Le voleur et l’assassin

Le voleur et l’assassin

Ils sont les maîtres du monde. Du monde ancien. Nostalgie de la guerre froide, Lavrov est arrivé en Alaska avec un tee-shirt « CCCP ». Entre le voleur et l’assassin, l’assassin a pour lui le prestige du sang. Trump se couche, remercie Vladimir, une journaliste russe tente de se suicider en prison, les drones s’abattent sur des civils ukrainiens. Oublions les sentiments et la morale. Comment la première puissance mondiale, ancien phare de la démocratie, peut-elle offrir un sommet de prestige à une dictature appauvrie, une armée poussive, un allié de la Chine et l’Iran ? Euphorie du pouvoir, celle de diriger le monde comme le faisaient les superpuissances. Ce vieux monde, glaçant, va fondre.

Jamais si peu d’individus n’ont concentré autant de pouvoir sur un si grand nombre d’hommes.

Avec un système d’information ouvert, des sociétés complexes, des interconnexions permanentes, comment le système de pouvoir reste-il à ce point archaïque ? Jamais si peu d’individus n’ont concentré autant de pouvoir sur un si grand nombre d’hommes.

Poutine et Trump représentent la caricature du système d’État. L’un et l’autre ont construit leur carrière sur la prédation. Trump était en cheville avec les mafias américaines et russes, à New York et Atlantic City; il continue à mêler présidence et affairisme. Poutine a bâti son ascension avec la mafia de Saint-Pétersbourg, avec le chantage, la corruption, les assassinats.

Le principe est la capture des flux monétaires. Pour les voyous cela s’appelle le racket. Pour un État, le principe est le même. Une douane, un péage, capte une partie d’un flux. Un État est un système pyramidal. Il existe par la force à l’intérieur, voire à l’extérieur. La rencontre Trump-Poutine établit la complicité de deux systèmes assis sur des certitudes, celles du rapport de force, celles de territoires. Dans la tête des deux dirigeants s’impriment des cartes plus que des populations. Peu importe que la Crimée coûte plus cher qu’elle ne rapporte, que le Donbass soit un champ de ruine, qu’il est plus simple d’acheter des minerais que d’annexer le Groenland, le raisonnement se veut bâti sur le sol, du dur. Parce que l’État est conçu comme une construction :« un territoire, une population, sur lesquels s’exerce le monopole de la force ». La contrainte peut être limitée par le droit ou arbitraire. Poutine et Trump s’admirent parce qu’ils s’affranchissent du droit. Ils se renforcent l’un l’autre. Ils peuvent réussir, un temps.

Le président russe, Vladimir Poutine, et son homologue américain, Donald Trump, le 15 août 2025 en Alaska. ©ANDREW CABALLERO-REYNOLDS / AFP
Le président russe, Vladimir Poutine, et son homologue américain, Donald Trump, le 15 août 2025 en Alaska. ©ANDREW CABALLERO-REYNOLDS / AFP

Le principe est la capture des flux monétaires. Pour les voyous cela s’appelle le racket. Pour un État, le principe est le même.

Poutine a mis l’économie russe aux ordres. Dans un premier temps elle fut distribuée entre affidés, les oligarques. Le Kremlin a éliminé ceux qui ne lui baisaient pas la main. Avec l’invasion de l’Ukraine, les chutes d’oligarques se sont accélérées. Une opposition aurait pu naître d’élites économiques. Mais une dictature se justifie dans la guerre. Désormais, l’économie russe est une économie militaire, avec l’omniprésence de l’armée et de la corruption. L’État russe est redevenu « dirigiste ».

Trump, d’une autre façon, agit de même. La restauration de droits de douane symbolise l’État racketteur. Le contribuable américain paie. Trump rackette aussi les entreprises. Après avoir interdit la vente de puces d’NVIDIA à la Chine, il l’autorise moyennant 15% sur les ventes, une taxe à l’exportation ! Les menaces de Trump contre le Président de la Réserve fédérale ou les chefs d’entreprise traduisent sa volonté de diktat économique.

Illustration ©Nvidia
Illustration ©Nvidia

À se demander si le dirigisme économique, ce protectionnisme, le cynisme de la guerre, le mépris du droit international ne marquent pas la revanche de l’étatisme. Les grands de ce monde, bel ensemble d’assassins et voleurs, sont d’accord pour renforcer leur pouvoir, leurs prébendes, leurs faveurs, sous prétexte de « souverainisme », cache sexe national du « contrôle ». Pourquoi mettre à prix la tête de Maduro 50 millions de dollars quand on a Poutine ou Ben Salmane sous la main ? Le patron mexicain des « Cartels unis » n’en vaut que 10. Les Européens apparaissent comme des niais et des naïfs, à tondre.

