Accélération ou immobilisme ? D’un côté, la succession d’événements depuis la crise financière de 2008 — crise sanitaire, guerre en Ukraine, conflit au Moyen-Orient, concentration rapide des richesses, réchauffement climatique, retour de Donald Trump, montée en puissance des technologies de l’information et de la communication, avec l’intelligence artificielle pour dernier avatar — donne l’impression d’un monde sens dessus dessous, lancé à toute allure vers sa perte. De l’autre, l’époque serait à l’immobilisme avec une croissance qui s’étiole, des gains de productivité de plus en plus rares, avec un monde qui vieillit et une propension au changement en déclin.
La gesticulation verbale prime sur l’action
Depuis son émergence à la fin du XXe siècle, la téléréalité a peu à peu colonisé tous les pans de notre quotidien : vie privée, politique, économie. L’image, l’émotion, l’interprétation sans fin des paroles ou des comportements l’emportent désormais sur les actes, relégués au second plan. La gesticulation verbale prime sur l’action.
L’important n’est plus de rouvrir Cayenne ou Alcatraz, mais de le proclamer haut et fort. La désinformation est omniprésente, notamment en économie. Les mensonges deviennent des vérités ; les sites dits « complotistes » supplantent les sources officielles, feignant d’avoir raison au seul motif qu’ils seraient, par nature, rebelles. Jouer sur l’émotion, le populisme ou le nationalisme n’est en rien nouveau. De la Rome antique à Donald Trump, en passant par les régimes fascistes des années 1930, nombreux sont ceux qui ont su manipuler les foules avec des idées « faciles ». Aussi étrange que cela puisse paraître, les peuples les plus éduqués ne sont pas moins enclins que les autres à céder à leurs pulsions. Dans un monde de plus en plus mouvant, la tentation de l’isolationnisme reste constante. Face aux invasions barbares, la Rome antique a tenté de se protéger derrière ses murailles. Dans l’entre-deux-guerres comme aujourd’hui, les États multiplient les droits de douane. Mais ces réflexes sont vains et contreproductifs. Ils ne sont que cautères sur des jambes de bois, attisant les haines et les convoitises.
Une classe moyenne mondiale passée de 1 à plus de 3,5 milliards de personnes
Le protectionnisme pénalise avant tout les pays émergents et en développement, au risque que leurs populations, en forte croissance, ne soient contraintes d’émigrer encore davantage.
La disparition des famines et l’essor d’une classe moyenne mondiale — passée de 1 à plus de 3,5 milliards de personnes entre 1990 et 2025 — sont les fruits directs du développement des échanges commerciaux. Freiner l’économie par égoïsme, en s’enfermant derrière des murs réels ou virtuels, revient à choisir le chaos, la violence et les inégalités. L’objectif des pays dits avancés devrait être d’aider les autres à les rattraper afin de favoriser des échanges plus équilibrés et, par ricochet, d’accélérer la transition écologique. Mais aujourd’hui, le rapport de force règne en maître au détriment du multilatéralisme. Chacun cherche à conquérir ou à préserver ses rentes, au prix d’une croissance bridée.
Des formes nouvelles de chantage stratégique
La prise de risque n’est plus de mise : elle ne garantit pas un revenu fixe. Le temps est revenu à la prédation. La course aux terres rares, les tensions autour de l’Ukraine ou de la Chine, donnent lieu à des formes nouvelles de chantage stratégique. L’économie, pourtant, n’est que mouvement.
Après plus de vingt siècles de stagnation — entre -300 et 1600 après J.-C. — l’humanité n’est entrée dans une phase d’amélioration réelle de ses conditions de vie qu’avec l’augmentation continue des gains de productivité, permettant de produire plus avec moins. Ces gains se sont traduits par une plus grande fluidité des échanges et par leur valorisation accrue. Le progrès — et son acceptation — a mis fin à la trappe malthusienne qui faisait de l’être humain une simple variable d’ajustement.
Aujourd’hui, pourtant, nous risquons de renouer avec une stagnation séculaire. L’accélération est partout mais rime avec précipitation et déstabilisation sur fond de surinformation ou plutôt de désinformation. L’économie ne reprendra ses droits qu’en retrouvant le chemin d’une croissance régulée, partagée, et fondée sur la confiance commune dans l’avenir.
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