Il y aurait eu une inconscience collective à profiter des « dividendes de la paix ». Quels seraient les dividendes de la guerre ? Il y en a forcément, tant la guerre mobilise. Le budget américain réduit Medicaid et augmente les investissements dans la défense : 1000 milliards de dollars. Trump annonce la construction d’un « dôme d’or » qui protégera les États-Unis des missiles. Aussitôt, Chine et Russie le prient de renoncer, cela reviendrait à doter les États-Unis d’une impunité dans l’utilisation d’armes nucléaires. Jeu de dupe : Chine et Russie savent qu’un tel bouclier est impossible. Même s’il parvenait à arrêter 90% des missiles, un seul suffirait. Or des milliers de missiles dispersent des milliers d’ogives.
Un tel projet naîtrait dans l’espace à partir d’un réseau de satellites. Les opposants dénoncent déjà les amis et donateurs de Trump, comme Space X d’Elon Musk, qui bénéficieront des 170 milliards de dollars dédiés à ce dôme dont l’or ne serait pas perdu dans les étoiles.
Les États-Unis demandent aux membres de l’OTAN de porter leur effort de sécurité à 5% du PIB. Est-ce réaliste ?
Les Américains ne sont pas les seuls à se projeter dans les dividendes de la guerre. Les Russes ont porté l’effort de guerre à un degré jamais atteint depuis 1945, un tiers du budget russe. Les Chinois n’ont jamais cessé de renforcer l’armée Rouge. Ils ont annoncé le premier avion porte-drone, volant à 15.000 mètres, lâchant des milliers de drones. L’Arabie saoudite se réjouit d’un contrat de 170 milliards de dollars avec les États-Unis, le Royaume-Uni revient dans le giron européen pour participer au fonds de défense de 150 milliards mis en place par l’Union européenne.
Les États-Unis demandent aux membres de l’Otan de porter leur effort de sécurité à 5% du PIB. Le militaire proprement dit ne s’élevant qu’à 3.5%. Est-ce réaliste ? Est-ce utile ? Avec bien des efforts, l’Allemagne et la France atteignent 2.1% L’Espagne et l’Italie 1.5%. La pression américaine a un but : contraindre les Européens à acheter leur matériel.
Les commentateurs ironisent sur les erreurs du passé, celles qui ont permis de toucher les dividendes de la paix, surtout en Europe. Aurait-il fallu garder, après la chute de l’URSS, les mêmes armées ? La Russie et les États-Unis aussi diminuèrent leurs budgets militaires. L’idée d’un partenariat de sécurité européen, avec la Russie et les États-Unis, n’était pas absurde; elle était même intelligente. C’est la dérive poutinienne qui l’a condamnée. Quant à la France, elle n’était pas désarmée. Elle a cessé d’investir dans une armée de combat de front, dit de haute intensité, parce qu’il y avait peu de chances, comme aujourd’hui d’ailleurs, que les chars Leclerc se battent sur le Rhin. Le format privilégié était celui d’une projection des forces, et d’une dissuasion nucléaire. D’où serait venue la menace qui aurait justifié les gros bataillons?
Si un conflit devait survenir demain, il commencerait comme en Espagne, par une grande panne.
Aujourd’hui les modalités de la guerre changent. La cyberguerre n’est pas une guerre virtuelle. Les navires russes et chinois repèrent les câbles en Méditerranée et en Baltique. Si un conflit devait survenir demain, il commencerait comme en Espagne, par une grande panne : plus d’électricité, plus d’internet, plus de train, plus de circulation, plus de téléphone, plus rien. Le sabotage électrique du Festival de Cannes est un clin d’œil. Certains paradent, d’autres sabotent. Nos stratèges devraient prévenir les pannes et pouvoir plonger nos adversaires dans le noir. Voilà une autre forme de dissuasion qui éviterait les tentations.
Car ce qui est à redouter, c’est l’engrenage. Chacun voit dans la posture guerrière la solution à tous ses maux. Les diplomates, depuis que le droit existe entre les nations, sont, normalement, « sacrés ». S’attaquer à des ambassadeurs révèle l’esprit du temps : mépris du droit international d’un côté, banalité de l’assassinat terroriste de l’autre. À Jenine, des soldats israéliens ont effectué des tirs de sommation sur une délégation d’ambassadeurs. Le lendemain, deux diplomates israéliens ont été tués à Washington. L’indifférence gagne. Comme si le génie du mal survolait la planète et dispensait, à rebours de la paix gagnée il y a 80 ans par des millions de morts, la facilité de la guerre.
Une culture de guerre s’étend. Un système sécuritaire justifie la surveillance de l’économie et de la société.
« Comment est-il possible que la masse se laisse enflammer jusqu’à la folie et au sacrifice ? Je ne vois pas d’autre réponse que celle-ci : L’homme a en lui un besoin de haine et de destruction(…) Existe-t-il une possibilité de diriger le développement psychique de l’homme de manière à le rendre mieux armé contre les psychoses de haine et de destruction ? » demandait Einstein à Freud. Qui répond : « Tout ce qui travaille au développement de la culture travaille aussi contre la guerre.[1] » C’était en 1932. En 33, commence l’hymne à la guerre.
Une culture de guerre s’étend. Tous les régimes militaristes font bien vivre les militaires, avec de substantielles primes de corruption. Un système sécuritaire justifie la surveillance de l’économie et de la société. Les Démocraties ne doivent pas devenir sécuritaires, elles en mourraient, elles perdraient leur force. Cela ne signifie qu’il ne faut pas être vigilant ni être prêt à se défendre, puisque des ennemis menacent et font le choix de la guerre, mais rester aussi vigilants des manipulateurs, de ceux qui veulent singer l’ennemi.
Comment tirer profit de ses ennemis ? Ils mettent en exergue nos faiblesses. Le fanatisme comme la lâcheté. L’essentiel n’est pas d’investir dans l’armement, il est d’investir dans l’intelligence, qui n’est ni civile, ni militaire. L’intelligence suppose l’humanisme, l’ouverture, l’imagination. Aucune société fermée ne l’emportera sur une société ouverte. Aucun pays ne survivra sans alliances.
Comment tirer profit de ses ennemis ?
Diogène : « Comment me défendrai-je contre mon ennemi ? En te rendant vertueux. » Que signifie, pour un citoyen, pour un État, aujourd’hui, être vertueux ? Un début de réponse : les Ukrainiens le sont. Pourquoi se battent-ils ? Pour un modèle de société à rebours du modèle autoritaire russe.
Le risque principal est la perte de confiance dans l’humanisme. Inutile de s’armer si ce n’est pour défendre ce que l’on croit. La volonté de se battre est le premier élément. La capacité de nuire en découle, elle peut prendre mille formes, la meilleure étant celle qui se trouble l’adversaire chez lui. La Russie aurait perdu un million de combattants. Qui peut penser que cela n’aura pas de conséquence en Russie ?
Si l’on porte à 5% les dépenses de sécurité, alors à combien élever les investissements liés à l’information, à la connaissance, au savoir, à la science ? La Cour des Comptes s’alarme du niveau désastreux de l’école primaire en France. Il faudrait former 40 à 50.000 ingénieurs de plus par an. La France investit 2.5% de son PIB dans la recherche, les États-Unis 3.6%. Le niveau de dépenses de Recherche dans l’Union européenne représente la moitié de celui des États-Unis. Il n’y a pas de dividende de la guerre. Sauf à y inclure la recherche. Et le retour au droit international.
Laurent Dominati
[1] https://courier.unesco.org/fr/articles/pourquoi-la-guerre-lettre-dalbert-einstein-sigmund-freud
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