Les différents visages de l’immigration

Les différents visages de l’immigration

La grande majorité des pays occidentaux entendent diminuer le recours à l’immigration : États-Unis, Italie, Allemagne, France, Pays-Bas, etc. Mais au-delà des discours, des promesses et des lois, la réalité est tout autre. Arrivée au pouvoir en 2022 sur un programme sans équivoque sur le sujet, la Première ministre italienne, Giorgia Meloni, a délivré près de 250 000 visas pour des travailleurs non qualifiés en 2025 et devrait encore en accorder 165 000 en 2026, soit deux fois plus que la France. En 2020, l’Italie n’avait donné que 30 000 visas. Le pays a également signé avec l’Inde un accord de mobilité de la main-d’œuvre permettant l’arrivée de ressortissants de ce pays sans aucune limitation ou presque.

2,5 millions de travailleurs temporaires

Viktor Orbán, le Premier ministre hongrois, affirmait jadis que son pays n’avait besoin « d’aucun migrant » pour faire fonctionner son économie. En réalité, il a discrètement adopté des programmes de travailleurs invités. En 2024, environ 78 000 migrants non européens travaillaient en Hongrie, soit une hausse de 92 % par rapport à 2019. Aux États-Unis, l’administration Trump, tout en durcissant la lutte contre l’immigration illégale et en restreignant les voies d’accès pour les travailleurs qualifiés avec l’instauration de taxes sur les permis de séjour sans précédent, promet d’accélérer les visas saisonniers destinés aux exploitants agricoles. S’il se montre inflexible vis-à-vis des États dirigés par les démocrates, il s’avère accommodant avec ceux de l’Amérique profonde, souvent dirigés par des conservateurs.

Dans l’ensemble de l’OCDE, 2,5 millions de travailleurs temporaires, apprentis, saisonniers ou stagiaires, sont arrivés en 2023, contre 1,5 million en 2014. Le Japon et l’Espagne enregistrent les progressions les plus marquées. Ce succès traduit une tension fondamentale entre démographie et politique. Les économies développées ont besoin de jeunes travailleurs. Dans le même temps, les pressions populistes incitent les gouvernements à durcir leur réglementation concernant l’immigration. Les gouvernements restreignent les voies d’accès à la citoyenneté. En octobre, l’Allemagne a ainsi supprimé une procédure accélérée permettant la naturalisation au bout de trois ans. En France, les conditions d’accès à la nationalité ont été une nouvelle fois durcies : l’examen de connaissance de la langue suppose un niveau bac+5. Le Royaume-Uni envisage de porter la durée de résidence requise à dix ans, contre cinq actuellement.

Dans presque tous les pays développés, la main-d’œuvre autochtone diminue et des secteurs entiers, garde d’enfants, bâtiment, agriculture, restauration, hôtellerie, peinent à recruter. Avec la baisse des taux de fécondité, la situation ne peut qu’empirer. En Corée du Sud, par exemple, les projections montrent que le PIB commencera à se contracter à la fin des années 2040, conséquence directe de l’effondrement de la natalité. Le taux de fécondité dans ce pays est de 0,8 enfant par femme. Selon l’économiste Michael Clemens (Université George Mason), si Séoul portait la part de ses migrants temporaires à un niveau comparable à celui de l’Australie (de 3 % à 15 % de la population totale), elle pourrait compenser l’essentiel de cette perte.

Le recours à l’immigration peut être gagnant-gagnant. Les immigrés contribuent à la richesse des pays d’accueil et améliorent sensiblement leurs revenus. Selon l’économiste Lant Pritchett, de la London School of Economics, les travailleurs en provenance des pays en développement travaillant aux États-Unis multiplient, en moyenne, par quatre leur niveau de vie.

L’immigration est de plus en plus contestée en Occident

Ses adversaires mettent en avant la faible intégration des étrangers. Le programme allemand des Gastarbeiter (1955–1973) a permis à 14 millions de travailleurs, dont beaucoup de Turcs, de venir travailler dans les usines de la République fédérale. Nombre d’entre eux restèrent des décennies sans accès à la citoyenneté, maîtrisant mal la langue et peinant à s’insérer. En 1982, le chancelier Helmut Kohl évoquait la possibilité de « renvoyer » ces travailleurs dans leur pays d’origine. L’Allemagne a par la suite changé sa politique en facilitant l’acquisition de la nationalité et le regroupement familial. L’équipe nationale de football, à partir des années 1990, intègre de plus en plus d’immigrés ou d’enfants d’immigrés, ce qui n’était pas le cas auparavant.

Les conditions de travail des immigrés peuvent poser un problème. Dans les pays du Golfe, elles ont souvent été dénoncées comme quasi serviles. Au Japon, en 2022, le ministère de la Santé a constaté que 74 % des entreprises employant des travailleurs invités enfreignaient le droit du travail, en ne respectant pas les normes de sécurité ou en imposant des heures supplémentaires non rémunérées. Les travailleurs immigrés occupent fréquemment des emplois pénibles que les nationaux refusent. L’idée que les immigrés prennent les emplois à ces derniers et empêchent la hausse des rémunérations ne tient pas. Les immigrés sont surreprésentés dans les emplois à faible valeur ajoutée. Ils permettent aux natifs d’occuper des emplois mieux payés.

