Le secteur financier face à la digitalisation sur fond de covid

Le secteur financier face à la digitalisation sur fond de covid

La crise sanitaire amplifie le processus de digitalisation de la sphère financière. Depuis le début du siècle, les relations entre les clients et les acteurs financiers ont profondément évolué avec le recours croissant aux outils numériques. Le cadre de ces relations, en revanche, était jusqu’alors assez stable. Pour une grande majorité, la souscription de produits d’assurances ou bancaires passe par une agence ou un conseiller. Ce mode de relation est en train d’exploser. Les pays avancés s’alignent progressivement sur le modèle qui a cours dans les pays qui sont faiblement bancarisés.

Assurances et banques se digitalisent à grande vitesse 

En Afrique, les opérateurs téléphoniques comme Orange proposent des services bancaires et financiers. Au Brésil, Nubank, une banque en ligne, s’est associé à WhatsApp, qui compte 120 millions d’utilisateurs au Brésil, pour proposer des paiements via le service de messagerie. D’ici quelques semaines, le Brésil mettra en œuvre l’Open Banking, une réforme autorisant les fintechs d’accéder aux données détenues par les banques, les gestionnaires de fonds et les assureurs.

Dans les pays émergents, les réglementations sont moins strictes que dans les pays avancés, ce qui permet une intrusion des entreprises du digital beaucoup plus rapide au sein du secteur financier. Le gouvernement brésilien, qui a accordé une aide à 60 millions de personnes, utilise de plus en plus la voie mobile pour atteindre les citoyens amazoniens. 

La crise sanitaire en tant que catalyseur 

La crise sanitaire conduit à une accélération de la dématérialisation des relations monétaires. Selon The Economist, avec la crise sanitaire, la part des transactions sans numéraire dans le monde a atteint les niveaux qu’ils espéraient atteindre dans deux à cinq ans.

+ 200% d’inscriptions en ligne 

En Amérique, le trafic des services bancaires mobiles a augmenté de 85% et les inscriptions bancaires en ligne de 200% au mois d’avril. Si depuis la mise en place des confinements, les ménages stockent davantage qu’auparavant de monnaie fiduciaire, ils paient de plus en plus avec des outils numériques (cartes sans contact, paiement avec le smartphone, etc.). 

Aux États-Unis, le paiement sans contact aurait triplé depuis le mois de mars. Les transactions des réseaux Visa et Mastercard, qui représentent 94% des transactions traitées hors de Chine, ont progressé de plus de 40 % au premier trimestre 2020, par rapport à la même période en 2019. En avril, près d’un cinquième des adultes américains ont utilisé les paiements numériques pour la première fois. 

Aux États-Unis, de nombreuses enseignes ont supprimé leurs caisses enregistreuses pour passer aux prélèvements automatiques. Les consommateurs utilisent les services peer-to-peer (p2p) pour envoyer de l’argent à des proches ou acheter des cours de fitness en ligne. Au deuxième trimestre, dans ce pays, ce type de paiement aurait augmenté de 50%.

L’Asie et l’Afrique en avance

Du fait d’une grande présence des fintechs, les pays d’Asie et d’Afrique apparaissent en avance par rapport aux pays occidentaux, la crise actuelle ayant accéléré le déploiement de solution déjà en expérimentation. 

Ainsi, un tiers des 18 000 vendeurs ambulants de Singapour se font payer en recourant à des codes QR que les consommateurs scannent. Cette proportion a augmenté de 50 % en mai et juillet. 

En Afrique, les paiements entre particuliers et les entreprises se dématérialisent à grande vitesse. Au Kenya, 20 % des transferts monétaires passent par des portefeuilles virtuels. Le groupe bancaire espagnol Santander indique que l’utilisation de ses canaux numériques a augmenté de 20 % en Europe, 30 % en Amérique du Sud et 50 % au Mexique au premier semestre 2020, par rapport au premier semestre 2019.

Banques, com et digital 

Face au recours du digital, les banques multiplient les fermetures d’agences. Ainsi, au Brésil, plus de 1500 seront fermées cette année. En Europe, plus de 2500 devraient être supprimées dans les prochains mois. La France est un des pays les plus timides en la matière. Les banques réorganisent complètement leurs activités en tendant de monter en gamme.

La BNP PARIBAS étudie la possibilité de facturer le conseil à ses clients qui souhaiteront avoir un accès privilégié. Cette pratique avait déjà cours dans le cadre des départements de banque privée. Les banques et les assureurs seront tentés de transformer leurs sites en plateforme de service, en page d’accueil afin de capter du flux. 

