Les États-Unis sont souvent associés aux technologies de l’information et de la communication ou à l’industrie de la défense. Or, le secteur économique le plus important est celui de la santé, au sens large du terme, qui représente près d’un cinquième du PIB du pays, soit deux fois plus que la moyenne des pays de l’O`CDE. Cette hypertrophie ne se traduit pas en termes de résultats.
L’espérance de vie des Américains recule depuis plusieurs années. Ceux ayant moins de 70 ans ont presque deux fois plus de risques de mourir de maladies cardiovasculaires que leurs homologues européens. Les taux de mortalité dus à d’autres maladies comme le diabète et les maladies rénales sont également beaucoup plus élevés. De plus en plus d’Américains estiment que le système de santé est de mauvaise qualité. Ils pointent du doigt les fabricants de médicaments, les assureurs ou les intermédiaires. Cette hostilité croissante de la population s’est traduite par l’assassinat du directeur général d’United Healthcare, le plus grand assureur santé américain. L’accusé, Luigi Mangione, dont le procès s’est ouvert en février, a reçu 740 000 dollars de dons de la part de citoyens américains.
Depuis 2000, les prix hospitaliers ont augmenté outre-Atlantique de plus de 250 %.
Comme en Europe, les hôpitaux américains sont confrontés à des problèmes budgétaires chroniques. En 2023, leur budget a dépassé 1 500 milliards de dollars, soit l’équivalent de la moitié du PIB de la France. Ils absorbent un tiers des dépenses de santé américaines, soit trois fois plus que celles liées aux médicaments. Depuis 2000, les prix hospitaliers ont augmenté outre-Atlantique de plus de 250 %. Ils progressent deux fois plus vite que le coût global des soins médicaux et trois fois plus vite que l’inflation.
Le mode de fonctionnement du système de santé américain est de nature inflationniste. Le financement des hôpitaux repose principalement sur la tarification à l’acte, avec une prise en charge par les assureurs pour chaque examen ou traitement, quelle que soit leur nécessité. Les hôpitaux sont ainsi incités à multiplier les actes.
Le gouvernement américain cherche depuis des années à modifier ce système. Les pouvoirs publics souhaitent développer une rémunération des établissements en fonction de l’atteinte d’objectifs prédéterminés, en mettant l’accent sur la prévention. En 2023, 70 % des paiements aux prestataires relevaient encore de l’approche traditionnelle.
Le prix affiché d’une coloscopie varie de 435 à plus de 7 000 dollars
L’opacité de la tarification hospitalière contribue également à la dérive des coûts. Le prix des interventions varie considérablement d’un hôpital à l’autre. Une étude réalisée en 2023 par le groupe de réflexion spécialisé dans les politiques de santé, KFF, souligne que le prix affiché d’une coloscopie dans la région d’Atlanta variait de 435 à plus de 7 000 dollars.
La complexité de la facturation médicale et des règles de remboursement rendent difficile une comparaison efficace des services.
La concentration du système de santé a aggravé la situation. Plus de 1 600 fusions d’hôpitaux ont eu lieu entre 2000 et 2020. La part du total des lits d’hôpitaux contrôlés par des chaînes est passée de 58 % à 81 % au cours de cette période. Un ou deux prestataires hospitaliers dominent désormais le marché dans de nombreuses villes américaines. HCA Healthcare, la plus grande chaîne du pays, exploite plus de 180 hôpitaux aux États-Unis, pour une capacité totale de près de 50 000 lits.
La France connaît une évolution comparable avec la concentration des cliniques, désormais détenues par quelques grands groupes (Ramsay Générale Santé, Elsan, Vivalto Santé, Almaviva). Cette concentration favorise l’augmentation des prix alors que des rendements d’échelle étaient logiquement attendus. Le rendement du capital investi par HCA, par exemple, est passé de 10 % en 2004 à 15 % en 2024.
Les fusions d’hôpitaux ont tendance à augmenter les prix.
Des études montrent que les fusions d’hôpitaux ont tendance à augmenter les prix pour les patients bénéficiant d’une assurance privée, sans pour autant offrir de meilleurs soins. Les grandes chaînes hospitalières utilisent souvent leur pouvoir de marché pour obtenir des prix plus élevés auprès des assureurs.
Cette concentration s’étend à d’autres champs d’activités de la médecine. Entre 2012 et 2022, la part des médecins affiliés aux hôpitaux est passée de 29 % à 41 %. En théorie, regrouper différents aspects du traitement d’un patient au sein d’un seul système permet d’améliorer les soins fournis. En pratique, cependant, les prix augmentent fréquemment après l’acquisition de cabinets médicaux par des hôpitaux privés, tandis que la qualité stagne.
De plus, Medicare et les assureurs privés ont tendance à payer davantage pour les services fournis en milieu hospitalier plutôt que dans des cabinets médicaux indépendants, ce qui incite les prestataires de soins intégrés à prescrire des soins hospitaliers plus coûteux.
La prise de contrôle croissante des hôpitaux par des sociétés de capital-investissement (PE) s’accompagne d’une dégradation de la qualité des soins. Selon une étude publiée en 2023, Sneha Kannan, de la Harvard Medical School, et ses coauteurs ont démontré que les patients courent un risque accru de chutes, de nouvelles infections et d’autres problèmes lors de leur séjour à l’hôpital après le rachat de l’établissement par des fonds financiers.
