Le temps des lois de finances

Le temps des lois de finances

En France, la session d’automne du Parlement est, en grande partie, consacrée à l’examen des projets de loi de finances, initiale, rectificative, de financement de la Sécurité sociale. 

Au préalable, le Parlement est censé adopter le projet de loi de programmation des finances publiques. Cette adoption qui aurait dû intervenir au printemps dernier conditionne le versement des concours européens. A travers ce texte, la France a pris l’engagement de ramener le déficit public de 4,8 % du PIB en 2022 à 2,7 % en 2027, sous l’objectif européen des 3 %. Dans un contexte d’augmentation du service de la dette en raison de la hausse des taux d’intérêt, le gouvernement doit ainsi réduire de 2 points de PIB le déficit public en quatre ans. 

Selon le Président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, le respect des règles européennes en matière de déficit est tardif et sujet au doute compte tenu des hypothèses économiques retenues, jugées optimistes. Au niveau de la dette publique, la France sera loin en 2027 de respecter l’objectif européen. Elle se situera 40 points au-dessus de ce dernier (60 % du PIB). 

Des hypothèses économiques dans la moyenne haute 

Pour établir ses projets de loi de finances, le gouvernement a été, comme il est de coutume, plutôt optimiste. Il a retenu un taux de croissance de 1 % en 2023 et de 1,4 % en 2024. Il compte sur une légère reprise de la consommation et sur la poursuite de l’augmentation des exportations. Il s’attend à une inflation de 4,9 % en 2023 et de 2,6 % en 2024. Cette décrue suppose une véritable accalmie des prix sur le front de l’énergie et des services ainsi qu’une relative modération des salaires. 

Le gouvernement a retenu les prévisions hautes des différents instituts de conjoncture. Un tel choix qui facilite la réduction du déficit en majorant légèrement les recettes est pratiqué par tous les gouvernements quelle que soit leur coloration politique. 

Des économies budgétaires 

Les demandes d’augmentation des dépenses publiques sont toujours nombreuses. La défense, la sécurité intérieure, la défense, la justice, l’éducation, la revalorisation du traitement des fonctionnaires sont des sources d’accroissement de ces dépenses. La transition énergétique est également une source d’inflation budgétaire. Dans ce contexte, la réalisation d’économies est une gageure. 

En 2022, les dépenses de l’État devraient s’élever à près de 500 milliards d’euros (491 milliards d’euros). 16 milliards d’euros d’économies seraient réalisées dont 14 milliards d’euros grâce à l’arrêt des mesures de soutien mises en place lors de la crise sanitaire ou après le déclenchement de la guerre en Ukraine. Le nombre de fonctionnaires devrait augmenter de 8 273 en 2024, après +10 790 en 2023. Le ministère de l’Intérieur bénéficiera en particulier de près de 2 700 créations de postes et la Justice de 1 961. 2,8 milliards d’euros sont prévus pour améliorer la rémunération des enseignants. Le déploiement du service national universel se poursuit et 500 millions d’euros seront mobilisés pour rémunérer les lycéens professionnels durant leurs stages. 

L’exécutif a porté les aides à l’embauche d’alternants à 3,9 milliards d’euros et a accru de 300 millions d’euros la dotation à « France travail » qui succède à « Pôle emploi ». 

Le projet de loi de finances prévoit 7 milliards d’euros de plus pour la « planification écologique », portant le total à 40 milliards d’euros. Les crédits prévus pour rénover les logements augmentent de 1,6 milliard d’euros afin d’atteindre l’objectif de rénovation de 200 000 logements dès 2024. Le «plan d’avenir des transports» se voit également attribuer 1,6 milliard d’euros. Les énergies renouvelables dont l’hydrogène vert reçoivent également un soutien budgétaire. La mise en place de la loi de programmation militaire se traduit par une augmentation du budget de la défense. Le montant des crédits dévolus à cette mission devrait augmenter de 3,3 milliards d’euros en 2024 pour atteindre 47,2 milliards d’euros. Le budget de la défense devrait s’élever à plus de 60 milliards d’euros en 2030. 