Les immigrés sont exposés à des risques sociaux d’autant plus importants que la législation les concernant s’est complexifiée. Aux Pays-Bas, où les permis pour non-Européens sont rares, des employeurs recrutent en Pologne ou en Slovénie et profitent ensuite de la libre circulation européenne pour transférer les travailleurs sur le sol néerlandais. Sur le papier, ces derniers sont employés dans le pays émetteur du visa ; en pratique, beaucoup d’agences de recrutement n’y ont qu’une boîte postale. L’immigration illégale se développe en raison des difficultés croissantes pour obtenir une carte de séjour ou une carte de résident.

Des migrants à Paris, le 11 janvier 2023. © Picture alliance

Les opposants à l’immigration soulignent parfois le fait que les immigrés seraient plus utiles à leur pays d’origine. Or, dans ces derniers, le taux de chômage est fréquemment élevé. Par ailleurs, les immigrés sont à l’origine de transferts de fonds importants permettant le développement de leur pays d’origine. Les pays en développement essaient de nouer des accords avec les pays occidentaux afin de faciliter l’émigration. L’Ouzbékistan, par exemple, a signé des partenariats à travers l’Europe. Sa banque centrale a enregistré 8,2 milliards de dollars de transferts au premier semestre, contre 6,5 milliards un an plus tôt, un montant significatif pour un PIB de 132 milliards. L’Inde a également multiplié les accords facilitant la migration temporaire avec le Royaume-Uni, la France, l’Italie, le Japon et d’autres pays. New Delhi promet d’aider à rapatrier les travailleurs qui dépasseraient la durée de leur visa, un geste apprécié des responsables occidentaux hostiles à l’immigration. Le Vietnam fixe chaque année des objectifs d’émigration de main-d’œuvre ». Pour 2025, il vise l’envoi de 130 000 travailleurs à l’étranger.

Un facteur de croissance pour les pays émergents

Pour les pays en développement ou émergents, l’expérience professionnelle à l’étranger est un facteur de croissance à terme. Selon une étude de Laurent Bossavie (Banque mondiale), les migrants de retour sont beaucoup plus susceptibles de créer leur entreprise grâce aux économies accumulées à l’étranger. À partir de données portant sur 5 000 travailleurs bangladais, les chercheurs estiment qu’une réduction de 50 % du coût de la migration augmente de 8 % le taux de création d’entreprises au Bangladesh.

Au sein des pays occidentaux, l’immigration choisie est souvent mise en avant. Or, ce sont les immigrés qui choisissent les pays d’accueil. Nombreux sont ceux qui essaient leur chance au Royaume-Uni, en raison de la langue et des facilités d’installation grâce aux réseaux d’immigrés. Les besoins en France sont multiples : agriculture, restauration, hôtellerie, logistique, professions de santé. Il est difficile d’avoir une liste établie et de se limiter à quelques pays, même si, avec le recours aux accords bilatéraux, cette approche se développe. Depuis quelques années, les pays qui n’acceptaient que les immigrés ayant un contrat de travail ferme modifient leur législation. Ainsi, l’Australie a-t-elle porté de 60 à 180 jours le délai laissé à un travailleur pour retrouver un emploi après avoir quitté l’employeur responsable de sa venue. Le Canada et le Japon ont également assoupli les règles de mobilité entre employeurs. Au Texas, certains élus républicains défendent l’idée d’un visa portable pour les travailleurs agricoles.

Les gouvernements sont confrontés à des dilemmes de plus en plus prégnants. D’un côté, les entreprises réclament plus d’immigration quand, dans le même temps, les populations exigent l’inverse. De plus en plus, ils limitent l’acquisition de la nationalité afin de souligner que le recours à l’immigration est temporaire, tout en se plaignant de la difficile intégration des étrangers. Les crispations autour de l’immigration ne sont pas nouvelles. En France, à la fin du XIXᵉ siècle et dans l’entre-deux-guerres, les travailleurs immigrés espagnols, italiens ou portugais ont fait l’objet de campagnes violentes pouvant aller jusqu’à des pogroms. Les travailleurs algériens, tunisiens ou marocains durant les Trente Glorieuses ont également été victimes d’actes racistes. Aux États-Unis, pays d’immigration par excellence, les rivalités entre les différentes communautés sont nombreuses et ont donné lieu à de nombreux films : Gangs of New York, Gran Torino, etc.

Les pays occidentaux se trouvent face à une contradiction qu’ils ne savent plus résoudre : ils ont besoin d’immigration pour maintenir sa prospérité, mais ils n’en veulent plus pour préserver leur identité. Entre vieillissement démographique et crispations identitaires, les politiques oscillent entre ouverture contrainte et fermeture affichée.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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