EDF coule, Total encaisse. L’Europe s’affranchit du gaz russe et fonce vers la transition énergétique. Pour éviter que la planète ne brûle, les milliards s’inventent, par la dette et l’inflation.
L’énergie, c’est la vie. Du photon qui abreuve les plantes aux calories que brûle le cerveau, tout ce qui vit consume. Toutes les révolutions, agricoles ou industrielles, furent énergétiques. De la tourbe au gaz, il n’y a qu’un multiplicateur de richesses et de conflits.
De quoi rendre fou.
La lutte pour l’énergie n’est pas nouvelle. Sa diabolisation non plus : le diable s’appelle Lucifer. Tout ce qui est tiré du sol -or, fer, pétrole- sent le soufre, alimente le désir de puissance, l’avidité, le luxe. Crise climatique, guerres des sables, charbon du Donbass, gazoducs maudits : comment éviter l’enfer ? La température monte, Struggle for life. Le prix de l’électricité a été multiplié par dix. Avant de rechuter, plus vite qu’attendu. De quoi rendre fou :
Surtaxer l’essence, mais la subventionner avec des chèques ; interdire le gaz de schiste en France, mais l’importer des États-Unis; fermer Fessenheim puis commander en urgence de nouvelles centrales ; interdire dès 2035 les voitures thermiques mais remettre en marche les centrales à charbon.
Avec la coupure du gaz russe, un tiers de l’électricité allemande est produite avec du charbon, y compris pour alimenter le réseau français, défaillant. La politique énergétique allemande est une impasse : les énergies renouvelables sont intermittentes, le gaz russe est coupé, le nucléaire rejeté. En France, la production électrique est à son plus bas niveau depuis 30 ans : 60% de production nucléaire de moins qu’il y a 15 ans. Les Verts triomphent mais se grattent la tête : faut-il faire son mea culpa comme Cohn Bendit et se convertir au nucléaire ? Trop tard, l’excellence a été perdue.
Alors que les manifestants défilent contre une réforme des retraites à 13 milliards l’an, EDF, hier champion mondial, avoue une perte de 18 milliards d’euros. Dommage : si les centrales nucléaires fonctionnaient, EDF aurait engranger des bénéfices stupéfiants, comme Total.
Le retour du nucléaire est mondial. La Commission, après un bras de fer franco-allemand, accepte enfin que l’hydrogène produit à partir du nucléaire soit « vert ». Réalisme tardif : l’UE a fixé un objectif de 100.000 camions (sur 3 millions) alimentés à l’électricité ou à l’hydrogène en 2030. Pour les alimenter, il faudrait 90 terawattheure par an : l’équivalent de 15 centrales nucléaires ou … 900 km2 de panneaux solaires.
Plus l’énergie est chère, plus les pétroliers profitent de la pénurie volontaire
Le plan Repower Europe veut retrouver la « souveraineté énergétique ». Mais se rendre dépendant des Chinois en terres rares et panneaux solaires, sacrifier l’industrie automobile aux voitures chinoises, est-ce le retour de la souveraineté ?
Pendant que des militants du climat taguent d’orange les portes de Matignon, la prochaine COP pour sauver le climat sera présidée par un magnat du pétrole. Logique : Plus l’énergie est chère, plus les pétroliers profitent de la pénurie volontaire et des prix élevés. ExxonMobil, Chevron, TotalEnergies, BP et Shell ont gagné plus de 200 milliards de dollars, dans un marché dominé par les compagnies d’Etat : Saudia Aramco, China petroleum chemical, Petrochina, China National petroleum, Koweit petroleum, Pemex, Petrobras, PDVSA… Pourquoi s’opposeraient- ils à la transition, eux qui entendent rester les maitres de l’énergie et qui en ont les moyens ?
La transition énergétique ne sera pas douce. Les carburants fossiles représentent aujourd’hui 78% de la consommation en Europe. L’an dernier, l’Etat a dépensé 45 milliards pour aider à supporter le choc de la hausse des prix, pas pour investir dans de nouvelles énergies, pour amortir le coût social.
Pour la première fois, une révolution énergétique est décidée d’en haut
Pour la première fois, une révolution énergétique est décidée d’en haut. A été créé le prix du CO2. Jusqu’alors, il était gratuit. France Stratégie évalue le coût de la transition à 2.5% par an. Toute l’économie est concernée, puisque le ciment, le plastique, le blé, ont un coût énergétique en CO2. L’alimentation coûtera plus cher. La révolution « verte », agricole, à base d’engrais et d’énergie, a réduit famines et malnutrition, alors que la population mondiale atteint 8 milliards d’habitants. Un exploit inimaginable il y a cinquante ans. Pour les pays en décroissance démographique, pas de problème. Pour les autres ? L’Asie, l’Afrique, sans engrais ? La coupure des circuits de distribution a fait bondir les cours et les risques de famine. L’attitude des pays africains, du Brésil ou de l’Argentine vis-à-vis de la Russie a une cause chimique : l’azote.
