Le XXIe siècle sera-t-il féminin ? 

Le XXIe siècle sera-t-il féminin ? 

Dans une vidéo devenue virale sur TikTok, un couple américain organise une fête de révélation du sexe de leur futur enfant. « C’est un garçon ! », s’exclament-ils. Mais l’émotion qui envahit la future mère n’est pas celle qu’on attend. Elle s’effondre en larmes, blottie dans les bras de son compagnon, visiblement bouleversée. Celui-ci tente de la rassurer : « La prochaine fois, nous aurons une fille, un jour. » Trop éprouvés, ils quittent la pièce, laissant leurs invités seuls.

Aux États-Unis, sur les réseaux sociaux, une nouvelle tendance émerge : celle de parents affichant leur tristesse de ne pas attendre une fille. Des millions de vues, des milliers de témoignages et un motif récurrent : « Je suis triste, je n’aurai pas de petite fille. » Pendant des siècles, les fils furent préférés. Héritiers du nom et du patrimoine, les garçons jouissaient de nombreux privilèges. Dans de nombreuses cultures, cette préférence s’est traduite par des avortements sélectifs massifs. En Chine, durant la période de l’enfant unique, ainsi qu’en Inde, les filles étaient avortées, tuées ou bannies. Il en résultait des cohortes déséquilibrées, marquant durablement les structures démographiques de ces pays. La donne a changé depuis.

Le ratio naturel : 105 garçons pour 100 filles

Dans les pays en développement, la préférence pour les garçons décline rapidement. Dans les pays riches, les filles sont de plus en plus perçues comme des valeurs sûres, quand les garçons deviennent des fardeaux. Dans la nature, la naissance de 105 garçons pour 100 filles reflète une forme d’adaptation évolutive à une mortalité masculine plus élevée. Ce ratio a été bouleversé à partir des années 1980, avec la démocratisation de l’échographie. L’accès à l’information sur le sexe du fœtus, couplé à une baisse de la natalité, a favorisé des pratiques sélectives à grande échelle. Selon The Economist, environ 50 millions de filles « manquent à l’appel » depuis 1980. L’année 2000 fut la plus sombre, avec 1,7 million de naissances masculines excédentaires. En 2015 encore, le chiffre dépassait le million. En 2025, la surreprésentation masculine n’est plus que de 200 000. Ce basculement statistique traduit un revirement culturel majeur : les sociétés les plus marquées par une discrimination envers les filles s’alignent peu à peu sur des ratios naturels.

En Corée du Sud, pays emblématique de cette évolution, le ratio était de 116 garçons pour 100 filles en 1990. Parmi les troisièmes naissances, il dépassait 200 garçons. Il approche aujourd’hui l’équilibre. L’Inde et la Chine suivent la même pente, à un rythme plus lent. En Chine, le ratio est passé de 117 dans les années 2000 à 111 en 2023. En Inde, de 109 à 107 en treize ans.

Une volonté croissante d’avoir une répartition équilibrée entre filles et garçons

Les sondages montrent une volonté croissante d’avoir une répartition équilibrée entre filles et garçons. Au Bangladesh, les femmes sans enfants expriment des préférences quasi identiques pour les deux sexes. En Afrique subsaharienne, cette recherche de complémentarité domine également. Un basculement culturel dans les pays développés En Corée du Sud, entre 1985 et 2003, la part des femmes jugeant « nécessaire » d’avoir un fils est passée de 48 % à 6 %. Désormais, près de la moitié souhaitent une fille. Au Japon, la part des couples préférant une fille unique est passée de 48,5 % en 1982 à 75 % en 2002. Dans certaines régions des Caraïbes et d’Afrique subsaharienne, le ratio des naissances penche légèrement en faveur des filles.

Des familles aisées paient jusqu’à 20 000 dollars pour choisir le sexe, et dans 80 % des cas, optent pour une fille.

Dans un certain nombre de pays, le coût du mariage étant supporté par les hommes, les filles sont plus attrayantes économiquement. Dans les cliniques de fertilité comme New York City IVF, des familles aisées paient jusqu’à 20 000 dollars pour choisir le sexe — et dans 80 % des cas, optent pour une fille. Les adoptions n’échappent pas à la nouvelle préférence pour les filles. Aux États-Unis, les familles étaient prêtes à verser jusqu’à 16 000 dollars supplémentaires pour adopter une fille. Une étude de 2009 montrait que les couples hétérosexuels et les lesbiennes préféraient en majorité les filles. En Corée du Sud, les adoptions concernent majoritairement des filles.

Pour certains pères, les filles seraient plus calmes, moins exigeantes physiquement, plus raffinées émotionnellement. Ce basculement s’inscrit aussi dans un contexte plus large : celui d’un malaise masculin grandissant. Si les hommes continuent de dominer en politique et dans les affaires, ils accumulent aussi les échecs sociaux. Dans de nombreux pays riches, les garçons sont surreprésentés parmi les auteurs et les victimes de violences, les suicidés, les élèves en échec scolaire ou exclus du système éducatif.

