Dans le cadre des plans de développement, l’industrialisation est fréquemment mise en avant. Ainsi, après la guerre civile des années 1970/1990, le Mozambique a bénéficié d’aides internationales afin de reconstruire son industrie d’aluminium. L’entreprise en charge de la fonderie de Mozal est ainsi devenue le plus grand employeur industriel. Cette activité est aujourd’hui remise en cause par la volonté des pays de l’OCDE de décarbonner leurs économies et de protéger leur production nationale. Plus de la moitié des exportations d’aluminium du Mozambique sont destinées à l’Union européenne (UE). Or, à partir de 2026, les importateurs d’aluminium devront payer une taxe dans le cadre du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM), un système conçu en vue d’imposer à certaines importations à forte intensité énergétique vers l’UE le paiement du même prix du carbone que l’industrie européenne.
Les permis carbone, des barrières commerciales.
Actuellement, le CBAM est encore en phase de préparation ; les importateurs doivent soumettre des rapports sur le carbone incorporé dans leurs importations, mais ne sont pas encore obligés d’acheter des permis carbone. A terme, les pays en développement devront payer la différence entre le prix du carbone payé dans leur propre pays et le coût d’un permis dans le système d’échange de quotas d’émission de l’UE (ETS), actuellement fixé à 62 euros par tonne d’équivalent dioxyde de carbone. Les responsables des entreprises des pays en développement soulignent que ce système institue des barrières commerciales injustes faisant porter la charge de la décarbonation sur des pays qui ont peu contribué au réchauffement climatique. L’Afrique du Sud et l’Inde, entre autres, envisagent de déposer une plainte auprès de l’Organisation mondiale du commerce au sujet du CBAM au nom de la lutte contre le protectionnisme.
Le CBAM n’est qu’un des moyens par lesquels l’Union européenne entend imposer sa politique environnementale à ses fournisseurs. Les exportateurs devront également respecter une directive sur la déforestation, en vertu de laquelle ils devront prouver que leurs produits n’ont pas été fabriqués sur des terres qui étaient forestières avant 2021. Ils devront aussi respecter une directive sur la durabilité des entreprises, qui les obligera à communiquer leurs émissions tout au long de leurs chaînes d’approvisionnement. Une étude de la Fondation africaine pour le climat et de l’Institut Firoz Lalji de la London School of Economics (LES) estime que le CBAM ne réduirait le PIB africain que de 0,91 % car la plupart des biens concernés seront exportés dans d’autres parties du monde. Néanmoins certains pays seraient durement touchés. Environ 90 % des exportations de fer et d’acier du Zimbabwe, par exemple, sont destinées à l’UE.
Les taxes carbone ne se limitent pas à l’UE.
Une étude de la Banque mondiale suggère que l’Inde, la Russie et l’Ukraine sont susceptibles d’être les plus exposées, en raison de la combinaison de l’intensité carbone de leurs exportations et de leur dépendance au commerce avec l’UE. L’Ukraine pourrait, cependant, être exemptée des taxes en vertu des clauses de force majeure en raison de l’invasion russe. Les taxes carbone aux frontières ne se limitent pas à l’UE. La Grande-Bretagne et l’Australie envisagent des mesures similaires. Plusieurs propositions de taxes de ce type sont en cours d’examen au Congrès américain. Un projet de loi sur les taxes sur la pollution étrangère obligerait les importateurs à payer une taxe fondée sur la différence entre l’intensité carbone moyenne d’un produit fabriqué dans le pays exportateur et aux États-Unis.
Un autre projet, connu sous le nom de Clean Competition Act, combinerait un ajustement carbone aux frontières avec un prix intérieur.
Les pays les plus pauvres estiment que le CBAM et d’autres mesures comparables ne tiennent pas compte de l’obligation, prévue par l’accord de Paris sur le changement climatique qui impose aux pays riches de faire plus d’efforts pour décarboner que les pays pauvres. Par ailleurs, les pays avancés ne respectent pas l’engagement qu’ils avaient pris d’aider les pays émergents et en développement afin que ces derniers décarbonent leur économie. Pour ces pays, la logique est que le carbone est un intrant de production dont le prix doit être différent selon les contextes. Une fonderie d’aluminium en Suède devrait payer un prix plus élevé qu’une fonderie mozambicaine, car les Suédois ont déjà épuisé une plus grande partie du budget carbone mondial.
La taxe carbone a décomplexé les États en matière de droits de douane.
Afin et de contourner le système européen et de récupérer une partie des recettes, certains pays lancent leurs propres systèmes d’échange de quotas d’émission, comme la Turquie qui exporte de l’électricité vers l’UE. La Chine a récemment ajouté l’acier, l’aluminium et le ciment à son propre marché du carbone, à l’image du CBAM. L’Inde, quant à elle, envisage de taxer les exportations à forte teneur en carbone destinées à l’UE.
