les impôts sur l’épargne et l’investissement, au risque de freiner la croissance. Le Canada a augmenté les impôts sur les plus-values. En France, le gouvernement envisage d’augmenter les impôts sur les entreprises et les ménages les plus aisés. Aux États-Unis, où le déficit annuel atteint 7,3 % du PIB, les candidats à la présidence refusent d’envisager des hausses d’impôts. À la place, ils promettent de nouvelles baisses d’impôts qui risquent d’aggraver encore le déficit public. Les deux candidats ont proposé l’exonération des pourboires de l’impôt sur le revenu. Donald Trump a promis l’exonération des heures supplémentaires et une forte augmentation des droits de douane, qui sont dans les faits un impôt sur la consommation des produits importés.
Les gouvernements recourent à des expédients pour tenter de limiter la dérive des déficits publics, mais ils sont peu nombreux à chercher à améliorer l’efficacité des dépenses ou à moderniser le système fiscal. Des impôts à large assiette et à faible taux permettraient d’augmenter les recettes publiques tout en étant plus neutres économiquement. Le relèvement des taux de TVA constitue également une solution pour accroître les recettes, générant généralement peu de contestation.
Les pays d’Europe du Nord ont des taux de TVA allant de 24 % à 25 %. Récemment, l’Estonie a augmenté sa TVA pour financer son industrie de la défense. Aux États-Unis, les Républicains s’opposent à toute augmentation de la TVA, arguant que cet impôt est régressif. Les ménages modestes consacrent en effet une part plus importante de leurs revenus à la consommation de biens et de services que les ménages plus aisés. Cependant, ces ménages sont aussi ceux qui bénéficieraient le plus de services publics efficaces.
Des gains de productivité pour faire face à l’augmentation des dépenses
Un autre argument contre l’augmentation de la TVA est son impact inflationniste. Cependant, depuis le printemps 2024, l’inflation est en nette diminution, et la faible croissance devrait inciter les entreprises à ne pas répercuter entièrement cette hausse sur les prix. Les États ont une ardente obligation à dégager des gains de productivité pour faire face à l’augmentation des dépenses de retraite et de santé, et pour réduire leurs déficits publics. Ils devront probablement recourir à la fiscalité, mais en privilégiant des impôts à fort rendement et aussi neutres que possible d’un point de vue économique.
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