En France, 58 % des diplômés du supérieur sont des femmes. 96 % des détenus sont des hommes.

À l’école, les filles ont de meilleurs résultats que les garçons. En France, 94,3 % des filles ont obtenu le baccalauréat en 2023, contre 90,3 % des garçons. Dans le classement PISA mesurant le niveau scolaire moyen au sein des États de l’OCDE, le score des filles dépasse celui des garçons en lecture : 487 points (2022) contre 452, soit un écart de 35 points. Il atteint 40 points pour la France. En mathématiques, les garçons demeurent en tête, mais l’écart se réduit (10 points en 2022). En France, 58 % des diplômés du supérieur sont des femmes (2023). Les hommes sont majoritairement impliqués dans les actes de violence, les délits et les infractions pénales.

En France, selon le ministère de l’Intérieur (2023), 84 % des personnes mises en cause pour homicide sont des hommes, 91 % pour des violences sexuelles, 87 % pour des violences volontaires et 82 % pour des vols avec violence. En détention, 96 % des détenus sont des hommes (environ 68 000 personnes sur 70 800 au 1er janvier 2024).

Les hommes adoptent plus fréquemment des comportements déviants ou à risque, notamment en lien avec la consommation de substances psychoactives.

Selon L’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT – 2023), 50 % des hommes ont, au cours de leur vie (consommé du cannabis, contre 39 % des femmes. 7,4 % des hommes ont consommé de la cocaïne, contre 3,8 % des femmes. Sur les routes, 80 % des décès imputables à l’alcool ou à une vitesse excessive concernent des conducteurs masculins.

Aux États-Unis, les hommes représentent 73 % des arrestations totales et plus de 90 % des auteurs de crimes violents (FBI, 2023). En Europe, les hommes forment plus de 93 % de la population carcérale (Council of Europe Annual Penal Statistics, 2023). Dans une logique d’accompagnement et de soutien, les filles sont privilégiées. Elles sont jugées attentionnées et proches de leurs parents, quand les garçons sont considérés comme distants ou rebelles. En Scandinavie, où l’égalité des sexes est poussée à son paroxysme, les couples expriment néanmoins une préférence pour avoir au moins une fille, souvent perçue comme un futur soutien affectif et logistique.

Un homme américain sur cinq vit encore chez ses parents, contre une femme sur dix.

Les garçons s’émancipent de plus en plus tardivement. Le phénomène « Tanguy » est une réalité. Au Japon, les jeunes hommes reclus (les hikikomori) témoignent d’un retrait préoccupant du masculin dans la vie adulte. Un homme américain sur cinq, âgé de 25 à 34 ans, vit encore chez ses parents, contre une femme sur dix. En France, les femmes quittent en moyenne le domicile parental à 22,1 ans, contre 23,8 ans pour les hommes (2023). 32 % des hommes de 25 ans vivent chez leurs parents, contre 18 % des femmes. À 29 ans, ces taux sont respectivement de 12 % et 7 %.

Les difficultés d’insertion des jeunes garçons expliquent en partie cet écart. Les parents ont tendance à accepter plus facilement qu’un garçon reste chez eux, tandis que les filles sont poussées à prendre leur autonomie plus rapidement.

Les garçons font l’objet d’un désamour en lien avec les conséquences du mouvement #MeToo, qui a révélé la prédation masculine dans de nombreux secteurs. Des figures comme Harvey Weinstein, Jeffrey Epstein ou Andrew Tate incarnent une masculinité toxique mondialisée. La série Netflix Adolescence, qui met en scène un adolescent accusé de féminicide, a relancé le débat sur les comportements masculins à risque. En France, la députée Sandrine Rousseau appelle à la déconstruction de l’esprit masculin.

La Norvège a lancé une commission pour l’égalité des hommes

Afin de garantir une égalité entre hommes et femmes, les pouvoirs publics ont longtemps mis en œuvre des politiques de discrimination positive en faveur des secondes. La question se pose aujourd’hui de politiques orientées en faveur des hommes. Le Parlement britannique a engagé des études pour déterminer les causes de l’échec scolaire des garçons. En 2022, la Norvège a lancé une commission pour l’égalité des hommes. Aux États-Unis, des gouverneurs républicains comme Spencer Cox (Utah) ou démocrates comme Wes Moore (Maryland) plaident pour des initiatives ciblées en faveur des garçons. Même si les ratios de naissance demeurent naturels, le phénomène mérite l’attention. L’avortement sélectif de millions de filles dans les pays du Sud a révélé un profond déséquilibre social. De même, la préférence montante pour ces dernières dans les pays du Nord est porteuse de nouveaux déséquilibres.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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