Dans le même temps, les plateformes digitales souhaitent disposer de départements bancaires pour obtenir des données et des commissions. 

En septembre, Yandex, la principale application de recherche sur le Web et de téléassistance en Russie, a annoncé qu’elle achèterait la plus grande banque numérique du pays. Une semaine plus tard, Sberbank, toujours en Russie, a supprimé «banque » de son nom afin de se renommer en une entreprise de technologie qui se spécialise dans la livraison de nourriture et la télémédecine. 

Safaricom, une société de télécommunications kenyane et principal propriétaire de m-pesa un système de paiement en ligne, entend se développer dans les services financiers en proposant des prêts, de la gestion de fortune et de l’assurance. Ces entreprises visent à contrôler et orienter les achats de leurs clients avec l’utilisation d’algorithmes. 

Avec la pandémie, les ménages passent de plus en plus de temps devant les écrans et rechignent à sortir et à se rendre dans des agences bancaires qui de toute façon n’avaient plus la côte. 

Les GAFAM à la traine de l’innovation financière 

Pour le moment les GAFAM apparaissent en retrait. Apple avance prudemment avec « appelpay ». Récemment, elle a décidé le lancement d’une carte de crédit avec Goldman Sachs. Les efforts de paiement de Facebook ont peu progressé du fait de l’hostilité générale vis-à-vis du Libra. Le nombre de sites de commerce électronique américains qui utilisent le bouton de paiement d’Amazon n’augmente que lentement. Google s’est associé à des banques pour proposer des comptes courants et d’épargne. 

Google n’est présent de manière forte sur le plan financier qu’en Inde, où son application de paiement est dominante ; celle-ci distribue des prêts instantanés aux acheteurs. 

Les fintechs ont besoin des banques et des assureurs 

A la différence de la musique, des photos, les startups du secteur financier ne peuvent pas se passer pour le moment des banques et des assureurs traditionnels. En raison de la réglementation et de la complexité des systèmes de gestion financière, elles ne peuvent pas opérer seules. 

Les banques traditionnelles auraient un rendement des capitaux propres (roe) de 5 à 6% quand les fintechs sont à 20 % mais celui-ci dépend des premières à 90%. Les banques et les assureurs contrôlent le marché des fintechs en les rachetant. Ils tentent de maîtriser l’évolution et de conserver les backoffice. 

Les banques européennes apparaissent en retard par rapport au reste du monde car elles ont dû consacrer une part non négligeable de leurs bénéfices à l’augmentation de leurs fonds propres et à financer des stocks de créances douteuses. En outre, elles ont pu se reposer sur une réglementation protectionniste. Ce retard pourrait être préjudiciable dans les prochains mois compte tenu du coût supposé de la pandémie.

Barrières protectionnistes 

L’Europe a mis en place plusieurs pare-feu pour éviter une déstabilisation de la sphère financière. Les directives concernant la banque et de l’assurance avec de fortes exigences de fonds propres visent à assurer la sécurité des déposants et à réduire les capacités d’entrisme de nouveaux acteurs. 

Les États-Unis ont également mis en place des systèmes de protection pour empêcher l’intrusion trop violente de la netéconomie dans le secteur bancaire. Les licences de banques numériques sont particulièrement difficiles à obtenir outre-Atlantique. Le système américain est peu libéral en raison des contrats qui lient les clients et les commerçants aux services financiers. Les grands réseaux de paiement bénéficient de rente de situation qui a freiné la diffusion des dernières inventions.

Législation libérale en Chine 

A l’opposé, la Chine a mis en œuvre une législation libérale pour l’essor des fintechs. Dernièrement, un durcissement a été institué afin d’assurer un meilleur contrôle sur le crédit. La majorité des acteurs se penche sur le développement de plateformes de services ouverts. Les assureurs et les banquiers disposant d’un nombre de clients et d’assurés importants sont des portails assez naturels. Ayant développé de longue date des systèmes informatiques sécurisés, ils devraient exploiter cet atout afin de permettre l’accès à de nombreuses activités à leurs clients dont ils connaissant une grande partie de la vie.

Et la vie privée ?

Cette transformation pose de nombreux problèmes notamment liés à la vie privée. En outre, l’idée de plateforme ouverte sur le modèle Amazon semblent être de mise, ce qui n’est pas le mode de fonctionnement des entreprises du secteur financier même si depuis vingt ans la pratique des marques blanches s’est généralisée. Des assureurs ou des banquiers vendent leurs services à des courtiers ou à des concurrents sans apparaître facialement.

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