Les crédits de la mission éducation scolaire devraient passer de 60,26 à 64,19 milliards d’euros de 2023 à 2024 en lien avec l’amélioration de la rémunération des enseignants. Le nombre d’emplois de l’État concerné par cette mission dépasse 1,07 million. 

Durcissement des mesures de lutte contre la fraude 

Le gouvernement met également l’accent sur la lutte contre les fraudes sociales et fiscales. L’administration fiscale continuera, à titre expérimental, à analyser les contenus sur Internet et sur les réseaux sociaux afin de détecter la « fraude fiscale ». Certains agents pourront « procéder à des enquêtes actives sous pseudonymes ». Les prix de transfert seront surveillés afin de limiter les pertes fiscales au niveau des grandes entreprises internationales. Un délit spécifique d’incitation à la fraude fiscale sera institué. 

Revalorisation des pensions et de certaines prestations sociales

Le gouvernement a décidé de revaloriser de 5,2 % les pensions de base et de nombreuses prestations comme l’allocation adultes handicapés, les aides au retour à l’emploi ou le RSA. Il a également intégré dans le budget la hausse du point de l’indice à hauteur de 3,7 milliards d’euros. Le bouclier tarifaire sur l’électricité resterait en place jusqu’en 2025. 

Loi de financeLe projet de loi de finances est en cours d’étude par le Gouvernement.

Fiscalité, une orientation transition énergétique plus poussée 

Les recettes fiscales nettes s’élèveraient à 332,1 milliards d’euros en 2023, en hausse de 3,9 milliards d’euros par rapport à la prévision de la loi de finances initiale de 2023. Pour 2024, elles augmenteraient de 14 milliards d’euros, ainsi portées à 349,4 milliards d’euros. L’impôt sur les sociétés devrait rapporter 10,9 milliards d’euros de plus, la TVA 4,1 milliards d’euros et l’impôt sur le revenu 3,5 milliards d’euros. Le barème de l’impôt sur le revenu est indexé comme les années précédentes à l’inflation ce qui aboutit à un manque à gagner de 6,1 milliards d’euros pour l’État. 

Un crédit d’impôt « investissement industries vertes (C3IV) » sera créé en 2024 afin de soutenir les secteurs contribuant aux objectifs de neutralité carbone (photovoltaïque, éolien, batteries, pompe à chaleur, etc.). Ce crédit d’impôt pourrait représenter 30 à 40 % des investissements réalisés. 

Les dépenses fiscales « brunes » – défavorables à l’environnement – sont progressivement remises en cause. Le gouvernement a ainsi décidé d’augmenter la taxe sur le gazole utilisé par les agriculteurs. Une taxe sur les plateformes aéroportuaires et les « grandes concessions autoroutières » devrait être instituée. Elle devrait rapporter 600 millions d’euros par an. Le bonus/malus est revu afin d’améliorer son rendement. Les sommes ainsi collectées seront affectées au financement des transports propres. 

Si le dispositif d’aide à l’investissement locatif est abandonné (Pinel), le prêt à taux zéro est prolongé mais « recentré » afin notamment de prendre en compte des critères environnementaux. Le projet de loi de finances prévoit la suppression partielle de la cotisation minimum à la CVAE. Cette contribution sera totalement supprimée d’ici la fin du quinquennat. Les contraintes budgétaires ont conduit le Ministère de l’Économie à étaler la baisse de 4 milliards de la CVAE des entreprises sur quatre ans. La baisse d’impôt de 2 milliards d’euros promise pour les classes moyennes est reportée à 2025. 