Le CBAM a décomplexé les États en matière de droits de douane. Donald Trump veut imposer un taux minimal de 10 voire de 20 % sur toutes les importations. Les politiques environnementales sont de plus en plus perçues comme les antichambres du protectionnisme. Le principe qui sous-tend le recours à telles politiques est la défense de la production nationale. « Les États-Unis doivent redevenir une nation de producteurs, et pas seulement de consommateurs », déclare un élu démocrate, Jared Golden favorable au protectionnisme. Donald Trump va encore plus loin en affirmant que « sous ma direction, nous allons prendre les emplois des autres pays » ; signifiant l’engagement d’une véritable guerre économique avec le reste du monde.
Le recours au protectionnisme a toujours été une tentation à laquelle les gouvernements éprouvent les pires difficultés à se soustraire en raison de sa nature populiste. En fermant les frontières, en augmentant les droits de douane, les pouvoirs publics croient défendre leurs citoyens des producteurs étrangers accusés de tous les maux au titre d’une altérité mal vécue. Les mesures protectionnistes appliquées aux États-Unis afin de protéger la sidérurgie nationale des importations japonaises ont eu comme conséquence d’augmenter les prix de l’acier et de handicaper l’industrie automobile américaine. Les destructions d’emplois dans ce dernier secteur ont été supérieures à ceux qui ont pu être sauvés dans la sidérurgie. L’augmentation des tarifs douaniers durant la présidence de Donald Trump n’a pas permis de mettre un terme au déclin de l’emploi industriel aux États-Unis.
Les mesures protectionnistes aboutissent à une mauvaise allocation des ressources.
Si les tarifs douaniers ont pu décourager certaines importations, ils ont probablement également pesé sur la production américaine. Les mesures protectionnistes empêchent l’application de la théorie des avantages comparatifs. Elles aboutissent à une mauvaise allocation des ressources. Les secteurs les plus productifs ne peuvent pas se développer en raison des surcoûts générés par les droits de douane. Ces derniers pénalisent les consommateurs qui doivent payer plus cher les biens. En optant pour un taux de 20 %, Donald Trump ramènerait le niveau des tarifs douaniers à celui de l’époque de la Grande Dépression qui avait provoqué un blocage du commerce international et à l’exacerbation du nationalisme.
Au-delà de la protection supposée de l’emploi, les tarifs douaniers sont censés procurer des recettes aux États qui les mettent en œuvre. Donald Trump se plaît à souligner que les tarifs « rapporteront des milliards de dollars », qui pourront être utilisés à la fois pour réduire le déficit fédéral et réduire les impôts sur le revenu. Compte tenu du montant des importations américaines, environ 3 000 milliards de dollars de biens, une taxe de 20 % pourrait, de manière simpliste, rapporter 600 milliards de dollars par an. Le problème est qu’il s’agit d’une image statique. Quand les droits de douane augmentent, la consommation et les importations baissent, ce qui réduit les recettes publiques. En outre, les représailles des gouvernements étrangers aboutiront à une réduction des exportations ce qui nuira à la croissance et aux recettes fiscales.
Une guerre commerciale totale entraînerait une baisse de 5 % du PIB américain
Une analyse réalisée par le Penn Wharton Budget Model, un centre de recherche indépendant, a révélé qu’une guerre commerciale totale entraînerait une baisse de 5 % du PIB américain. L’autre argument en faveur des droits de douane soulevé par leurs partisans est l’amélioration du rapport de force dans les négociations commerciales. Cette position a été notamment défendue par Robert Lighthizer, le représentant américain au commerce (USTR) sous Donald Trump et par Katherine Tai qui lui a succédé sous Joe Biden. Pour autant, les droits de douane n’ont pas modifié d’un iota la politique commerciale de la Chine dont la force commerciale s’est plutôt renforcée ces dernières années.
Les droits de douane sont également justifiés par la nécessité de défendre des secteurs dits stratégiques. Cet argument a été mis en avant aux États-Unis comme en Europe pour les véhicules électriques, les semi-conducteurs et les modules solaires chinois. L’administration de Joe Biden a ainsi déclaré que l’influence de la Chine dans ces secteurs créait des risques inacceptables pour la sécurité économique des États-Unis. Il n’est pas certain que le recours aux tarifs douaniers à des fins de sécurité nationale assure la sécurité des approvisionnements. Invoquer cette dernière est une excuse pratique pour mettre en œuvre des politiques protectionnistes. Les tarifs douaniers ne garantissent en rien l’indépendance économique. « Si quelque chose est vraiment dangereux, vous devriez probablement l’interdire plutôt que de le taxer », déclare Ed Gresser du Progressive Policy Institute.
Malgré tout, les droits de douane demeurent populaires.
Dans l’histoire économique de ces deux cents dernières années, l’augmentation des tarifs douaniers s’est toujours révélée négative sur le plan de la croissance et de l’emploi. Elle est source d’inflation. Elle pénalise, en règle générale, les ménages les plus modestes qui ne peuvent plus accéder à certains produits.
Malgré tout, les droits de douane demeurent populaires. L’idée qu’ils protègent les entreprises et l’emploi est communément admise. La concurrence étrangère est souvent jugée déloyale et responsable de tous les maux économiques. Après une succession de crises, la tentation protectionniste transcende tous les continents avec comme risque de démanteler le travail réalisé après la Seconde Guerre mondiale avec les accords du GATT. Il serait dommageable que les leçons du passé soient oubliées.
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