Les deux compères se sont mis d’accord pour que « les Européens comprennent », ne se mettent pas en travers de « la paix ».

En Alaska, les deux compères se sont mis d’accord pour que « les Européens comprennent », ne se mettent pas en travers de « la paix ». Russie et États-Unis sont complices pour détruire l’Union Européenne. L’Ukraine en est le moyen. La plupart des Européens l’ont compris. Quelques-uns, les demis habiles, jouent les idiots utiles.

Les systèmes de pouvoir classiques reposent sur la force d’un côté, la captation de richesses de l’autre. Du sommet de la pyramide, les États rayonnent, rançonnent. L’économie, instable par nature, déteste les stocks, n’est qu’échange, mouvement, flux. Une économie dirigiste est forcément aveugle, elle ignore l’imprévu, le changement. Un plan qui ne peut être modifié ne peut pas être un bon plan. L’État forme barrage sur tout mouvement. La force, celle de l’État chinois ou du seigneur de guerre soudanais, permet le racket, légal ou non. On peut toujours négocier avec plus fort ou plus faible que soi si on peut partager un gain. En aucun cas le droit ne doit surgir comme moyen d’arbitrage

Les deux dirigeants près du podium « Alaska 2025 ». ©AFP/Getty/Andrew Harnik/Andrew Caballero-Reynolds
Les deux dirigeants près du podium « Alaska 2025 ». ©AFP/Getty/Andrew Harnik/Andrew Caballero-Reynolds

L’Europe représente une proie riche et faible, qui peut être rançonnée, surtout si elle est divisée. La Russie agite sa menace, l’Amérique sa protection, payante. Elle forme aussi cet Objet Politique Non Identifié, alliance fondée sur le droit, une ineptie, dangereuse par nature. L’Union Européenne n’est qu’un enchevêtrement de traités, Russie et États-Unis s’assoient sur les traités, de l’OSCE au Mémorandum de Varsovie. Ils renieront demain tout accord signé par eux. Trump pousse le cynisme à proposer à l’Ukraine une garantie similaire à celle de l’article 5 de l’Otan. Mais il a douté de la validité de l’article 5 ! Mais les États-Unis ont déjà garanti les frontières de l’Ukraine, comme la Russie !

L’économie, la nouvelle, a besoin de droit. De droit international, supranational, extra-national.

C’est là que le bât blesse. D’une part, les Européens ne sont pas désunis. Ils sont renforcés par le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie, le Japon, la Corée, et bien d’autres qui craignent les états voyous, surtout s’ils sont forts. Ensuite la structure du pouvoir pyramidal se fissure. L’économie, la nouvelle, a besoin de droit. De droit international, supranational, extra-national.

Qu’est-ce qu’un bras de fer avec la Chine si la Chine menace de suspendre elle aussi des ventes de minéraux rares ? Qui peut gagner la guerre hybride, la guerre informationnelle, quand tout le monde voit les menteurs mentir en direct, c’est-à-dire se ridiculiser ? Qu’est-ce qu’un État quand il dépend de sa dette, de ses créanciers, de ses fournisseurs, de ses clients, des connexions internet, des réseaux ? Qu’est-ce qu’un territoire quand la richesse est immatérielle et se déplace à volonté ? Les flux débordent. Le mouvement l’emporte. Ni Trump ni Poutine, ni Xi Jinping ne peuvent maîtriser le monde. Ils peuvent voler, tuer, rendre le monde plus dangereux, ils ne peuvent pas contrarier trop longtemps sa marche. À une condition, évidemment, c’est qu’on n’obéisse pas à leurs oukases.

La paix en Ukraine sera la paix quand la frontière se traversera librement par les Ukrainiens et les Russes, comme entre la France et l’Allemagne.

La paix en Ukraine, comme ailleurs, sera la paix quand la frontière se traversera librement par les Ukrainiens et les Russes, comme entre la France et l’Allemagne. Il ne faudrait pas demander de sécuriser la frontière, il faudrait demander une frontière ouverte, démilitarisée sur cent kilomètres. Alors on verrait les Russes choisir leur régime. Aucun régime policier ne supporte une frontière ouverte. C’est la vraie cause de la guerre : un virus libéral gagnait l’Ukraine, il risquait d’envahir la Russie. Un jour, il le fera. En espérant que la démocratie ne choisisse ni assassin, ni voleur. Dans une démocratie, parfois, ils vont en prison, ou du moins on les change.

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