Un déficit public en recul de 0,5 point de PIB 

Le déficit de l’État devrait s’élever à 172,1 milliards d’euros en 2023, au-dessus de son montant adopté en loi de finances initial (165 milliards d’euros). En 2024, il reviendrait à 144,5 milliards en 2024, grâce à des recettes fiscales en hausse, notamment celles de l’impôt sur les sociétés qui s’élèveraient à 72,2 milliards (+11 milliards), un record. 

Le déficit public global (État, collectivités territoriales et régimes sociaux) devrait passer de 4,9 % en 2023 à 4,4 % en 2024. De son côté, la dette devrait stagner autour de 109,7 % du PIB. En 2025, la dette devrait s’élever à 108,5 % du PIB et rester supérieure à la moyenne de la zone euro de plus de vingt points. Les émissions d’obligations et titres pour financer la dette publique atteindront le niveau record de 285 milliards d’euros en 2024, après 270 milliards cette année. La charge de la dette s’établirait à 48 milliards d’euros l’an prochain (+10 milliards). Le service de la dette pourrait dépasser prochainement le budget de l’éducation nationale et devenir le premier poste budgétaire de l’État. 

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 : une augmentation du déficit 

Le déficit des régimes sociaux devrait s’aggraver en 2024 en atteignant 11,2 milliards d’euros, contre 8,8 milliards d’euros en 2023. En 2027, le solde pourrait être négatif de 17,5 milliards d’euros. L’accroissement du déficit serait en grande partie imputable à l’assurance maladie et à l’assurance vieillesse. Le solde la branche maladie est passé de -20,5 à -9,5 milliards d’euros de 2020 à 2023. En 2024, il devrait s’élever à -9,3 milliards d’euros. 

L’assurance vieillesse aurait un déficit de 5,9 milliards d’euros en 2024, contre une perte de 4,9 milliards d’euros en 2020 et de 1,9 milliards d’euros en 2023. Les autres branches, famille, accident du travail et autonomie ont des soldes proches de l’équilibre. Le Fonds de Solidarité Vieillesse devrait dégager un excédent de 800 millions d’euros en 2023 comme en 2024. 

La dette sociale restant à amortir par la CADES s’élève à 137,9 milliards d’euros. L’objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM) devrait, en 2024, augmenter de 3,2 % (hors dépenses en lien avec la crise sanitaire), soit l’équivalent de 8 milliards d’euros. Par rapport à 2019, l’augmentation s’élève à 54 milliards d’euros. 

Le gouvernement compte sur la réalisation de 3,5 milliards d’euros d’économies dans le domaine des soins (300 millions d’euros pour les soins de ville dont 200 millions d’euros sur la biologie, 100 millions d’euros sur les produits de contraste). Les transferts de dépenses permettront de réaliser 1,3 milliard d’euros d’économie (dont modification du ticket modérateur pour les soins dentaires). 1,3 milliard d’euros est attendu grâce à des baisses de prix sur plusieurs médicaments. Le gouvernement prévoit d’accroître les modalités de contrôle sur les prescripteurs d’arrêt maladie et sur les assurés bénéficiaires. Les indemnités d’arrêt maladie sont passées de 10 à 16 milliards d’euros de 2010 à 2022, avec une forte augmentation ces trois dernières années. 

Pour réduire le coût des prises en charge des transports, le gouvernement souhaite inciter les patients à recourir aux transports partagés. Le Gouvernement n’a pas tranché sur la question du doublement de la franchise de 50 centimes par boîte de médicaments. « Ce n’est pas une mesure législative », a expliqué le Ministre des Comptes publics, Thomas Cazenave, procédant à des transferts sur les complémentaires santé. 

Le gouvernement sera assurément contraint de recourir au 49-3 pour obtenir l’adoption de ses différents projets de loi de finances. Il acceptera sans nul doute plusieurs amendements afin d’éviter d’avoir une cristallisation des oppositions sur une motion de censure. Ces concessions ont de forts risques d’accroître légèrement les déficits. Il est ainsi peu probable que l’alourdissement de la taxe sur le gazole agricole surmonte le passage au Parlement du projet de loi de finances.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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