Les chaînes d’hôpitaux privés ne sont pas à l’abri de problèmes financiers majeurs. En mai dernier, la chaîne américaine Steward Health Care a déposé son bilan et mis en vente ses 31 hôpitaux. En janvier, Prospect Medical Holdings, une autre chaîne comptant 16 hôpitaux, a fait de même. Dans les deux cas, les commissions compétentes du Congrès ont indiqué que les directions de ces chaînes avaient pris des décisions financières ayant compromis les soins aux patients.
Aux États-Unis, la propriété à but non lucratif n’est pas synonyme de maîtrise des coûts.
Aux États-Unis, les sociétés de capital-investissement détiennent moins d’un dixième des quelque 6 000 hôpitaux du pays. Près de la moitié appartiennent à des organismes à but non lucratif. En France, les quatre premiers groupes de cliniques gèrent plus de 40 % du parc total. Aux États-Unis, des congrégations religieuses continuent de diriger de nombreux établissements. CommonSpirit Health compte 142 hôpitaux, ce qui en fait la troisième plus grande chaîne du pays après HCA et la Veterans Health Administration, gérée par le gouvernement fédéral.
Aux États-Unis, la propriété à but non lucratif n’est pas synonyme de maîtrise des coûts. Leur gestion est proche de celle de leurs homologues à but lucratif. Le système hospitalier universitaire en est la meilleure preuve. Pour les universités, les frais d’hospitalisation représentent souvent une part importante de leurs revenus. À l’Université Stanford, 63 % des revenus d’exploitation pour l’exercice 2024 provenaient des services de santé fournis au public. À l’Université de Chicago, les services aux patients ont contribué à hauteur de 56 %. L’UPMC, affiliée à l’Université de Pittsburgh, possède un assureur à but lucratif, un fonds de capital-risque et cinq hôpitaux à but lucratif à l’étranger. Aussi étrange que cela puisse paraître, les hôpitaux à but non lucratif dépensent moins en soins caritatifs pour les patients nécessiteux que les hôpitaux à but lucratif.
Les hôpitaux à but non lucratif les mieux dotés participent à moins d’actions caritatives, en volume, que les hôpitaux les plus pauvres des États-Unis. Pour 100 dollars de dépenses engagées, les hôpitaux à but non lucratif ont dépensé en moyenne 2,30 dollars en soins caritatifs, contre 3,80 dollars pour les hôpitaux à but lucratif. Le secteur non lucratif est pourtant fiscalement favorisé et bénéficie de la possibilité d’émettre des obligations à des taux préférentiels.
Améliorer la transparence des tarifs
Des signes indiquent que l’administration de Donald Trump a l’intention de prendre quelques mesures pour réformer le système hospitalier américain en difficulté. Le mois dernier, le président a publié un décret ordonnant aux agences fédérales de « mettre en œuvre et d’appliquer rapidement » les règles introduites sous sa première administration, qui obligeraient les hôpitaux à améliorer la transparence de leurs tarifs. Les analystes du secteur s’attendent également à ce que les législateurs républicains prônent la « neutralité géographique ». Ce qui obligerait Medicare à payer le même tarif pour les services, qu’ils soient dispensés à l’hôpital ou dans un cabinet médical. Des gains de productivité pourraient être obtenus, selon les services d’Elon Musk, en recourant à l’intelligence artificielle.
À l’heure où les États-Unis consacrent près d’un cinquième de leur PIB à la santé, la crise de leur système hospitalier soulève une question centrale : comment un tel niveau de dépense peut-il coexister avec des résultats sanitaires si médiocres et une telle défiance de la population ? La combinaison d’une tarification inflationniste, d’une concentration excessive, d’une financiarisation croissante et d’une fragmentation des soins a conduit à un modèle coûteux, opaque et inégalitaire.
Vus des États-Unis, le systèmes de santé canadien ou français apparaissent plus vertueux même s’ils tendent également à s’américaniser. Ces deux derniers systèmes ont réussi à garantir une couverture universelle et des performances sanitaires globalement supérieures à celles des États-Unis.
En effet, le modèle canadien, à financement public se caractérise par sa gestion décentralisée, quand le système français associant hôpitaux publics et cliniques privées se démarque par son caractère hautement régulé. Ces modèles ne sont pas exempts de défauts, mais incarnent une volonté politique de maîtrise des coûts et d’équité dans l’accès aux soins. Ils peuvent aboutir, comme en France, à certaines pénuries en raison de prix trop faibles ou à des déserts médicaux. Faute de médecins en nombre suffisant ou souhaitant s’installer dans des zones à faible pouvoir d’achat.
La digitalisation, l’intelligence artificielle, la télémédecine, la prévention et la rémunération à la qualité plutôt qu’à l’acte offrent des leviers de transformation puissants aux États-Unis comme ailleurs. Mais aucune innovation technologique ne remplacera une réforme structurelle alignant les incitations économiques sur les besoins réels de santé publique.
Si les États-Unis ne parviennent pas à réconcilier efficacité, soutenabilité et justice, ils risquent de voir se creuser encore davantage la fracture entre une médecine d’élite, performante mais inaccessible, et un accès dégradé aux soins pour des millions de personnes.
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