Les Etats riches ont lancé la course à l’économie décarbonée. La Chine fait feu de tout bois, du charbon à l’hydrogène. L’Italie se rêve en hub énergétique. L’Arabie investit la « greentech ». Les États-Unis lancent leur IRA, 370 milliards de dollars pour attirer les nouvelles usines. L’Europe s’affole. Comme les investissements « verts » ne seront pas aussi productifs, avant longtemps, que les autres, les états subventionnent et reviennent au protectionnisme. Mais qui ose dire que le protectionnisme a un coût ?
Le protectionnisme renforce le pouvoir des Etats et favorise les blocs. Double erreur.
Economiquement appauvrissant, il renforce à la fois le pouvoir des Etats et la constitution de blocs d’alliance. Double erreur. L’extension de la sphère du pouvoir n’est pas favorable aux innovations, plutôt aux impasses des planifications au capitalisme de connivence, à la corruption.
Entre suicide industriel et nouvelle civilisation.
Ce, dans un basculement géopolitique. Moins d’investissements dans les hydrocarbures font monter le prix de l’énergie. Les pays pétroliers seront plus riches, un temps. L’écart entre pays riches et pauvres s’accroitra. Puis certains auront construit leur autonomie énergétique. Le déclin du pétrole distribuera de nouvelles cartes. « L’âge de pierre ne s’est pas finie faute de pierre, l’âge du pétrole finira, mais pas à cause du manque du pétrole » prophétisait Cheikh Yamani. Chacun suit ses craintes, ses rêves, ses paris, comme l’Europe : Entre suicide industriel et nouvelle civilisation.
Crise climatique ou guerre d’Ukraine, l’Europe s’engage dans une révolution par décret. Elle veut retrouver une indépendance plus que menacée, ne pas rater le virage de la nouvelle industrie énergétique comme elle a raté celui de la technologie digitale.
Comment reprendre le contrôle de la folie énergétique ? Le point commun de ces contradictions, c’est qu’elles ont été décidées par la puissance publique. Exemple : le marché européen de l’électricité. Ce n’est pas un marché libre : il est hyper réglementé, alimenté par des compagnies d’Etat. Le quitter serait la fin des interconnexions. Au contraire, il faudrait un vrai marché.
La révolution énergétique doit accompagner une autre révolution : la dé-bureaucratie.
Faut-il diriger la révolution d’en haut, ou, au contraire lâcher la bride à mille producteurs, ingénieurs, innovateurs ? Faut-il seulement de grandes centrales ou des mini centrales ? L’énergie devrait être la plus locale possible. Investir dans le nucléaire et la maison autonome, l’hydrogène et les algues, la rénovation thermique et la géothermie, mais aussi la domotique, les nouveaux matériaux, les nouveaux tissus, ce qui suppose des milliers d’innovateurs. La révolution énergétique doit accompagner une autre révolution : la dé-bureaucratie. Sans cela, elle renforcera les carcans, les gaspillages, les révoltes. Ni Bruxelles, ni Berlin ni Paris ne savent construire l’avenir.
D’un côté, la politique énergétique a quitté depuis longtemps le champ du rationnel. Elle imprime tous les domaines de la vie. Que mangez-vous, combien de calories, combien de Co2 par mouvement, de plastique par gorgée ? Tout est comptabilisé dans une échelle aussi complexe que celles des indulgences au moyen-âge. A l’énergie s’agrippe une police mentale plus quotidienne que la police des mœurs ou le confessionnal.
De l’autre, elle représente des chances d’indépendance. Chance de se départir des puissances qui règlent les vies. Toutes les technologies qui permettent de produire de l’énergie localement, de la maison individuelle au quartier, de l’agriculteur à l’usine autonome, sont des accélérateurs d’autonomie personnelle. Ni Total, ni EDF ! Les Etats utilisent la transition énergétique pour accroitre encore et toujours la sphère du pouvoir. Les technologies d’avant-garde peuvent redonner le contrôle à chacun, ou accroitre le contrôle sur chacun. La nouvelle civilisation de l’énergie pose, encore et toujours, la question de la liberté.
Laurent Dominati
a. Ambassadeur de France
a. Député de Paris
Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press
Laisser un commentaire