La France manquerait-elle d’ardeur au travail ? Certaines données peuvent le laisser penser. La durée annuelle de travail par salarié et le taux d’emploi y sont inférieurs à la moyenne constatée au sein de l’Union européenne.
Pendant des années, le pays s’enorgueillissait de la forte productivité des actifs. Or, depuis 2019, celle-ci est orientée à la baisse, ne permettant plus de compenser la diminution du nombre d’heures de travail.
Si les Français entretiennent des rapports plutôt positifs avec leur entreprise, ils sont néanmoins plus nombreux que dans les autres pays européens à estimer la trop forte intensité du travail et sa perte de sens. La crise sanitaire aurait contribué à altérer un peu plus le rapport au travail des Français. Les arrêts maladie seraient en hausse ; les emplois pénibles, à horaire décalé et à faible rémunération trouvent de moins en moins preneurs. Plusieurs secteurs économiques comme la restauration, l’hébergement, la rénovation de bâtiments souffrent de pénuries de main-d’œuvre. Celles-ci permettent aux salariés à la recherche d’un emploi d’être désormais plus exigeants.
Il n’y a pas de réel divorce entre les Français et le travail
L’idée d’un rejet du travail semble, en France, de plus en plus admise. Or, celle-ci est une antienne qui se transmet de génération en génération, les plus anciennes accusant toujours les nouvelles de la brader. Pour une large majorité de Français, le travail reste indispensable comme outil tant de socialisation que de rémunération. Il n’y a pas de réel divorce entre les Français et le travail. À ce titre, le service statistique du Ministère de la Santé a récemment souligné que près de 30 % des nouveaux retraités en 2021 regrettaient leur vie professionnelle.
Même si la France ne fait pas la course en tête sur le plan européen, son taux d’emploi remonte depuis plusieurs années et atteint même des niveaux records. Après 2020, le pays n’a pas connu une grande démission à l’Américaine mais plutôt une grande rotation, les salariés choisissant des emplois qui correspondent mieux à leurs besoins et leurs attentes.
Si la France avait le volume de travail des pays d’Europe du Nord, son PIB serait plus élevé de 10 %
Il n’en demeure pas moins que si la France avait un volume de travail comparable à celui des pays d’Europe du Nord ou de l’Allemagne, son PIB serait plus élevé d’au moins 10 points et ses finances publiques seraient à l’équilibre, toute chose étant égale par ailleurs.
Comment expliquer que la France a fait le choix d’un système de travail réduit et intensif ? La réduction du temps de travail en France, à la différence, par exemple, de l’Allemagne, n’est pas le fruit de négociations sociales ou d’une prise en compte de l’évolution des gains de productivité par les acteurs économiques; elle est le produit de promesses électorales. Le Front Populaire, en 1936, a mis en œuvre la semaine de 40 heures, François Mitterrand, en 1983, la semaine de 39 heures et Lionel Jospin celle des 35 heures en 1998. Ces réductions réalisées sans perte de salaire visaient à lutter contre le chômage. Si elles ont échoué, en partie, sur ce terrain, elles ont, en revanche, contribué à l’essor de la société des loisirs qui fait de la France la première destination touristique mondiale.
Déconnectées de l’évolution de la productivité, les différentes réductions du temps de travail ont certainement pénalisé la compétitivité des entreprises et en premier lieu des PME. Instituées rapidement, elles ont désorganisé certaines activités, notamment le secteur de la santé. Elles sont néanmoins considérées comme de véritables conquêtes sociales qu’aucun gouvernement n’a souhaité profondément remettre en cause après leur adoption.
Pour compenser cette faible durée et le coût élevé de l’emploi, les entreprises ont opté pour une taylorisation poussée, facilitée par l’essor de l’informatique. Cette rationalisation a contribué à exclure du marché de l’emploi un certain nombre de salariés n’ayant pas les capacités physiques ou intellectuelles suffisantes.
La question des compétences, un gâchis social
Il convient d’être plus circonspects sur le problème souvent avancé du coût du travail qui n’est guère différent de celui constaté en Allemagne ou dans les pays d’Europe du Nord qui ont réussi à conserver des industries puissantes sur leur territoire. Au-delà du volume de travail, la question des compétences semble tout aussi importante. La dernière enquête PISA réalisée par l’OCDE sur le niveau des élèves confirme le mauvais classement de la France, en particulier, pour les mathématiques. Or, sans ingénieurs, sans techniciens, il ne peut y avoir d’industrie. Une des faiblesses de la France provient du nombre élevé de jeunes qui ne sont ni en emploi, ni en formation. Cette situation représente un véritable gâchis social et économique.
Le travail reste une valeur cardinale de la société française. Les jeunes générations qui n’ont connu que l’univers digital et les 35 heures ont évidemment un rapport au travail différent de celui de leurs aînés. Par formation, par culture, leurs représentants sont plus sensibles aux questions d’égalité, d’environnement. Elles ont une approche différente de la mobilité et de la liberté. Internet a supprimé de nombreuses barrières. Il apparaît plus facile de changer de secteur d’activité, de statuts professionnels voire de pays que dans le passé. Pour certains actifs, le travail peut se faire à distance, sans bureau. Tout l’enjeu est de maintenir l’esprit d’entreprise gage de créativité qui demeure même et surtout au temps de l’intelligence artificielle, l’apanage des travailleurs.
Auteur/Autrice
-
Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.
Voir toutes les publications